Les sourcils d'Alex sont froncés, ça fait bien deux minutes qu'il observe le petit tube d'un air dubitatif. Et d'un côté, il est fichtrement mignon à être si sérieux et concentré. D'un autre, je n'ai pas toute la vie devant moi. Enfin si, normalement. Mais là, présentement, non. « It's your job to put color on people, so just do it, Alex. » Je suis bien obligée de râler, captant l'attention du brun dans le miroir de sa salle de bain. « First of all, no. » Second of all, je me tourne vers lui avant qu'il ne recommence son petit discours de Do I look like a fucking hairdresser Sophie ? et de I prefer black anyway et gneugneugneu. Je lui prends le petit tube de peinture rose, l'ouvre, le lui rends. On se défi du regard quelques secondes, j'ai très envie de l'embrasser mais il est trop grand le bougre, et je reprends ma place initiale face au miroir. « If it fucks up, don't blame me. » Si ça foire, ça n'est censé durer qu'un shampoing cette petite chose, alors bon. « It won't. I trust you. » Je rajoute, avec un mince sourire.

C'était une idée de Jude, évidemment. Pour le nouvel an, notre squad est gentiment invité à se teindre au moins un bout de cheveux. On aura l'air cool sur les photos, tu verras. Soit. J'ai très peur qu'Alban ne vienne en blond platine et qu'on ne soit obligé de le renier, mais soit. Pour ma part, je pars sur des mèches roses. Pas folle la guêpe, pas extravagante non plus. J'aime bien mes cheveux en ce moment, je n'ai pas envie de les détruire pour faire plaisir à mes gueux de meilleurs amis.

Et si ça foire, c'est de la faute de Black.

Black que je retrouve dans son salon, cette fois, quelques trente minutes plus tard et avec des cheveux roses. Honnêtement, je trouve ça plutôt joli. Mais comme je suis clingy and needy af, j'ai besoin de validation. Je vais donc me planter devant lui, il relève la tête et m'observe silencieusement. Un, ça ne m'aide pas, deux, je vais mourir s'il continue de me regarder comme ça, trois, mOuRiR, quatre, ou l'embrasser sauvagement et je ne vais pas pouvoir aller fêter le nouvel an avec mes copains, ce sera dommage. « C'est moche, c'est ça ? » J'annule ma soirée pour le nouvel an et je reste dans ma chambre ? Je maudis Jude et ses idées pas lumineuses du tout ? Les lèvres d'Alex s'étirent enfin en un de ses sourires si jdieodjie et mon cœur manque quelques battements. « Nah, you look hot. » Et je me mets à glousser, parce que je suis une personne subtile, avant de prendre la place qui est désormais la mienne j'ai décidé sur les genoux du brun. Ma bouche vient chercher la sienne, les cheveux ne restent pas peignés très longtemps et l'une de ses mains repose même très fièrement sur mon fessier.

On s'amuse, on s'emballe, mais le temps passe mine de rien, et je dois y aller.

« Allright babe, gotta go. » La voix de la raison que je suis rencontre un grognement frustré de sa part, et ça me fait rire. Quelques derniers baisers volés plus tard, un remerciement pour ma nouvelle couleur de cheveux et un « à l'année prochaine ! » de très mauvais goût, je quitte l'appartement d'Alex pour aller rejoindre mes camarades de toujours.

Certains ont le confort de vivre dans une maison. Et non, je n'ai pas choisi mes amis selon la fortune du compte en banque de leurs parents, de quoi parlez-vous.

Je frappe à la porte et appuie sur le bouton de la sonnette sans ménagement. Je suis un peu trop heureuse de passer la soirée avec mes amis, de changer d'année, j'ai hâte, ça faisait longtemps. « ALLEEEZ les gueux ! Ouvrez ouvrez ! » Je suis littéralement en train de taper du pied sur le petit perron de Walker quand on vient m'ouvrir. « Ah ! » Enfin ! Et mon sauveur se voit agresser d'un câlin, parce que je suis comme ça.

Clingy and needy af.

