Dire que fêter Noël chez mon paternel ne m’enchante guère serait un euphémisme. C’est un cauchemar éveillé et je dois me faire violence pour ne pas planter tout le monde et rester bien sagement à l’appartement. D’ailleurs, c’est ce que j’envisageais de faire au début, mais ça, c’était avant qu’Emma et Kinga ne se liguent contre moi pour me forcer à accepter. Elles m’ont rabâché les oreilles avec la magie de Noël et m’ont assuré à maintes reprises que tout se passerait bien. Qu’on me permette d’en douter. Vraiment, je ne vois pas comment un vingt-quatre décembre en compagnie de Conrad et de ce cher Alexander Black pourrait se dérouler sans encombre. V’voyez, il y a deux paramètres négatifs à prendre en compte dans le bon déroulement de cette soirée et ils ne sont pas des moindres. Comment foirer le réveillon en une seule étape ? Prenez deux ou trois personnes qui se détestent et admirez le spectacle tout en dégustant de délicieux sablés à la cannelle. Merveilleux. Mais comme d’habitude, tout ça, c’est de la faute de Conrad. On aurait pu éviter ce carnage à venir, mais il a fallu que, Monsieur, en plus de nous inviter, nous propose de venir accompagné. Thanks Dad, really. On notera la petite pointe d’agacement dans le ton de ma voix. Vraiment petite. Mais bien forcé d’accepter l’invitation, même si c’était sincèrement à contre cœur, j’ai également promis à Sophie – et un peu à Kinga aussi – que je me tiendrais à carreaux, que ce soit avec notre père ou avec Alex. Pas de remarques déplacées, pas de regards de travers, rien qui puisse entraver le délicat bonheur de ce repas de fête. Que de l’amour, de la joie et de l’hypocrisie. De quoi m’enchanter et me mettre de bonne humeur dés le réveil. De ce fait, depuis ce matin, je grince des dents et me plains à mes sœurs presque toutes les heures et à tour de rôle. La dernière en date, c’est Sophie. « On est obligé d’y aller ? On ne peut pas faire ça juste entre nous, tous les trois ? » Mais je connais déjà la réponse et je sais que je ne l’aurais pas à l’usure. Ça n’a pas marcher avec Emma alors avec Sophie, c’est perdu d’avance. Et ça m’emmerde.

Installé dans le salon, à côté de Kinga dont je presse légèrement la main, je regarde le cadran de ma montre et la grande aiguille qui me nargue au fur et à mesure que les minutes passent. Où est-ce qu’on signe pour passer cette soirée en avance rapide ? Ou pour tomber subitement malade. Quel dommage… Il est bientôt dix-neuf heures et il ne manque qu’une seule personne à l’appel. J’imagine qu’il n’y a pas besoin de citer son prénom ou même de donner un indice quant à son identité, on sait tous de qui il s’agit. Et même si une petite partie de moi commence à danser la samba, l’autre ne peut pas s’empêcher d’être fortement agacée par son retard. Déjà que je vais devoir le supporter toute la soirée et dans le respect le plus total, parce que j’ai eu la drôle d’idée de m’engager à ne faire aucune vague, il pourrait au moins avoir la décence de se pointer à l’heure. Parce qu’à cette allure, je vais faire un scandale avant d’avoir croisé son regard, et pourtant, je prends sur moi. « Sophie, Alex ne viendra sûrement pas. C’est regrettable, mais pas étonnant. » Regrettable, c’est le mot. Cette absence m’emplit d’une telle tristesse. C'est incommensurable… « Mais si on ne veut pas être en retard, on doit y aller. Maintenant. » Et j’insiste fermement sur ce dernier mot. « Tu n’auras qu’à lui envoyer l’adresse de Conrad par message. » Non, je n’ai toujours pas envie de voir Black se joindre à nous, mais comme je n’ai pas envie de me faire enguirlander (noter ce délicieux jeu de mots) par ma sœur, je veux bien faire un tout petit effort. « On y va ? »

I kidnapped your cat, come to dinner with us and maybe you’ll have him back. Merry Chrysler. Ce sont les adorables petits mots griffonnés sur le dos d’une enveloppe que j’ai laissé à Alex ce matin. Profitant fourbement d’avoir un double de ses clefs pour m’introduire chez lui lorsque je savais qu’il n’y était pas. Pas mauvaise, je lui ai peut-être volé son chat mais je l’ai remplacé par des croissants. Je me suis quand même faite traiter de terroriste. Il m’aime, chut. J’ai de très bonnes raisons à vouloir que Alex dîne avec nous, nous signifiant les Grimm, ce soir. Déjà parce que c’est la veille de Noël. Et que même si cette fête est devenue une fête plus commerciale que chrétienne mais le capitalisme n’est-il pas la religion du vingt-et-unième siècle ? vous avez deux heures, c’est quand même fichtrement triste d’être seul pour Noël. Et il est hors de question qu’il le soit, pas alors qu’il peut ne pas l’être. Pas alors qu’il le croit, alors qu’on a été très clair sur la chose. Je suis là. Je m’impose, peu importe à ce stade-là, mais je ne laisserai pas Alex seul pour les fêtes de fin d’année. Il n'a pas voulu accepter mon invitation prononcée de nombreuses fois, alors j'ai kidnappé son chat et il n'a pas eu le choix cette fois. Ensuite, j’ai un autre énergumène de type grand frère qui est un tantinet seul et sans amis, et j’ai la folle illusion que ces deux imbéciles pourraient redevenir amis. Ils en auraient bien besoin, en tout cas. Mais surtout, Emma nous a un peu obligé a accepter le drapeau blanc de Conrad pour qu’on passe Noël en famille, et ce terme englobant le géniteur Grimm me rebute fortement, et que c’est une torture. Le drapeau blanc a été joint d’un rameau d’olivier Oliver est synonyme de paix, trop drôle et on a le droit de ramener un plus un. Ramener Alex au repas de famille, c’est d’abord une personne de plus avec qui râler et une porte de sortie toute trouvée si jamais ça dégénère avec le paternel. Mais c’est aussi un petit majeur levé pour ce dernier. Alex n’est pas la personne la plus conventionnelle qu’il soit, avec ses trois mètres de haut et sa dizaine (vingtaine ? quarantaine?) de tatouages. J’ai hâte de voir la tête de Conrad « respecte-donc l’autorité jeune fille » lorsqu’il le rencontrera.

Eh tiens, dites-donc, c’est que ça ressemble presque à une présentation de petit-ami à l’ensemble de la famille cette affaire.

Wololo, calmons nos ardeurs, merci bien.

