Si j’avais une machine à remonter le temps, voici ce que je ferais :
- revenir à cet été pour prévenir la moi du passé que je ne suis absolument pas prête à reprendre les cours, même s’il s’agit d’une heure ici et là ;
- revenir à une heure plus tôt juste pour roupiller un petit peu plus en profitant de la chaleur d’Alex ;
- [liste non exhaustive et qui concerne l’immédiat parce que si je change les grands événements de ma vie je risque de me trouver dans la peau d’une autre, don’t try this at home].

Tout ça pour dire que je suis fatiguée et que le réveil vient de sonner.

Je grognasse mon mécontentement et l’éteins en appuyant sur la touche son. Et je sais qu’il va se remettre à sonner dans dix minutes et que je vais encore râler, mais je n’ai pas envie de me brûler la rétine tout de suite pour désactiver l’invention de Satan. À la place de ça, je reste contre Alex et remonte la couette jusque sous mon menton. Je ne suis pas disponible aujourd’hui, merci et à demain. Dans le confort des bras de mon petit-ami je me rendors presque instantanément, et je me réveille en sursaut presque instantanément aussi lorsque le réveil sonne à nouveau. La cage thoracique du brun vibre alors qu’un rire moqueur s’échappe de ses lèvres. J’aligne quelques autres syllabes sans voyelles pour qu’on comprenne bien que je ne suis pas contente, gagne un baiser sur le front en retour, et c’est finalement la routine matinale qui se met en marche.

C’est lorsque j’allume enfin mon portable pour désactiver le réveil que mes yeux se posent sur la date, et que mon cœur fait quelques ratés. Un goût amer reste sur ma langue alors que les chiffres marquent officiellement la pensée que j’essaie de chasser depuis quelques semaines. Ça fait un an. Que j’ai failli perdre Alex, que j’ai passé la nuit à l’hôpital à attendre qu’il se réveille. Il y a des anniversaires heureux et des anniversaires plus sombres. Celui-ci est arrivé plus vite que je ne le pensais, et un frisson me parcourt l’échine lorsque je pense qu’il y en a un autre en vue.

J’abandonne mon portable sur le lit et enfile mes vêtements à la va-vite, filant rejoindre le tatoué dans la cuisine. Il est tout décoiffé devant la machine à café, l’observant d’un air presque malveillant en attendant que le breuvage soit prêt. Un sourire amusé s’installe sur mes lèvres alors que mon estomac se contracte un tantinet, il est beau ce gueux ; je parcours les quelques mètres qui me séparent de lui pour pouvoir me presser contre lui et l’enfermer dans mes bras, c’est mon gueux. Je relève la tête vers son joli faciès lorsqu'il pose une main dans mon dos, cherchant à déterminer son état d'esprit aujourd'hui. Je ne suis pas une personne très subtile puisqu'il suffit d'un simple regard pour qu'il comprenne mon manège. Alex tente un sourire un peu trop petit à mon goût, non que je ne lui en veuille. « I’m fine, Soph. » Il glisse d'un ton assuré. Je m'attarde quelques secondes à mon observation, avant de bien vouloir le lâcher des yeux pour mieux me serrer contre lui. « I’m not. » C'était une épreuve pour lui mais c'en était une pour moi aussi. Parce qu'on a décidé de vivre ça ensemble. Que j'ai dû assister à sa chute, démunie et capable de rien pour l'en empêcher. Et même si ça va mieux aujourd'hui, beaucoup mieux, j'ai encore cette peur de le perdre soudainement. Je ne suis toujours pas prête à affronter un monde sans Alexander Black. Son étreinte se referme un peu plus et il me laisse le coller tout le temps du petit-déj, mais vient trop vite l'heure de filer au boulot.

Je passe la journée dans un état d'anxiété auquel je n'arrive pas à échapper, alors qu'il ne se passe rien. Je surveille bêtement mon portable dans l'attente d'un quelconque signe qu'on a besoin de moi quelque part ailleurs. Mais ce n’est pas le cas. Parce qu'aujourd'hui, ça va. Alex va bien et je vais bien et je m'inquiète pour rien. Outre les memes de bébé Yoda envoyés par Alban qui s'ennuie de son côté, je ne reçois rien. Ma fin de journée de travail terminée, j'hésite à ne pas aller à la petite heure de cours que j'ai. C'est sur les théories du management, je suis coincée dans les années 90 et ça ne m'intéresse franchement pas beaucoup. Mais j'ai décidé d'être sérieuse avec ces cours du soir, aussi je rassemble toutes mes billes de courage pour y aller. On étudie de sombres textes et j'écoute d'une oreille distraite, observant plutôt l'heure qui avance et le moment de retrouver Alex qui approche.

Je me sens presque ingrate de partir si vite.

Le sentiment est vite remplacé par autre chose lorsque je pousse la porte de l'appart du brun et que Salem miaule dans l'entrée pour m'accueillir. J'attrape le chat et enfonce le nez dans sa fourrure ridiculement douce. La bête commence à ronronner et je meurs peut-être un peu d'amour tout d'un coup. « You smell awful. » Je lui indique, peu fan du somptueux mélange entre la cigarette et la litière pour chat qu'il dégage. J'embrasse le bout du crâne du félin avant de le reposer au sol, me débarrasse de mes chaussures et rejoins le salon. La télé est allumée en bruit de fond, Alex est en train de gribouiller un carnet sur le canapé. J'enfile ma super cape de Madame J'm'impose et vais me planter devant lui, les yeux plissés pour qu'il lise mes pensées et comprenne mon manège. Give me your attention, n o w. Il doit avoir pris le pli, entre Salem et moi, puisqu'il pose son carnet à dessin sur la table basse et ouvre les bras. Un rire appréciateur m'échappe et je ne me fais pas prier pour prendre place contre lui. « Hello, my handsome tall dark emo boyfriend. » Yep, all that. Mes lèvres vont chercher les siennes pour les embrasser avec tendresse. Le fait qu'on s'est déjà vu ce matin et que je passe environ 75% de mon temps libre avec lui ne compte pas. Il est possible que je sois fortement entichée de l'individu et que mon quotidien est tout simplement plus lumineux en sa présence.

Mes jambes finissent par servir de table d'appoint lorsqu'il reprend son carnet, la conversation se fait à voix basses en vue de notre proximité, mes doigts s'emmêlent délicatement dans les cheveux à la base de sa nuque. Je me perds dans mon bien-être, ne regardant ni la télévision ni les coups de crayon sur le papier, écoutant plutôt sa respiration et les battements de mon cœur. Sentant la douceur des mèches brunes contre ma peau, l'odeur âcre de la cigarette et de son parfum dont j'ai maintenant l'habitude. Un sourire me parvient, je relève légèrement la tête pour pouvoir me caler au creux de son épaule. « I love you. » Je glisse, embrassant du bout des lèvres sa mâchoire, heureuse d'être ici et surtout qu'il soit toujours là avec moi.