L’horloge au mur affiche 16 heure trente, et Jude est encore emmitouflé sous la couette devant un dessin animé, avec Finn dans ses bras, et leur petit chien, qui dormait sagement au pied du lit, family portrait what?. Est-ce qu’il a la motivation de bouger ? Absolument pas ! Est-ce qu’il le faut ? Oui. Définitivement oui ! Ils n’avaient pas trouvé mieux que de regarder les cinq légendes. Et c’est absolument passionnant pour le blond. Il avait enfin décidé de prendre une semaine de vacances, pour profiter un peu du temps avec Finn, pendant les fêtes. Surtout après noël. Il s’en voulait encore de l’avoir laissée toute seule, le soir du réveillon. Mais ils avaient tous les deux des plans pour le nouvel an. Elle chez des amis, et Jude, chez les siens. Enfin, chez Ash, avec une réunion officielle du squad. Ca faisait d’ailleurs bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas retrouvés. Ils ont tous des emplois du temps de ministres ces enfants, que voulez-vous. «  Tu devrais aller te préparer sunshine.. » Murmure Finn qui papouillait les cheveux du garçon. COMMENT VOULEZ-VOUS QU’IL SORTE DU LIT APRES ? «  Mhm, nan j’ai pas envie » Râle le garçon, en allant gentiment ronronner dans le cou de la blonde. « Tu vas te faire engueuler parce que t’es encore en retard » Elle ajoute. Jude souffle bruyamment, avant de se lever trainant des pieds jusqu’à la salle de bains, et c’est en voyant le tube de coloration violette, qu’il se souvient que parfois, il aimerait ne pas donner d’idées. Semi-permanent, ça ne va pas prendre longtemps, à poser heureusement. Habitué des colorations et surtout pour faire plaisir à Sophie, il pose la couleur diluée pour donner un violet un peu lilas, et attends patiemment, assis au bord du lit pour rien tâcher, il savait parfaitement qu’il allait se faire gronder par sa petite amie, s’il tâchait les draps avec la couleur. Et c’est parti pour une demi-heure de pose.

En relevant la tête après avoir séché ses cheveux, il se retrouve face à son reflet et à l’impression d’être retourné bien des années en arrière. Ca faisait au moins quatre ans, qu’il n’avait pas abordé une coloration violette. La dernière fois, ça devait être au lycée. Oof, it’s been a long time, he old now. Il prend bien soin de se coiffer correctement, tout en laissant de la place pour que Finn puisse s’occuper elle, de fouiller dans le peu de produits de beauté qu’elle avait. Elle est jolie au naturel, c’pas comme si elle en avait besoin vous savez. Après s’être vêtit d’une chemise noire et d'un noeud papillon que lui avait offert Finn, elle l'avait presque mis au défi de le porter à la soirée. Mais il avait besoin de garder de sa personnalité quand même, il porte donc un jeans à trous. Il retourne dans la salle de bain. Il en avait des bonnes idées Jude, en plus de donner l’idée de la coloration, il avait en toute volonté de briser les codes, que chacun à cette soirée devrait impérativement porter des paillettes. Il devait donc subir le sort que lui-même s’était infligé. Et c’est Finn qui se charge de lui mettre des paillettes, parce qu’il a deux mains gauches, sauf pour jouer de la guitare, là il a des mains régulières. Mais il pourrait aisément se crever un œil le garçon, et le soir du 31 c’est un poil la merde quand même de se crever un œil. Passer la nuit aux urgences, entre les ivrognes, et les accidentés de la route. Oh hell no, what a phobia.

«  Mais arrêtes de bouger, non de dieu !! » Râle Finn, excedée. « Mais c’est froid ton truc » Couine le garçon sous le roll-on à paillette de la blondinette, qu’elle passait sur les paupières fermées de Jude. Il était affreusement désespérant parfois. Il râlait même souvent pour rien, mais au final Finn réussit à faire quelque chose de lui, et il se retrouve avec les yeux tout pailletés, et les joues également ainsi que le bout du nez, elle lui en avait même versé dans les cheveux. « Merci, princesse » La remercie-t-il dans un baiser, avant d’aller enfiler ses sneakers et sa veste. Il allait vraiment être en retard, et se faire taper sur les doigts encore, et s’il veut finir cet album, il en avait besoin, de ses doigts le petit. Il va embrasser une dernière fois sa petite amie, avant d’hurler en sortant. «  J’y vais, je vais en retard. Bonne soirée Princesse » they’re cute.


En plus de pas être en avance, il compte bien s’y rendre à pied, il n’a clairement pas la foi de conduire pour se rendre à la soirée, et puis s’ils boivent un peu trop, ce n’était pas très safe de prendre la voiture, alors à pied. Il met une bonne vingtaine de minutes pour rejoindre la maison d’Ashton, qui ne vivait pas si loin que ça au final. Il est fort bien heureux tout de même de passer la soirée avec sa bande de copains. Ils sont amis depuis le lycée, et sans eux, la vie de Jude serait bien triste. Camarades un jour, camarades toujours, que voulez-vous. Une belle bande de bras cassés, mais ils sont cools, et contrairement à beaucoup de bandes d’amis au lycée, eux sont toujours aussi soudés. Il vient frapper à la porte du bouclé, qui lui ouvre assez rapidement, Sophie est même déjà là. «  Hi Motherfuckers. » Dit-il en entrant après avoir tchecké Ash, et serré Sophie dans ses bras. «  Le rose te vas bien Fifi, fais ça plus souvent. » Dit-il en ôtant son bonnet pour découvrir ses cheveux lilas, fier comme tout, d’aborder une nouvelle couleur, et puis il est tout heureux Jude, et ça, ça fait plaisir à voir. Ah les fêtes de fins d’année. Elles sont magiques pour lui, cette année plus que toutes les autres. « Ils sont en retard les autres glandus?»