Je lève les yeux au ciel lorsque Oliver se plaint une nouvelle fois. « Arrête de te plaindre, c’était même pas mignon quand tu avais 5 ans, mais là c’est carrément insupportable. » Man up, dude. D’un côté, j’aurais grandement apprécié ne pas avoir à aller fêter Noël avec Conrad. D’un autre, je ne suis pas malheureuse d’élargir nos petits horizons à d’autres personnes qu’on apprécie fortement. Qu’il arrête donc de geindre un peu et aille profiter de la présence de Kinga qui est exceptionnellement ravissante aujourd’hui. Il ne se rend pas compte de la chance qu’il a, cet idiot. Il tient une dizaine de minutes avant de s’impatienter, encore. « Sophie, Alex ne viendra sûrement pas. C’est regrettable, mais pas étonnant. » Et il ne gagne qu’un très grossier majeur levé dans sa direction, le barbu. J’m’en suis toujours pas remise, de la pilosité faciale de mon frère, nope. Et blablabla on va être en retard, et blablabla il n’a qu’à nous rejoindre chez Conrad. « Non. » Et excusez-moi mais c’moi l’chef de famille maintenant, cet appart est à mon nom. J’attrape mon téléphone pour envoyer pour la énième fois un message à la reine du soir, fashionably late. Il se prépare, qu’il a dit il y a une dizaine de minutes. « On y va ? » Je hoche négativement la tête. Non, on ne part pas sans Alex. Et je ne dis pas ça juste parce que je n’ai pas envie de partir sans lui et que ça ferait trop plaisir à Oliver si c’était le cas. Mais parce qu’il habite à côté, qu’il a une voiture et que nous non et que c’est une simple question de logistique, en fait. Et puis, Emma aussi a disparu, alors il va s'détendre le rouquin. « Dans dix minutes, ok ? » Et pour m’assurer que Black daignera bien montrer son joli minois dans ce temps durement acquis, je pars en quête de Salem dont je prends une photo à la volée. Si t’es pas là dans cinq minutes, je le jette par la fenêtre. T’es pas prêt à tester la théorie du chat qui retombe sur ces pattes, Black. Puisque, apparemment, il n’y a que les menaces sur son chat qui fonctionnent pour obtenir quelque chose d’Alexander Black.

Bon.

J’ai bien envie de commencer en rappelant à la communauté que je suis un homme qui frôle la trentaine – ew, i know, qui ne porte aucun intérêt particulier aux fêtes de fin d’année si ce n’est pour grimacer de dégoût face à l’extrême gnangnantise de cette période et qui se porterait comme un charme à passer le réveillon en compagnie de son chat et d’un bon film… mais ce serait presque établir une évidence, à ce stade. Seulement voilà, malgré toutes ces raisons parfaitement valides, Sophie Grimm n’a pas pu faire comme tout le monde et me laisser dans mon coin le jour du réveillon. Elle a plutôt eu la merveilleuse idée de m’inviter à le passer avec elle. Jusque-là, j’aurais presque accepté sans trop râler. Mais la couille dans le potage n’est jamais loin : l’invitation inclus également la famille Grimm au grand complet. Frangin et paternel compris. On peut dire que ma réaction fut claire et nette : Sophie, je préfèrerais manger un cactus plutôt que d’aller à ce dîner. Thanks but no thanks. ‘Faut pas pousser mémé dans les orties non plus. Je veux bien faire des efforts, accepter le côté maman ours parfois insupportable de la rouquine – m’apporter mon déjeuner dans un tupperware et le déposer sur mon bureau au Daddy’s, c’est définitivement too much sur l’échelle de je prends soin d’Alex parce que j’ai peur qu’il refasse une connerie – mais passer toute une soirée en compagnie d’Oliver Grimm, c’est trop m’en demander. Nopity nope. Sans parler du père que je ne connais que de nom et de réputation et clairement, cette-dernière est loin de vendre du rêve. Mais Sophie est têtue, voir carrément bornée, et il a suffit que je mentionne mon programme du vingt-quatre – ou plutôt mon absence de programme, en l’occurrence – pour qu’elle m’invite à son fameux dîner/catastropheàvenir malgré mon non catégorique.

J’ai ignoré les suppliques. J’ai résisté (de peu) aux caresses et aux mains baladeuses – Sophie est une personne cruelle qui profite de mes moindres faiblesses – pour enfin finir par prendre les menaces à la légère.

Naïf que je suis.

Il aura fallu un instant d’inattention où j’ai baissé ma garde pour que la gueuse prenne Salem en otage afin d’assouvir ses vils desseins. Trahison, disgrâce. Cependant, même avec ce genre de menace, la tentation de me défiler reste grande. Sans compter que les Etats-Unis d’Amérique ne négocient pas avec les terroristes. De ma vie, je ne me souviens pas avoir déjà fêté Noël. Pas de façon traditionnelle du moins, pas comme dans les films où tous les cousins-cousines se rassemblent autour d’un sapin et ouvrent des cadeaux en mangeant des cookies. Cette image me paraît tellement… surréaliste. Et un peu flippante aussi, même si je ne l’avouerai jamais à haute voix.

Devant le miroir de ma salle de bain, j’observe mon reflet : bien que toujours présentes, les cernes qui soulignent mes yeux sont bien moins visibles qu’il y a quelques semaines. Mes joues ont repris quelques couleurs également, et j’ai même repris un peu de poids. J’ai l’air… vivant. Je finis par soupirer, chassant l’ombre d’un sourire naissant, avant de déboutonner les deux premiers boutons de ma chemise. Quand faut y aller… Mon portable n’arrête pas de vibrer depuis un bon quart d’heure, et pas la peine d’être médium pour en deviner la raison. Le dernier texto de Sophie me fait lever les yeux au ciel, mes lèvres se retroussant à nouveau en demi-sourire amusé. You wouldn’t dare.

Je ne prends même pas la peine de toquer quand je pousse la porte d’entrée du petit appartement. I got the keys anyway, so suck it. Ça sent bon à l’intérieur, cannelle et mandarine… Et ça sent Sophie aussi. Quatre paires d’yeux, surpris pour les uns, plein de jugement pour les l’autre, se tournent vers moi et je me sens clairement mal-à-l’aise tout à coup. C’était une mauvaise idée, je le savais. « Salut. » Mon regard évite celui de mon ami d’enfance sur le canapé pour chercher celui de Sophie, rassurant. Je me détends un peu, reprenant peu à peu mon assurance lorsqu’elle me sourit. Et diantre ce qu’elle rayonne dans cette robe. « Je fais ça uniquement pour mon chat, pas la peine de me regarder comme ça. » que je marmonne en relevant le menton. Il est brave. « Bon c’est pas que j’ai autre chose à foutre mais ma voiture est garée devant, on peut y aller ? » Et en finir rapidement avec cette histoire, merci.

Une voiture, une putain de voiture.
Emma avait hésité pendant des semaines.Oh bien sûr, avec le salaire que lui versait son sugar daddy lui en offrait les moyens. Mais un achat du genre, ça viendrait aussi avec des questions. Jusque-là, elle n'avait pas eu envie ni d'y répondre, ni de les esquiver. Mais en se rendant chez Opale ce matin-là, question de faire une réserve de courage pour la soirée à venir, elle en avait finalement eu marre de se trimbaler les fesses dans les sièges crasseux des transports en commun de la ville. Elle avait alors entraîné la blonde à sa suite dans son projet fou de ce matin de décembre et les deux jeunes femmes avaient passé une partie de l'avant-midi à faire le tour de concessionnaire de véhicules avant de finalement trouver la perle rare. La voiture n'était pas neuve, mais elle avait tout ce dont Emma avait besoin et quelques avantages supplémentaires tels que des sièges chauffants et un lecteur CD.

C'était décidément un très bon achat, malgré ses réticences première. La banquette arrière était aussi très spacieuse, LE meilleur avantage. Et elle s'était mise en tête de la tester dès qu'elle avait officiellement pris possession de la voiture. Elle n'avait eu qu'à se trouver un endroit tranquille pour se garer et de proposer son nouveau plan fou à la blonde. Opale ne s'était pas fait prier, est-ce qu'elle s'était déjà fait prié depuis qu'elles avaient émis les règles de leur relation spéciale? Pas qu'elle s'en plaigne loin de là. Les baisers avaient été brusques et demandant, les mains s'étaient faites plus baladeuses qu'à l'habitude. Emma en avait oublié que sa famille l'attendait pour partir chez son père. Sophie n'arrêtait pas de lui envoyer des SMS. Elle n'avait finalement pas eu le choix de déposer Opale à l'endroit de son choix, elle avait des achats à faire si la mémoire d'Emma était bonne et de se diriger chez elle pour se changer rapidement et repartir.

La jeune femme était déjà furieuse d'avoir dû arrêter son activité et sa colère avait monté d'un cran lorsqu'elle avait vu la voiture d'Alexander dans le stationnement réservé à l'appart. Elle avait pris l'un de ceux pour les invités, pourquoi Black n'en avait pas fait autant ? Et elle était entrée chez elle en claquant la porte, attirant l'attention sur elle, ses cheveux en bataille, ses vêtements légèrement débraillés et ses lèvres un peu plus pulpeuse qu'à l'habitude. Elle était vraiment chic à voir sans aucun doute. « Ouais bon, je suis là, pas besoin de me regarder comme ça. Je m'habille et on peut y aller. » Elle avait roulé des yeux en recommençant à parler, elle avait voulu garder son commentaire pour elle, mais bon trop tard visiblement. « Et toi Black» avait-elle continué en pointant le dénommé Black « faire comme tout les autres invités et utilisé le stationnement d'invité, c'était trop demander ? » marmonna-t-elle en se dirigeant vers sa chambre sans attendre de réponse de quiconque. Avec tout ça, elle n'avait même plus envie de leur montrer son cadeau de elle-même à elle-même.

Encore dix minutes d’attentes. Ok, très bien. Ce n’est pas comme ci j’avais le choix de toute façon. Et Emma n’a pas encore fait son apparition non plus et elle ne réponds pas à nos messages. J’aimerais bien savoir où elle est et surtout ce qu’elle peut bien faire le soir du Réveillon. Il y a encore quelques années, elle aurait la première présente pour nous obliger à nous dépêcher et aujourd’hui, elle est en retard. J’ai l’horrible sensation que durant mon absence, ma sœur a été échangé avec une autre tant j’ai l’impression de ne plus la reconnaître. Mais j’imagine que trois mois d’absence, ça n’aide pas… Je râle quand même, pour la forme et parce que c’est trop tentant quand il s’agit de pester après Black. J’ai promis de ne faire aucun commentaire sur la relation qu’il entretient avec ma sœur, mais il n’en reste pas moins un gars que je ne supporte même plus en peinture. Il ne faut pas me demander de faire trop d’efforts non plus, j’ai mes limites. « Je ne sais même pas pourquoi tu l’as invité, franchement. Je croyais que vous n’étiez pas ensemble, en plus. » Moi, chiant ? Jamais. J’essaie juste de comprendre ce qui se passe entre ma sœur et Black, c’est quand même bien différent. Et d’ailleurs, quand on parle du loup… Alex daigne enfin de se pointer et passe le seuil de la porte sans même prendre la peine de sonner. « Salut. » J’ai le sentiment que le bougre est plus chez lui ici que moi. « C’pas trop tôt, on allait partir sans toi. » Enfin, surtout moi, mais ça, je ne le dis pas. Monsieur continue sa tirade en essayant de nous faire croire qu’il n’est là que pour sauver son chat – ma sœur est vraiment horrible quand même – mais j’émets quelques doutes. Il est, un peu, là pour les beaux yeux de Sophie, on ne va pas se le cacher. « Évidemment… » Je marmonne dans ma barbe avant de lever les yeux au plafond. Je te connais, Black, à d’autres, s’il te plaît. « Bon c’est pas que j’ai autre chose à foutre mais ma voiture est garée devant, on peut y aller ? » Est-ce que je peux l’étrangler ? Je soupire, pour la vingtième fois en l’espace de cinq minutes. « Emma n’est pas encore là. » Je suis d’ailleurs sur le point de l’appeler une nouvelle fois quand la demoiselle fait enfin son apparition. Je la dévisage, un peu, le regard lourd de sens. Les questions que je me posais quelques minutes plus tôt me brûlent les lèvres, mais je préfère me taire, je suis presque sûr que les réponses qu’elle me fournira ne me plairont pas. Tout comme le ton qu’elle emploie pour s’adresser à nous. Je jette un coup d’œil à Sophie avant de soupirer d’agacement. Est-ce qu’Emma serait en train de nous faire sa crise d’ado, là ? Elle est de plus en plus insupportable et… « Et toi Black, faire comme tout les autres invités et utilisé le stationnement d'invité, c'était trop demander ? » wow. Elle joue à quoi, là ? D’accord, en temps normal, je taperais un highfive avec la personne osant parler à Alex ainsi, mais il s’agit d’Emma et son comportement me laisse sur les fesses. « Emma ! » que je gronde, mais  ma sœur se moque pas mal de ce que je pourrais avoir à lui dire et a déjà disparu dans sa chambre. « Depuis quand est-elle aussi insolente ? » Depuis quand mon comportement déteint sur elle ?

Un bon quart d’heure plus tard, on s’entasse dans la véhicule d’Alex. Ou disons plutôt qu’Emma, Kinga et moi, on s’entasse à l’arrière. Heureusement, Conrad ne vit pas très loin et le trajet en voiture est vite bouclé. Le cauchemar peut donc commencer ! Mais j’ai à peine le temps de descendre que mon portable se met à vibrer. Le numéro de notre père s’affiche sur mon écran et je réponds, légèrement agacé. « On arrive, pas besoin de râ… » Mais il me coupe la parole, m’annonçant qu’il n’est pas en état de nous recevoir. « Pardon ? » Je m’éloigne légèrement pendant qu’il tente de me donner une explication, mais tout ce qu’il réussit à faire, c’est monter mon énervement en flèche. « Tu te fiches de nous, Conrad ? » Mais non, il ne se moque pas de nous et m’envoie presque chier avant de me raccrocher au nez. Je rêve. « Asshole. » Je me tourne vers mes sœurs, ma petite-amie et Alex en soufflant. « Il nous plante. Il est soit disant, malade. » Ce type est vraiment un bel enfoiré. L’avantage, c’est qu’on va tous rentrer chez moi et je n’aurais pas besoin de supporter la présence de Black. Pas vrai ?