Kevin Kinsella était un être mi-homme, mi-koala. Approchant presque de la moule, à ce rythme là. Mais il savait être l'homme de la situation, quand il le fallait. Et là, c'était une situation d'urgence. Il avait suffi que je hurles à la mort depuis la salle de bain pour accourir en se demandant bien ce qui pouvait se passer là-dedans. Parce que ça faisait bien deux heures que je m'y étais cloîtré. « Love, dis-moi que tu peux arranger ça. Sinon Sophie va se moquer de moi jusqu'à la fin des temps. » je geins, ta tignasse dans les mains. Comment expliquer ça simplement ? La condition d'entrée à la soirée du squad que l'on formait au lycée était d'avoir les cheveux colorés, de manière partielle ou complète. Encore une lubie de Sophie ou de Jude, certainement. BREF. REVENONS AU PROBLÈME. Possible que je n'aie pas laissé poser la teinture assez longtemps. Au lieu d'un beau blond peroxydé temporaire (qui allait faire tomber les autres dans les pommes, c'était le but) comme indiqué sur la boîte, je me retrouvais avec les cheveux bien trop éclaircis quasiment partout. Un espèce d'acajou-roux-marron-bizarre, contrastant avec mes cheveux sombres. Sympathique. Je me retourne vers le châtain avec des petits yeux larmoyants, quémandant un câlin pour me réconforter. Il me souffle qu'il y a toujours une solution avant de m'enserrer dans son étreinte. Et là, je lâche un petit soupir tremblotant, telle une pucelle dans un film romantique. Faible homme que j'étais face à l'une des progénitures Kinsella.

Pour couronner le tout, j'avais été affublé de paillettes pour dissimuler agrémenter la coloration totalement ratée. Est-ce que c'était mieux ? Pas spécialement. Et d'où est-ce qu'il sortait ces paillettes argentées, nom d'un samossa ? Je n'étais pas sûr de vouloir le savoir.

Un sourire élargit mes lèvres quand il me gratifie d'un "ton pull est vraiment ignoble, mais ça fera l'affaire" parce que c'est l'effet escompté. J'espérais détourner l'attention de mes cheveux par cet habit vraiment moche, avec ces vieux flocons aux couleurs douteuses. J'enfile mes chaussures, le gratifie d'un baiser appuyé en lui soufflant de passer une belle nuit avec ses amis (dont Robyn, envers qui je n'avais quasiment plus de rancoeur, même injustifiée) avant de disparaître dans la nuit. Et non, je n'avais toujours pas passé mon permis alors la moitié de la ville avait pu profiter de ma tignasse étrange et scintillante. Je crois même avoir vu des gens me prendre en photo, j'allais me retrouver dans le tableau des flops capillaires de Cristina Cordula, j'en mettais ma main à couper.

Je dois encore être en retard mais je m'en fiche, c'est rien comparé à l'amas brillant sur mon crâne qui attirait inexorablement le regard.

Quand je sonne chez Ashton, de la musique remplit déjà les lieux et le porche est illuminé de guirlandes qui clignotent. Mais c'est qu'on met le paquet pour l'année à venir, Walker. Mais la porte est entrouverte, parce que nous sommes des hippies et que tout va bien, c'est open bar. Atteignant le salon en synchronisation parfaite avec les paroles du guitariste. « Le retard, ce n'est qu'un concept inventé par l'homme pour faire culpabiliser les autres, Barbatruc. » je déclare avec un air savant que je n'ai absolument pas, avant de faire une rapide révérence. Venant déposer un doux baiser sur la joue de Sophie, taper dans les mains des autres garçons d'une manière que j'espère virile, parce que rappelons-le, je suis un mâle alpha. « Aucun commentaire, je vous prie. J'me sens assez mal comme ça. Je pense me suicider avec un cracker pour m'éviter de trop souffrir. » je continue, théâtralement, avant de me laisser choir sur le canapé. La vie était si compliquée.         

La nouvelle année, je n’avais pas spécialement l’intention de la célébrer. À moins que de rester en pyjama toute la soirée devant un film romantique, accompagné de chips, en patientant bien sagement que minuit sonne, puisse être pris en compte. J’attendais avec une certaine excitation, mais surtout une grande appréhension le trente-et-un décembre, mais pas pour les mêmes raisons que quatre-vingt-dix pour-cent de la population. Après les derniers événements, mon cœur et mon esprit, n’avaient pas le goût à la fête et tout ce dont j’avais besoin, c’était qu’on tourne définitivement la page de deux mille dix-huit et que notre famille se remette doucement de ces longs mois de traumatismes. Le cauchemar allait se terminer en même temps que cette année et je n’avais pas la moindre intention de lui rendre honneur. Alors quand il a été question de passer la soirée chez Ashton tous ensemble, j’ai simplement décliné l’invitation en précisant que je n’étais malheureusement pas libre. Mon excuse ? Ma famille. Pourtant, ils avaient tous des occupations différentes à cette date. Nos parents sortaient avec des amis, Jasper également et pour les jumelles, bien que j’ignorais leur programme, je savais qu’elles n’étaient pas disponibles, mais à part moi, ça, personne ne le savait. Et même si ça m’ennuyait de mentir à mes plus proches amis, je me voyais mal leur expliquer la véritable raison de mon refus. Sans doute par égard pour Sophie pour qui les derniers mois étaient tout aussi douloureux que les miens.