Dès demain, je passe une annonce dans le journal. Je vends mon frère. Ou alors, ce soir, je supplie Kinga de l’adopter et de le prendre avec elle. Il soupire tellement qu’on se croirait dans un mauvais roman de la littérature britannique du dix-huitième siècle. Cf. Pamela et ses dérivés, pour les plus motivés. « Je ne sais même pas pourquoi tu l’as invité, franchement. Je croyais que vous n’étiez pas ensemble, en plus. » Je me retiens très fort de lever les yeux au ciel pour pouvoir le regarder, les yeux plissés, avec un semblant de regard menaçant. « Commence pas. » Il me fait la remarque à chaque fois que je mentionne Alex et c’est fatigant. On a déjà eu cette discussion, ce n’est pas parce qu’Alex n’est pas mon petit-ami qu’il ne se passe rien entre nous, c’est trop tard pour nier ça maintenant. Et puis en plus les étiquettes c’est surfait. Et on est au vingt-et-unième siècle, j’ai le droit de voir et inviter à la maison qui je veux comme je veux. Diantre. La prochaine fois qu’il veut inviter Kinga à la maison, je la mets à la porte, s’il continue. On verra bien qui rira le dernier.

En attendant, Alex daigne enfin faire son apparition et jdezoijdiezjdezpif un peu. Pardon. Excusez-moi, je vais essayer de formuler ça dans une langue plus correcte : cet imbécile est beau. My oh my. Voilà. Je devrais m’agacer de son retard, mais le fait est qu’il a quand même ramené son magnifique fessier et enfilé une non moins magnifique chemise, et un sourire vient se coller sur mes lèvres sans que je ne puisse le refréner. J’arrive même à ignorer le commentaire de grand-père Oliver, tellement je dois me concentrer pour ne pas glousser de joie. « Je fais ça uniquement pour mon chat, pas la peine de me regarder comme ça. » Le marmonnement de Oliver confirme cette évidence, heureuse que j’ai kidnappé Salem alors, et un mince rire m’échappe. « Comme ça comment, comme si tu n’étais pas l’une des raisons du réchauffement climatique ? » You know, you look really hot, you must be the real reason for global warming. Je suis quelqu’un de très subtil, c’est une évidence. Et alors que mon frère râle encore et toujours, je reste quelqu'un de poli et je fais les quelques pas pour aller embrasser l’une des joues du nouveau venu. « T’es handsome af mais t’es en retard, Black. » Même si ça promet avec Oliver, je suis quand même fichtrement content qu’il soit là, Alex. C’est un allié non négligeable contre le paternel Grimm.

On y va ? « Emma n’est pas encore là. » C’est moi qui pousse un soupir, cette fois. Notre petite sœur est en pleine crise d’ado, à être amoureuse et passer sa vie avec sa copine. Ce n’est pas ma copine, agnagna. C’est à peine supportable en temps normal, mais là pour le coup… C’est franchement agaçant. On ne va chez Conrad pour Noël que parce qu’elle a insisté, alors que Oliver et moi étions prêts à renvoyer l’invitation sans sommation, et la gueuse se permet de ne pas être prête à l’heure. Et de débarquer en retard, les cheveux en bataille et l’allure laissant très clairement comprendre qu’elle était sa précédente activité. Je la regarde, un sourcil levé, chassant le plus possible mes élans maternels mécontents. Je ne vais pas me fâcher, je ne vais pas me fâcher… « Je m'habille et on peut y aller. » Et elle ne s’excuse pas du tout de son retard. Je n’ai pas le temps de lui faire la remarque qu’elle se tourne vers Alex, pointant un doigt menaçant dans sa direction.

Excusez-moi, je viens d’entrer dans une autre dimension.

Ma petite sœur accuse mon… Urm, Alex de lui avoir volé notre place de parking avant d’aller s’enfermer comme une princesse dans sa chambre alors que 1, nous n’avons aux dernières nouvelles pas de voiture et donc pas besoin de la place de parking 2, elle n’a jamais parlé ainsi à personne et vraiment, ses fréquentations sont mauvaises et 3, personne ne s’adresse à Alex comme ça, c’est tout le principe d’Alex, il est censé être terrifiant. Je retiens une injure de colère, si je vais me fâcher finalement, et lève un doigt en direction de mon frère. Hold that thought, brother. Clairement, c’est de l’insolence et clairement, je ne peux pas la laisser passer. J’abandonne tout le monde au salon pour rejoindre ma sœur dans sa chambre, me fichant pas mal qu’elle soit en train de se changer. « Je peux savoir ce qu’il se passe, Emma ? » Je demande dans un chuchotement agacé. « Tu peux arrêter de nous faire ta crise d’ado une soirée et être un peu plus respectueuse ? Je te rappelle que c’est toi qui as voulu aller chez Conrad, le moins que tu puisses faire c’est être à l’heure et aimable. » Elle aurait pu commencer par s’excuser pour son retard, ne pas envoyer promener un invité parce qu’il a pris notre place de parking, et surtout on compte sur elle pour faire la conversation avec notre père alors faut qu’elle redevienne Emma mignonne et joviale le temps d’une soirée, merci. Je ne prends pas la peine d’attendre sa réponse que je la laisse là, claquant la porte derrière moi. Et je ne lui demande pas plus d’explications pour cette histoire de voiture. Elle m’a agacée et sur le coup, je n’en ai strictement rien à faire.

Quelques minutes plus tard, on arrive enfin à être au complet et sur le départ. « Tu ne veux pas monter devant, tu es sûr ? » Je glisse à Oli, mine de rien. Son regard noir a le don de me faire rire. Le trajet en voiture est un tantinet malaisant, entre Emma qui boude toujours et Alex et Oliver qui s’affrontent d’ondes négatives. Je tente un semblant de discussion avec Kinga, entre deux indications pour tourner ici et là. On est à peine descendus de la voiture que le téléphone du rouquin sonne. Après, il se tourne vers nous et il a l’air fâché. Quoi, encore ? « Il nous plante. Il est soi-disant, malade. » Mes sourcils se haussent sur mon front. Bon. Je m’agace maintenant, ou tout de suite ? « Mais c’est quoi votre problème aujourd’hui, les gens ? » Entre un qui n’arrête de râler, deux qui sont en retard, Emma qui devient insolente… Maintenant Conrad s’y met aussi ? À quel moment exactement je suis devenue l’adulte responsable du groupe ? Résignée, je parcours quand même les quelques mètres qui nous séparent du portail gardant la maison où réside notre tendre, riche et malade paternel. Duquel je vais appuyer sans ménagement sur l’interphone. C’est une blague. Le type nous bassine depuis des mois pour qu’on renoue les liens, pour que nous soyons une famille de nouveau et tout le bullshit dans le genre, mais il nous plante le réveillon de Noël ? Une. Blague ! L’interphone est décroché, une fausse quinte de toux m’accueille et je fronce les sourcils. « Ouvre nous, Conrad ! » Ah, le fin art de la négociation... Il me sort les mêmes excuses qu’il a dû sortir à Oliver avant de raccrocher sans ménagement aucun. Ah ! Ça se voit qu’il ne connaît pas la détermination de Sophie Grimm.

Time to get a little naughty, I guess.

Le bouton pour ouvrir le portail est de l’autre côté, évidemment. Mes bras sont trop petits pour l’atteindre à travers les barreaux. « Eh, Alex ? » Coucou, grand imbécile que j’aime et j’admire. Alex me rejoint, mais Alex aussi n’atteint pas le bouton. Je ne vois qu’une solution. « Je vais escalader le portail. » Non, ce n’est pas extrême. Et non, on n’abandonne pas notre repas de Noël maintenant. D’autant plus que notre présence n’est plus la bienvenue, ça me motive encore plus pour y aller. Et ça va, ce n’est pas dangereux roh. Le portail doit faire deux mètres à tout casser, allez peut-être deux mètres et demi, et je faisais tout le temps ça au lycée lorsque je fuguais pour aller chez Alban. Je gère, pas de panique. J’ai juste besoin d’un petit coup de pouce. « Aleeex. » Non, je ne suis pas chiante. Et ce n’est pas que je ne crois pas en la force physique de mon frère, mais je suis en robe et c’est risqué. Puis, quitte à ce que je me fasse tripoter le fessier, je préfère que ce soit le tatoué qui le fasse. « I need a little help, please don’t have dirty thoughts now. » Je glisse au brun, un sourire taquin sur les lèvres, posant une main sur son épaule et l’autre sur un barreau alors que les siennes viennent trouver ma taille. L’ascension se fait sans problème, sécurisée par Alex, et je me retrouve assise sur le portail. On dira que j’ai eu un bon présentiment en décidant de mettre des bottines avec peu de talons, ce qui favorise mon atterrissage. Sur les deux pieds, standing-ovation everyone !

Je vais rejoindre un cirque, je pense. Pour l’instant, je vais surtout appuyer sur le bouton pour ouvrir le portail à tout le monde. « Allez les gueux, on y va. » Et on se tient bien, s’il vous plaît. Ce repas n’a pas encore commencé que je suis déjà épuisée.

Ça ne fait que quelques secondes que j’ai posé ne serait-ce qu’un orteil dans l’appartement qu’Oliver se met déjà à râler. Literally, I just breathed. Qu’il me laisse-moi au moins le temps de refermer la porte avant d’attaquer les festivités, je me sens agressé. Mais dommage pour lui, je n’ai pas l’intention de rentrer dans cette bataille verbale car ce soir c’est Noël, et bien que ça ne veuille pas dire grand chose pour moi, je n’ai pas envie de ruiner celui de Sophie. Ça compte pour elle, cette soirée. Je le sais. Parce que c’est l’occasion de retrouver un peu de normalité dans une famille qui n’a pas été épargnée cette année. Parce qu’elle a besoin de cette pause, de cette légèreté. Alors j’ai décidé de faire des efforts, pour une fois, et je ne parle pas que de cette fichue chemise. I’m trying, ok ? C’est donc en tant qu’homme mature et responsable que je me contente de toiser l’aîné des Grimm du regard, ravalant la réplique mordante qui me brûle les lèvres, avant de porter toute mon attention sur sa cadette qui, elle, m’accueille avec le sourire. Et une pick-up line extrêmement ringarde. Mais n’est-ce pas le principe d’une pick-up line d’être ringarde ? Vous avez quatre heures. Je lève les yeux au ciel, un mince sourire étirant tout de même le coin de mes lèvres lorsque celles de Sophie déposent un léger baiser sur ma joue. Ah, PDA devant le frangin ? Ok, on fait comme ça alors. Et je jubile intérieurement, parce qu’un panel entier de possibilités vient de s’ouvrir devant moi pour emmerder le rouquin sans qu’il ne puisse rien faire pour m’en empêcher. Mwahaha. « T’es handsome af mais t’es en retard, Black. » Premièrement, « Merci, t’es pas mal non plus. » la complimenté-je en zieutant sans honte sa fine silhouette particulièrement mise en valeur dans cette robe couleur crème. En un mot, she’s hot. Et en fin de compte, j’aurais préféré qu’Oliver ne soit pas à deux mètres de nous. Voir carrément dans une autre pièce. Quant à mon soi-disant retard, j’suis là, et c’était pas gagné d’avance alors tout le monde devrait s’estimer heureux, merci. D’ailleurs, c’est quand qu’on s’casse ? « Emma n’est pas encore là. » Le soupir de Sophie fait écho à celui de son frère et j’ai bien envie de faire de même. Ça s’plaint de mon cas mais il manque toujours la gosse ? Come on.

Mais quand on parle du loup… La benjamine Grimm fait sa grande entrée quelques instants plus tard, échevelée et débraillée. « Ouais bon, je suis là, pas besoin de me regarder comme ça. Je m'habille et on peut y aller. » qu’elle lâche, hautaine, à l’adresse de ses frangins avant de se tourner vers moi, index levé sous mon nez dans un geste qui se veut menaçant. « Et toi, Black. » Plaît-il ? Je hausse un sourcil, défiant l’effrontée de continuer sur sa lancée. « Faire comme tout les autres invités et utiliser le stationnement d'invité, c'était trop demander ? » Et c’est tellement inattendu que je reste sans voix quelques secondes, interdit devant cette gamine qui ose me parler sur ce ton. Personne ne me parle sur ce ton. Jamais. Est-ce que c’est dans les gênes Grimm d’être insupportable ? Plus important, est-ce qu’il y a un pourcentage de pertes autorisées pour ce dîner ? Parce que cette gosse commence très, très mal la soirée. Mes belles résolutions (la maturité, be the bigger person, tout ça) n’auraient d’ailleurs pas tenue longtemps si Oliver – de tous les individus présents, c’est un comble – ne s’était pas insurgé le premier, visiblement choqué par l’insolence de sa sœur. La même expression s’affiche sur le visage de Sophie tandis qu’Emma quitte la pièce sans rien ajouter, telle la petite princesse arrogante qu’elle semble être devenue depuis la dernière fois que je l’ai vue. Parfait, on peut rajouter une personne de plus dans la liste des gens que je ne peux pas piffer ce soir. Ambiance, ambiance. Pas hyper ravie non plus de son comportement d’enfant gâté, Sophie se lance à la suite de sa sœur, nous laissant, Oliver et moi, seuls dans le salon. « Eh beh. » Je lâche après quelques secondes de silence, les mains fourrées dans les poches de ma veste en cuir. « T’as de la sérieuse concurrence pour la place du Grimm le plus imbuvable de la famille, mec. » Et j’ai pas encore rencontré le père, ça promet.