Mais chez les Linskey, rien ne reste secret très longtemps.

Soixante-douze heures avant le jour J, Stella a compris que j’envisageais de rester cloîtrée chez moi et elle ne s’est pas gênée pour me répéter à la moindre occasion que j’avais tort et qu’elle m’en voudrait pour le restant de mes jours si je ne faisais pas acte de présence. J’ai résisté. Vraiment. Mais la veille, ne supportant même plus le son de sa voix, j’ai craqué. J’ai prévenu tout le monde que s’ils voulaient encore de moi, je serais des leurs. Et me voilà, à quelques heures de la soirée du nouvel an, à devoir chercher une coloration pour respecter le thème ou le dress code, qu’importe, imposé par Jude. Lui et ses idées saugrenues. Un plaisir. Je passe plus de vingt minutes à essayer de choisir quelle teinture blonde m’ira le mieux – plus foncé ? Plus clair ? I don’t know !, avant de repartir avec les deux. Quitte à faire disparaître mes cheveux châtains, autant que ma nouvelle couleur tienne plusieurs mois et qu’elle m’aille un minimum au teint.

Quand je quitte enfin le magasin, je sais pertinemment qu’il va falloir que je me dépêche si je ne veux pas arriver la dernière. Même si, on dit clairement : ‘la meilleure pour la fin’ ou encore ‘les stars se font toujours désirer’, tout ça, tout ça. Mais le destin ayant sans doute décidé de ne pas me faire arriver à l’heure, un brun au visage bien trop familier m’intercepte juste avant que je n’atteigne ma voiture. Adam. Ces derniers jours, nos rencontres s’intensifient et j’en viens à me poser de sérieuses questions. « Je vais finir par croire que tu me suis, tu sais. » Par exemple. « À moins que, la journée, tu troques ta cape pour tes lunettes d’espion ? » On ne sait pas, c’est tout à fait probable. On échange quelques banalités, puis notre discussion à deux pas de mon véhicule se termine au Starbucks, autour d’un café qui sent bon Noël. Les minutes défilent, puis les heures, et, à contre cœur, je suis obligée de mettre fin à cet agréable moment.

Maintenant, je suis réellement à la bourre. Il ne me reste plus que deux heures pour me préparer et je panique. Mes cheveux ne sont pas prêts, je ne sais pas quoi me mettre et bon sang, je me mets beaucoup trop la pression. Argh. Je m’empresse d’appliquer la coloration sur mes cheveux et, pendant que le produit repose, je vide littéralement toute mon armoire sur mon lit. J’opte finalement pour une robe pailletée et j’envoie un message à mes deux sœurs pour leur faire confirmer la tenue et surtout pour être certaine que je n’en fais pas un peu trop. Mais les connaissant, elles me répondront que c’est parfait. Quelques secondes plus tard, mon téléphone vibre entre mes mains et je pousse un léger soupir en découvrant leur SMS. Un ‘Tu es parfaite sœurette !’ s’affiche en double sur mon écran. Je n’ai pas le temps de savoir si elle le pense vraiment ou non et je termine de me préparer en vitesse.

Je ne suis pas à l’heure, mais je ne suis pas non plus très en retard. Disons plutôt que c’est acceptable et qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur. J’espère.

Une quinzaine de minutes plus tard, je gravis les quelques marches qui me séparent de l’entrée et sourit en apercevant les guirlandes électriques qui illuminent le perron. Je sonne et sans attendre qu’on vienne m’ouvrir, je pousse la porte. Alban est déjà en train de se plaindre et ça me fait légèrement glousser. Finalement, Stella a bien fait de me forcer la main, ils m’ont tous beaucoup trop manqué. « Si tu veux, je peux te fournir le cracker. » Bah quoi ? Je rejoins mes amis, tout sourire, les serrant dans mes bras à tour de rôle. Je constate également que tout le monde à joué le jeu et que nous abordons tous fièrement une nouvelle couleur de cheveux. Finalement, ce n’était pas une idée si tordue que ça.

C’est une tradition : depuis la lointaine époque du lycée (c’est qu’on ne rajeunit pas n’est-ce-pas), la soirée du Nouvel An se célèbre avec tout le Squad, et uniquement le Squad. Outre la garantie d’une bonne ambiance, c’est surtout l’occasion de tous nous retrouver autour d’un ou plusieurs verres de Champagne et de catch up sur la vie de chacun. Parce que oui, on a la chance de toujours vivre dans la même ville et de se voir assez régulièrement, mais lorsqu’il s’agit de rassembler cinq individus presque adultes dans un même endroit au même moment, ça relève du miracle. Rien que d’organiser un anniversaire surprise pour Untel ou Unetelle nécessite au moins trente-six jours ouvrés de discussion sur le groupchat, j’vous jure que c’est pas simple tous les jours.

Cette année, et comme depuis quelques temps déjà, je me suis auto-désigné comme organisateur/hôte/hôtel-éventuel-pour-ceux-qui-seront-trop-cuit-pour-conduire. J’ai une maison, pas de voisins chiants, et plusieurs surfaces pouvant servir de lit d’appoint, si jamais. Et puis ça m’arrange, je préfère que la fête vienne à moi plutôt que l’inverse. Même si clairement, I love my friends I love them I love them mais ils bouffent autant qu’une petite armée de pandas et ne picolent pas moins, m’obligeant donc à passer mon après-midi à Target. Est-ce qu’un pack de Champ’ est suffisant ? Combien de paquets de chips ? Trois ? Douze ? Pizza ou salade ? Alban n’avait-il pas décidé de devenir végétarien à un moment ? Est-ce toujours d’actualité ? Planté devant le rayon des surgelés, je pianote sur l’écran de mon portable pour demander confirmation à l’indien, qui finit par me répondre à la négative. Cool cool cool, on est bien tout va bien. J’embarque quand même deux ou trois bouteilles de jus de fruits en plus de celles prévues pour les cocktails, histoire que notre indien national, aka je danse la Macarena nu sur la table basse après deux bières, puisse rester éveillé plus d’une heure. How thoughtful.

Vers dix-huit heures, tout est prêt chez moi. Guirlandes lumineuses, gobelets rouges, saladier rempli de punch. J’ai même fait le ménage et déplacé quelques meubles au cas où certains se sentent de tâter le dancefloor. Tout est prêt, sauf moi. À travers le miroir de ma salle-de-bain, j’observe assez dubitativement le tube de coloration capillaire posé sur le rebord du lavabo. Parce que oui, mon meilleur ami est un homme malicieux qui aime lancer des défis à la communauté sans trop se mouiller lui-même – facile pour lui, ça fait des années qu’il pratique ! Alors ok, j’aurais pu choisir la solution de facilité et acheter une coloration temporaire en spray, mais pour avoir déjà testé le machin, ça ne vaut pas l’coup. J’me suis retrouvé avec les cheveux dorés pendant deux semaines et failli devenir chauve bien trop précocement à cause des nombreux lavages, me forçant à rester enfermé entre mes quatre murs le temps que tout s’estompe de peur qu’un fan sauvage ne m’affiche sur les réseaux. Dark times. Bref. Aujourd’hui, j’ai opté pour du rouge. Simple, efficace. J’aime le rouge, redhair!Jude était mon ère préférée alors why not me, le rouge c’est beau, c’est bien. Rouge, donc.

Et puis, what could go wrong, eh ?

Everything. Everything went wrong. J’ai des regrets. Ça ne va pas du tout, j’ai oublié de mettre des gants et mes doigts sont teintés de rouge, la couleur n’est pas du tout uniforme sur ma tignasse, certaines mèches tirent sur le rose tandis que d’autres donnent un marron-bordeaux douteux… C’est terrible. BUT IT’S FINE. Demain je rachète une boîte de couleur châtain et tout rentrera dans l’ordre, it’s fine. Jude restera le seul membre coloré des Space Boots, it’s fine. Enfin. L’autre partie du défi made in Judicael est davantage dans mes cordes, déjà : pour avoir passé plusieurs années à observer plus ou moins attentivement le processus de maquillage de Noa, les paillettes, je sais faire. Du moins, en théorie. Est-ce que ça se met sur les yeux ? Ou sur les joues en mode highlight ? J’connais des mots du jargon tavu. Meh. Au final, j’y vais au feeling et ça rend pas trop mal, j’pourrais presque me faire passer pour le love child de Matty Healy et de Josh Dun blurryface-era. Could be worse.