Un trajet en voiture légèrement tendu plus tard, je me gare devant la maison de Conrad et laisse mes passagers descendre pendant que je sors mon paquet de clopes, mais j’ai à peine le temps d’en allumer une que le portable d’Oliver se met à sonner. Il décroche, on devine rapidement l’identité de son interlocuteur, la discussion tourne à l’engueulade, plot twist. « Il nous plante. Il est soi-disant, malade. » Nous informe le rouquin d’un ton amer. PLOT FUCKING TWIST. Je peux rentrer chez moi maintenant, c’est bon ? « Comme c’est dommage. » Sarcasme nonchalant laissant peu de place au doute concernant mon ressenti. J’aurais presque envie de rire. Presque. « Mais c’est quoi votre problème aujourd’hui, les gens ? » Sophie râle, apparemment excédée par les gamins que nous sommes. Je hausse les épaules parce que hmmpff et elle finit par prendre les choses en main en allant violenter l’interphone. « Soph… » Je tente dans un soupir. C’est pas grave, on a pas besoin du vieux pour manger autour d’une table, he doesn’t deserve you anyway. (Oui, c’est un soupir qui veut dire beaucoup.) Malgré tout, la jeune femme est loin de se laisser abattre, comme le prouve cette lueur déterminée dans son regard lorsqu’elle se retourne vers nous. « Eh, Alex ? » C’est moi-même ? « Hmm ? » Faut que t’ailles pousser le bouton avec ta mimine, là-bas. Je me moque, un peu, parce qu’elle est ridiculement petite et que c’est loin d’être la première fois qu’elle m’appelle à l’aide pour attraper des trucs hors de sa portée. Look at me saving the day and- ah bah non, le bouton est définitivement trop loin pour moi aussi. Meh. Il est vexé. Tant pis ? On rentre ? « Je vais escalader le portail. » Ah. Ah ? Au temps pour moi dans ce cas. Et je réprime de justesse un petit rire qui se transforme en demi-sourire amusé parce que look at her being awesomely badass. « Of course you will. » C’est tellement… Sophie. Elle n’abandonne jamais, peu importe la taille de l’obstacle, en l’occurrence, environ deux mètres dix. Je l’observe de loin analyser la hauteur du portail, sourcils et nez froncés parce que ça m’aide à me concentrer, Alex, arrête de rire. D’ailleurs. « Aleeex. » Je l’attendais celui-là. Mais je finis par obtempérer et m’approche à nouveau de la jeune femme, après avoir jeté mon mégot sur le trottoir. Need a hand ? Or two ? « I need a little help, please don’t have dirty thoughts now. » qu’elle me glisse avec un petit sourire taquin. Et ça me fait rire, vraiment. « Trop tard pour ça, babe. » Je rétorque, mimant son expression, en repensant à la première fois où mes yeux se sont posés sur sa tenue, à peine vingt minutes plus tôt. Définitivement pas orthodoxes, les pensées. Une de ses mains se pose sur mon épaule tandis que l’autre trouve une prise sur l’un des barreaux métalliques derrière moi. « Accroche-toi. » Sans prendre la peine de faire un décompte à trois, je la hisse à bout de bras jusqu’à ce qu’elle s’asseye à califourchon au sommet du portail, laissant quand même traîner mes mains sur son fessier un peu plus longtemps que nécessaire. Because I can.

Sophie se réceptionne sans problème de l’autre côté et quelques secondes plus tard, nous voilà dans la propriété. Et c’est foutrement grand, damn. Il était riche comment déjà, le paternel ? Je pousse un petit sifflement d’admiration tandis que la rouquine nous entraîne en direction de la porte d’entrée. Je me tiens en retrait du petit groupe tandis qu’elle toque vigoureusement contre le panneau de bois, jusqu’à ce que celui-ci daigne s’ouvrir sur un Conrad Grimm surpris et visiblement très mal-à-l’aise. Bienvenue au club ?

Bon, elle avait abusé. Un peu. Un peu beaucoup.

Vraiment beaucoup, si on prenait la peine d'y penser. C'était justement ce qu'elle était en train de faire en retirant ses pantalons et ses chaussettes. Elle savait bien que ce n'était pas de sa faute à Black, si elle avait décidé de s'acheter une voiture le matin même et si sa sœur avait décidé de la déranger dans son activité favorite actuelle. Il s'était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Elle aurait tout le de s'excuser dans la soirée, mais pas maintenant parce que quand même. L'orgueil, c'est le mal. Elle ne comprenait de toute façon même pas pourquoi tout le monde semblait choqué, elle ne l'avait pas envoyé promener non plus. Pas que l'envie lui avait manqué, frustré comme elle était, mais elle se savait tout de même plus polie que ça. Alors qu'elle était en pleine soliloquie, sa sœur était entrée dans sa chambre pendant qu'elle retirait son t-shirt. «  Merci de respecter mon intimité » avait-elle marmonné un brin sarcastique maintenant en soutif, ce n'est pas comme si c'était la première fois qu'elle était ainsi devant sa sœur, mais. Elle avait ensuite voulu lui répondre qu'elle endurait bien leurs conneries à eux deux et ne disait pas un mot, alors qu'ils endurent sans la juger pour une fois, mais sa sœur était ressortie de la pièce comme elle était arrivée et Emma avait soupiré tout en se glissant dans sa petite robe noire acheté quelques jours plus tôt avec l'aide d'Opale. La blonde avait décidément plus l'œil qu'elle pour mettre son corps en valeur dans des vêtements. Parce que si ça avait été la décision d'Emma, elle se serait présenté au repas en jean et en t-shirt. La robe était magnifique et n'était pas de mauvais goût en montrant ce qu'il ne fallait pas. C'était parfait pour un repas du genre.