Sans grande surprise, les gueux sont en retard. La surprise en revanche, c’est que Sophie est la moins en retard du lot. Je lui ouvre avant qu’elle ne s’endorme sur la sonnette, le petit câlin est là, petit moment small talk il fait froid en ce moment, eh ? et ah le rose te va bien jusqu’à ce n’arrive Jude et ses cheveux violets, puis Alban et sa tignasse blousse (mi-blonde mi-rousse). « Aucun commentaire, je vous prie. J'me sens assez mal comme ça. Je pense me suicider avec un cracker pour m'éviter de trop souffrir. » Mes amis sont des drama queens. « Alors t’es gentil, pas sur mon canapé. J’veux pas de tâche… Et ça vaut pour vous tous, tous autant que vous êtes ! » Je rajoute en haussant la voix pour qu’on m’entende depuis la cuisine. Je reviens au salon avec des verres remplis de cocktails colorés, petit parapluie en papier compris, et fait la distribution tandis que la dernière arrivée s’installe à son tour. « Toi aussi t’es blonde !? Est-ce que ça compte dans cheveux colorés, ça ? Je demande un arbitrage-vidéo-shifumi ! » Oui je suis petty, et oui je boude : si j’avais su, j’aurais fait pareil au lieu de ruiner mes boucles pour les prochaines semaines.

Les gueux, non pardon, notre adorable, vénéré, bea- uuuurm rouge hôte m'ont ouvert et Dieu merci, mon premier réflexe a été de câliner Ash plutôt que de me moquer de sa nouvelle couleur de cheveux. Mais c'est arrivé après. J'ai gloussé dans son oreille, avant d'aller tripoter l'une de ses bouclettes digne de la reine d'Angleterre. C'est une bouclette anglaise. « Oui il fait froid, c'pas une raison pour attaquer ma rétine Walker. » Je plaisante, évidemment. Ashton pourrait avoir les cheveux vert sapin qu'il serait toujours beau. Mais je n'veux pas qu'il prenne la grosse tête, non plus, eh. Les autres gueux arrivent au compte-goutte, et sans frapper parce que qu'est-ce la politesse ?. C'est le moment des découvertes capillaires, attention. Je ne sais toujours pas si je dois qualifier Jude de génie ou de parfait imbécile, mais je l'accueille d'un « JUDE JE T'AIME OMG. » parce que ses cheveux sont violets et blblbl, concrètement. Tous mes personnages sont des hoes pour le cheveux violets et je n'suis même pas désolée. Et je lui fais ma tête de mignonne en prenant le compliment pour mes cheveux roses. Merci, j'ai demandé l'aide d'un professionnel, c'est pour ça.

Puis arrive Alban, et là c'est le drame.

Mes yeux s'écarquillent à la vue de sa tignasse lorsqu'il vient m'embrasser une joue, mes lèvres s'étirent immédiatement dans le but d'aller faire un high five à mes oreilles et la main qui vient devant ma bouche ne suffit pas à cacher mon état de choc. « Barbatruc. » Je répète même, bêtement, au lieu de l'appeler par son prénom alors que notre dramaqueen préférée vient s'échouer sur le canapé et menace de se suicider avec un gâteau apéritif, gâteau apéritif que May veut bien lui fournir. « May ! Woaw ! » May est canonissime, comme d'habitude.  Ashton râle qu'il ne veut pas de tâches, agnagna. « Ouiii Papy Walker ! » Par contre, je ne me remets toujours pas d'Alban. Je vais m'asseoir à côté de lui sur le canapé, observant les yeux plissés ses cheveux... Urm, clairement dégueulasses. Allant même jusqu'à pousser une mèche du bout des doigts. « J'ai une question, Alban. T'es prêt ? » On la sent, la moquerie ? Je suis déjà en train de rire, gueuse de nature. « Pourquoi ? » Adieu, magnifique chevelure de Captain Curry. J'espère au moins que ça partira vite, cette chose. Demain, on rachète une teinture noire et on efface tout, ok ?

En attendant, les gueux sont réunis, YAY !

Hôte/Papy/Bartender Ashton revient avec des verres, « Wololo trop mignon ! » les petits parapluies, et la fête commence ! « J'peux choisir la musiiiiique ? » Je me plains déjà. Le problème, quand on a des amis musiciens, c'est qu'on n'a pas le droit de faire le DJ. Sous prétexte que Toto by Africa est une musique débattable, alors que c'est clairement un hymne de notre génération.

Osez dire que l’idée de Jude pour le nouvel an n’est pas bonne ! C’est génial de changer de tête pour une soirée, ou juste pour le fun. Mais le garçon à un avantage considérable, il sait colorer ses cheveux. Et les brûler avec les décolorations aussi, mais ça c’est un autre débat, un peu d’Olaplex et le tour est joué. Jude passion coiffure. C’est pas le cas du squad, et ça, c’est le plus fun, on va voir qui va ressortir avec une super couleur, ou devenir vert ou roux,ou les deux, ça dépends. NE JOUEZ PAS AVEC DES PRODUITS CHIMIQUES SANS PRECAUTIONS, ceci est un message de l’institut Judie, à votre service.

En arrivant, un truc tape dans l’œil, du garçon aux cheveux violets : La. Couleur. De. Cheveux. D’Ashton ! Ce rouge est absolument incroyable ! Et il semble lui aller encore mieux qu’à Jude lui-même, et ça c’est pas juste, mais ce bougre sera canon en toile de jute. Dis donc, dame nature, au lieu de tout verser sur Ashton, elle aurait pu partager. Vraiment une gourgandine celle-là. «  Alors là ! Congrats dude ! Ca te vas hyper bien le rouge ! T’as fais ça tout seul où on t’a aidé ? » Dit le garçon un sourire entendu. C’est loquace un réseau social. Mais tout ça est bien vite arrêté par le cri d’amour de Sophie. «  MOI AUSSI JE T’AIME FIFI. Je savais que ça te plairait ! » Dit-il en souriant à la jeune femme. Son amie avait toujours préféré Jude en violet. Ash, le préférait en rouge, et Jude lui, n’avait qu’une tête. Sosz frenz. Il avait les cheveux violets, une chemise et un nœud papillon, ne lui en demandez pas plus, merci bonsoir !


« T’sais ce qui te dis, Barbatruc ? » Dit Jude en riant. Bordel que ça lui faisait du bien de se retrouver avec cette bande de trous du culs. Ca lui avait manqué. C’était sa deuxième famille ici. Ils sont que cinq. C’est des putains de bras cassés, mais à eux cinq, ils vont conquérir le monde. «  Eh passe à l’appart la prochaine fois, je te ferais ta colo hein ! » Rajoute le violet, avant de rouler des yeux à la remarque de Daddy Walker.. Eh bah si il commence comme ça, ils ont pas finit les cocos, à la moindre miettes c’est en sous-vêtements dans le froid par -5000 dehors.

Des jolis cocktails tout colorés sont distribués. OH UN PARAPLUIE EN PAPIER. Noice ! Ash’s a good host.. Mais ils sont tous interrompus par miss univers, aka May-Line, qui rentre là-dedans, limite en flip hair ! «  Eh beh ! T’as sorti le grand jeu ! » Ajoute Jude, après Sophie, dans toute sa délicatesse naturelle, le garçon manquait même de s’étouffer quand Sophie propose de jouer les DJ. «  Ew, no ! Tu vas encore nous mettre Toto ! Faut pas pousser mémé dans les orties, tu nous fais le coup à chaque fois » Dit Jude en râlant. C’est tout le temps la même chose. Laissons les gens aux goûts musicaux certains lancer une playlist, je vous en prie. «  J’ai concocté des playlist aux petits oignons ! » Des classiques de la musique rock, autant que des morceaux pour s’amuser, et qui leur rappelait à tous, les moments de leur adolescence passé, et des petites surprises. Et non pas des chansons sales. Je vous vois venir. Jude is pure now.

Le Squad, c'est une entité, rendez-vous compte. On devrait le faire entrer dans le dictionnaire. Really. Une belle brochette de branquignoles restés en très bon termes depuis le lycée, c'est pas beau ça ? Il est magnifique ou il est pas magnifique ce carrelage ? Alors malgré l'atrocité de la masse capillaire qui trônait sur mon crâne -et que quelqu'un allait me faire le plaisir de disparaître dès le lendemain, je ne cite personne, Kevinàl'aide, ahem- j'étais plutôt content d'aller à cette soirée. Parce que j'avais l'impression que ça faisait des lustres que je n'avais pas vu mes amis, que la soirée allait être un joyeux bordel connaissant ceux-ci, que l'on allait se battre pour la musique, parce que Toto et Africa. Et j'ai envie de chouiner quand je vois le visage de Sophie se contracter sous l'amusement devant mes cheveux. I thought you were my bestfriend.

Je suis prostré dans le canapé les bras croisés et May, cette gueuze peroxydée, ne m'aide pas à me proposer le fameux cracker qui fera ma perte.  « Traîtresse. » je siffle, plissant les yeux. « Est-ce que j'aurais du ramener les fameux samossas de l'amitié pour éviter tant de méchanceté ? » je demande, théâtralement. Personne ne m'aime. KEVIN, AU SECOURS. Me relevant pour m'agripper au bras de Jude quand il propose de corriger cette malencontreuse erreur, les yeux larmoyants. « Mon Sauveur ! » je couine, hochant furieusement la tête pour appuyer mes paroles. Je peux même faire des brochettes satay de luxe pour sa princesse scintillante. Bref, tout le monde est là. Et ça, c'est bien.

« Dis-moi que t'as préparé des blinis au tarama et j'appelle l'ambulance, Walker. » je grimace, faussement scandalisé. ON ÉTAIT JEUNES, QUAND MÊME. Jeunes et limités, mais jeunes. Et avec des cheveux colorés et plein de paillettes. Mâle alpha who ? Je veux des chips et de la pizza. Des trucs qui épongent le très peu d'alcool que je bois avant d'aller danser sur la table. Mais restons raisonnable, pour le moment. Éclatant d'un rire sonore avant de prendre une gorgée de punch, quand vient la question de la musique. Glissant le petit parapluie coloré dans mes cheveux, tel une vahiné. Autant accessoiriser le tout, hein ? Tahiti vibes. « Dis-moi que t'as rajouté Nickelback et Donna Summer et je t'achète une guitare à Noël prochain. » Dans l'excès ? Si peuuuuuuu.               