Par contre, le trajet avait été pénible et elle n'avait même pas pu commenter là-dessus à voix haute puisque c'était totalement de sa faute. Elle avait donc choisi de bouder tout le long du chemin, chose totalement acceptable malgré son âge. Qu'elle essayait de se convaincre en tout cas. Elle s'était tellement concentré à le faire, qu'elle n'avait pas vu le chemin se faire, ni le téléphone d'Oli sonner. Par contre, elle avait entendu son asshole plein de rancœur raisonner dans la voiture. «  Quoi?!? ». Ah non, mais merde quoi. Le mec il allait pas abandonner avant même le début de la soirée alors qu'elle avait emmerdé TOUT LE MONDE pour qu'ils rappliquent. Elle avait attrapé son propre téléphone pour parler à Conrad, bien décidé à avoir de plus amples explications. Ça ne se faisait pas! Non mais! C'était elle qui avait fait tout le boulot en plus! Elle était sans surprise tombée à chaque appel sur la boite vocale de l'homme. Parfait vraiment. Elle avait soupiré, il venait de perdre le peu de confiance qu'elle lui avait mit entre les mains. C'était simple et final. Le groupe s'était arrêté devant l'immense maison du paternel et Sophie était descendue de la voiture bien décidé à entrer tout de même. Escalader le portail? Et puis quoi encore! « Okay je m'excuse d'avoir été chiante, mais n'échappe pas ma sœur Black » avait-elle marmonné en regardant le couple-qui-n'est-pas-un-couple s'organiser dans leur numéro digne d'un cirque. Il ne l'avait pas entendu probablement, mais c'était fait, elle s'était excusée, elle pouvait passer à autre chose. Et parce que bon, elle avait plus ou moins envie de voir sa sœur atterrir sur la tête de l'autre côté du portail, il fallait bien l'encourager d'une façon ou d'une autre le mec. C'était visiblement lui donner bien peu de crédit puisqu'elle avait atterrie de l'autre côté sans même bouger un cheveu. Et bah. Emma avait levé un sourcil de surprise quand le portail s'était finalement ouvert avant de reculer d'un pas. Elle détestait les confrontations et s'était clairement vers cela qu'ils se dirigeaient tous. Elle s'était mordu la lèvre soudainement nerveuse. «  Vous ne préférez pas un resto? Ou aller prendre un verre? On n'est pas obligé de s'imposer! » avait-il dit sur un ton qui lui ressemblait beaucoup plus que celui qu'elle avait utilisé à l'appartement plus tôt. Elle avait même attrapé la main d'Oliver, comme une enfant, pour l'empêcher d'avancer «  Allez.. partons! » Ça n'avait servi à rien puisque le groupe s'était retrouvé devant la porte en moins de temps qu'il en fallait pour soupirer une nouvelle fois. Elle avait croisé le regard surpris de Conrad avant de baisser les yeux sur ses chaussures. Si on le lui demandait, elle avait été entraînée de force dans ce projet. Elle préférait rester derrière son grand frère, c'était encore là qu'elle était le plus en sécurité. C'était facile de faire son effronté devant les gens qu'elles connaissaient et qui l'aimaient. Mais malgré tout, Conrad restait un inconnu dont les réactions lui était tout autant inconnu et ça ne lui plaisait pas du tout. Tout ça était trop réel d'un coup, bien loin des SMS sans vraiment de fond envoyés de temps à autre. Sa main avait serré celle de son frère un peu plus fort. «  Ça va mal finir.... partons. » essaya-t-elle une nouvelle fois.

Disparaître le jour de Noël, arriver en retard – alors que c’est elle qui nous a presque forcé la main pour accepter l’invitation de Conrad – et agresser Alex sans aucune raison, il n’y a pas à dire, le comportement d’Emma est en train de me poser un sérieux problème. J’aimerais retrouver la petite sœur que j’ai quitté il y a quelques mois et pas quelqu’un que je peine à reconnaître, mais ça, je ne crois pas qu’elle soit prête à l’entendre et je ne me sens pas légitime pour lui faire une quelconque leçon de moral. C’est finalement Sophie qui s’élance à sa suite et j’ai l’immense honneur et plaisir de me retrouver en tête-à-tête avec Alex qui, pour ne pas changer, ne rate pas une occasion pour me rappeler qu’il ne me porte pas dans son cœur. Tant mieux, c’est étrangement réciproque. « T’as de la sérieuse concurrence pour la place du Grimm le plus imbuvable de la famille, mec. » Je lui lance un regard en coin avant de rétorquer d’un air désinvolte : « Oui, alors que toi, tu resteras toujours la pire des raclures, Black. » J’en oublie bien vite les promesses faites quelques heures plus tôt à ma sœur et Kinga, je sais, mais j’évite qu’une guerre n’éclate – ce qui est déjà bien – et je pars rejoindre Kinga dans la cuisine, préférant laisser en plan l’autre énergumène.

« Tu ne veux pas monter devant, tu es sûr ? » C’est qu’elle est drôle ma sœur, vraiment. Sauf que dans l’immédiat, ça ne m’arrache ni rire, ni sourire et elle n’obtient qu’un regard noir de ma part, échappant de peu au levé de majeur. Supporter Alex toute une soirée me procure autant de joie que ma propre pendaison, c’est pour dire. Le trajet est horrible. Emma fait la tête de son côté, je tire plus ou moins la tronche du mien, et entre nous deux, Kinga essaie d’entretenir une discussion avec Sophie, mais je ne suis pas certain qu’elle soit très concluante. Et quand on arrive, c’est au tour de Conrad et son coup de fil de jouer avec mes nerfs. Peut-on avoir un vingt-quatre décembre plus horrible que celui-ci ? J’annonce, avec agacement, que notre cher géniteur nous lâche et qu’on a fait le déplacement pour rien. Alex joue la carte du sarcasme et si je ne le détestais pas, je l’embrasserais pour lui dire à quel point je suis heureux de se retournement de situation, Emma s’offusque et Sophie s’agace, autant sur nous que sur ce pauvre interphone sans défense. Et j’imagine que s’acharner sur celui-ci et ordonner à Conrad de nous ouvrir est un échec, puisqu’on est toujours planté comme des imbéciles devant sa demeure. Mais Sophie, c’est Sophie, et pour mon plus grand malheur, elle n’abandonne jamais. « Je vais escalader le portail. » Je manque de m’étouffer avec ma salive et je dévisage ma cadette, plus déterminée que jamais. Pourquoi on ne fait jamais dans les normes chez les Grimm ? « On peut aussi rentrer à la maison et commander à manger ou… » Ou rien du tout. Alex est déjà en train de l’aider à escalader le portail et seriously ? Je détourne les yeux, sous le regard amusé de Kinga qui me chuchote que j’exagère un tantinet, ce qui est évidemment faux. Puis, quelques secondes plus tard, le portail s’ouvre et j’imagine qu’on n’a plus vraiment le choix… Allons fêter Noël en famille, yay. Mes doigts entrelacés avec ceux de Kinga, on s’apprête à rejoindre Sophie et Alex, quand Emma attrape ma main de libre pour me tirer en arrière et m’empêcher de faire un pas de plus. Je pivote dans sa direction, les sourcils froncés. « Allez.. partons ! » Parfois, j’ai dû mal à la suivre. Tout à l’heure, elle semblait bien en confiance devant Alex, assez pour lui faire des reproches en tout cas, et maintenant, elle a peur que ce repas tourne au vinaigre. « Emma, ça ne pourra pas être pire que ce que ça aurait déjà été… » C’est vrai quoi, qui s’attend à un repas joyeux et calme ?

La porte s’ouvre sur un paternel plus surpris que jamais et visiblement pas dans sa plus grande forme. Alors comme ça, sa vie ne repose pas que sur le mensonge ? Ça peut être bon à noter. Son regard passe de tête en tête avant de se poser sur mon visage, furieux. « Ne me regarde pas comme ça, je n’y suis pour rien. » Et ça ne me réjouit pas plus que toi, tu vois. « On peut rentrer ou tu vas nous laisser à la porte ? Après, on peut repartir aussi, tu sais, ce ne sera pas le premier Noël qu’on fêtera sans ta petite personne. »

Ce que femme veut, femme obtient. Ew. Pour être honnête, je n'ai pas tellement envie de passer la soirée avec Conrad. Parce qu'on sait tous que ça va être tendu, que ça va être tout plein de faux, que ça va éclater à un moment. J'aurais préféré passer Noël dans mon nouvel appartement, à embarrasser Oliver devant Kinga, à écouter les petites piques pour la lutte de mâle alpha des deux imbéciles qui chargent l'atmosphère d'ondes négatives, à retrouver une Emma un peu moins téméraire et plus elle-même. Mais Conrad nous a invité, ça fait une bonne semaine que la rousse nous tanne pour qu'on soit ouvert d'esprit et qu'on s'embarque vers un semblant de réconciliations... Et surtout, Conrad a voulu nous poser un lapin à la dernière minute et ne veut plus de notre présence chez lui. Et tout d'un coup, c'est l'une des choses dont j'ai le plus envie. Le type nous abandonne, se ramène quelques années plus tard, agite le drapeau blanc pour finalement renchaîner sur un non en fait, ne venez pas pour Noël, lol. Il ne tient pas beaucoup à sa vie, je pense. Mais surtout il n'a aucune idée de nos caractères, de qui nous sommes devenus, et s'il croit vraiment que je compte hausser les épaules et laisser tomber - comme tout le monde en a envie - il se fourre le doigt dans l’œil jusqu'à son intestin grêle.

J'escalade le portail avec l'aide d'Alex, j'aurais préféré passer la soirée seule avec ce grand Monsieur, aussi, mais c'n'est pas l'moment d'aborder ce sujet, la foule est en délire, les sifflements et les applaudissements résonnent alors que le mécanisme du portail se met en marche et que celui-ci s'ouvre sur ce qui ressemble de manière très étrange à une petite famille. La foule a l'air plutôt très ennuyée de ce nouveau retournement de situation. Eh. Les efforts que je fais, l'amour que je leur porte, pour ça ?! « Vous ne préférez pas un resto? Ou aller prendre un verre? On n'est pas obligé de s'imposer ! » Je retiens à peine un soupir agacé. J'aurais bien voulu entendre ces mots de n'importe qui, mais pas de ma petite sœur qui est un peu la cause de tout ça à la base. « Sérieusement, Em ? » Je rappelle que de nous trois, c'est elle qui est la plus encline et apparemment à l'aise avec la situation Conrad. Elle ne peut pas reculer maintenant, alors qu'on a ramené toute la famille et les plus un, alors qu'on a le cœur ouvert et l'esprit de Noël. Or some bullshirt like that.

Je mène donc la troupe au front, puisque la troupe est déjà en train de faire trois pas en arrière, et fais retentir la sonnette de la porte. J'entends à peine la voix d'Emma qui demande une nouvelle fois à ce qu'on parte. Ça va mal se finir... C'est que ça a mal commencé, aussi. Conrad vient nous ouvrir et je l'accueille de mon air le plus fier et arrogant possible, bras croisés. Il nous referme la porte dessus et je brûle la maison, qu'on se le dise. Et surprise, ils se sont multipliés. Je crois qu'il a oublié combien d'enfants il a eu en voyant le petit nombre que nous sommes. Et j'en échapperai presque un rire, si effectivement il n'avait pas l'air plus en forme que ça. « Well, you do look like shit. » Jaunâtre, même. Oliver, ne vieillis pas, tu vas finir par ressembler à ça. Malgré moi, mon estomac se serre à la vue de ce paternel décrépi. J'aurais préféré le croire mort, et garder les bons souvenirs que j'avais de lui. Je me récolte un regard noir pour ma remarque, et j'ose à peine y répondre d'un sourire. Son regard passe de tête en tête, ses yeux s'écarquillent légèrement lorsqu'il doit la lever pour tomber sur le visage d'Alex. Il finit par Oliver. Comme si Oliver était le chef de famille, ah-ah, arrête de me sous-estimer avec cette vision sexiste Grimm Senior. « Ne me regarde pas comme ça, je n’y suis pour rien. » THAT'S RIGHT I'M THE BOSS HERE. Je n'ai le temps de rien rajouter que le rouquin enchaîne. Est-ce qu'on rentre, du coup ? D'un point de vue pratique, y a-t-il au moins de la nourriture qui nous attend pour un repas convivial, ou on s'est fait arnaquer sur toute la ligne. « On peut rentrer ou tu vas nous laisser à la porte ? Après, on peut repartir aussi, tu sais, ce ne sera pas le premier Noël qu’on fêtera sans ta petite personne. » Po-po-po, shots fired. Le visage de Conrad se défait, et j'aurais presque envie d'en rire si ce n'était pas trop réel. « Ne me parle pas comme ça, Oliver. » Et je crois vraiment que Conrad a des soucis d'autorité avec notre frère, mais on fera une psychanalyse familiale plus tard, ok ? « Eh, en même temps, ce n'est pas faux. On rentre, du coup, ou pas ? » Je demande, plus pressante. Je ne vais pas escalader sa maison pour rentrer par la cheminée, promis. « Je suis malade, Sophie, j'ai besoin de repos. » Et quelque chose me dit que derrière malade ne se cache pas un simple rhume, aujourd'hui. Et que ce quelque chose est un tantinet plus grave et explique son retour parmi nous. Et la colère, elle reprend sa place toute trouvée dans mon estomac. « Si tu es en train de nous dire que tu es mourant, Conrad, je risque de te briser le nez. » And I'm a woman of my word, be careful. Son visage est encore plus défait, maintenant, et il nous fait signe d'entrer. Finalement.

Je vais peut-être faire les trois pas en arrière maintenant, moi.

Mais derrière moi il y a Alex, qui pose gentiment sa mimine sur mon épaule. T'es de quel côté, Black ? On finit par entrer dans un silence pesant, dans une maison trop grande et trop blanche. Les porteurs du nom Grimm se défient du regard, tandis que les autres ont l'air particulièrement mal à l'aise de la situation. C'est Emma qui repose la question, d'une voix hésitante et presque éteinte. Conrad prend son temps, comme s'il cherchait à mesurer ses mots, avant d'acquiescer. Il est mourant. L'affirmation prononcée, mon coeur fait un bond dans ma poitrine. La main d'Alex vient trouver la mienne, le bras d'Oliver se rapproche de moi pour empêcher un quelconque mouvement mais je ne bouge pas. « J'ai pas l'impression que tu sois revenu pour apprendre à nous connaître, avant la fin, Conrad. » Je déclare, calmement, d'une voix blanche et presque sans émotion. Je sens déjà la colère, familière, animer mon estomac et l'adrénaline réveiller tous mes sens. Mais ça fait plusieurs mois, depuis son retour et depuis notre première discussion, que je sens que notre père nous cache quelque chose. Que ses ambitions pour nous retrouver ne sont pas altruistes mais purement égoïste. Le regard brun tient le mien de longues secondes, avant qu'il ne se décide à répondre. « Ce n'est pas le cas, effectivement. »

Palme de pire père du siècle attribuée à Conrad Grimm, et de Noël le plus bizarre à l'année 2018.

FIN