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, vivre survivre avec ces quatre-là en tant qu’amis, depuis le lycée, ce n’est pas une mince affaire et ça ne le sera sans doute jamais. Et je n’exagère même pas, promis. Attachiants, qu’on dit, non ? Mais c’est pour ça qu’on s’aime. Je crois. Quoi qu’il en soit, je vous laisse imaginer les dégâts que ça provoque quand on est tous réuni et que, pour couronner le tout, on ne s’est pas vu depuis une éternité. Aucun d’entre nous n’est prêt pour la soirée, ni pour le lendemain matin d’ailleurs, et Ashton va se mordre les doigts d’avoir accepté de faire le nouvel an chez lui, une fois de plus. Heureusement, il y a Sophie pour relever un peu le niveau de maturité – et oui, je roule des yeux actuellement, un problème ? – du groupe.

Et j’ai à peine passé la porte, que la couleur est déjà annoncée. Alban se plaint, mais pour une fois, il y a de quoi. Sa couleur est… bizarre. Mais je suis une gentille amie, alors je ne lui dis rien, les autres s’en chargeront bien pour moi, en revanche, je lui propose de l’aider dans son suicide. Amie gentille, que je disais, of course. Il s’insurge et je glousse. « Les samossas de l’amitié sont de rigueur, tu le sais. Je pense pouvoir te pardonner de vouloir nous rendre tous aveugles, mais l’oublie des samossas, ça… » Qui est le plus traître de nous deux, maintenant, hein ? Et je suis sûre que nous serons tous d’accord pour dire qu’il s’agit d’un acte impardonnable. Mais pas le temps de s’indigner plus longtemps, Sophie et Jude me complimentent et le rouge me monte aux joues. Rougissement qui disparaît dès qu’Ash ouvre la bouche. Je croise les bras sur ma poitrine, fronçant les sourcils. Premièrement, mes cheveux sont colorés, alors oui, ça compte. Deuxièmement, on ne peut pas qualifier les cheveux d’Alban comme étant blonds. Ce serait un manque cruel de respect pour tous les blonds de la planète. « Ne sois pas jaloux, ta couleur aussi te va bien au teint, Walker. » Ça change, certes, mais il est canon comme ça aussi.

C’est que notre hôte a mis les plats dans les grands. On a le droit à des petits cocktails avec le fameux parapluie décoratif. Je pourrais presque, et j’insiste sur le presque, m’imaginer sur une plage aux Bahamas. Parce que sur cette fameuse plage, je suis persuadée que le DJ ne passerait pas Toto à longueur de soirée, et même si j’apprécie cette chanson, il est hors de question que je l’entende une fois de plus. Je suis une overdose de ‘I bless the rains down in Africa’ et il est probable pour qu’elle dure de longues années. Alors au diable la solidarité féminine. « Pour une fois, je suis d’accord avec Jude. » Je risque déjà de perdre la vue ce soir, alors si je pouvais préserver mon ouïe, merci. « Mais ça ne veut pas dire que j’approuve plus tes choix musicaux que ceux de Sophie. » Dis-je en me tournant vers l’intéressé. Après, je veux bien avouer que c’est de ma faute. Je le sais, je suis un peu trop compliquée, mais tout de même.

Un jour, un grand sage a dit que les amis sont la famille qu’on s’est choisi, et d’un côté, c’est très vrai et c’est même très joliment dit. Mais de l’autre, je n’ai jamais signé pour être le père de quatre enfants avec un permis d’alcool à vingt-quatre ans. Parce que c’est pas évident tous les jours, c’est moi qui vous l’dis. En attendant, et avant de virer précocement au blanc, mes cheveux sont rouges et je ne sais pas trop quoi en penser, mes expériences capillaires se limitant au fer à lisser utilisé à outrance au collège, et de la coloration dorée en spray à l’anniversaire de Sophie l’année dernière. Deux erreurs de jeunesse que je préfère effacer de ma mémoire à tout jamais, pour des raisons évidentes. Considérons donc ce carmin comme l’expérience de la dernière chance. Au pire, je fais passer ça pour un cosplay d’Elmo.

Mais Sophie, première arrivée, n’a pas l’air d’avoir reçu le petit mot et il ne lui faut que trente secondes pour se moquer de ma tignasse. « Oui il fait froid, c'pas une raison pour attaquer ma rétine Walker. » Outré. Je suis outré. Je veux changer d’amis. Ma bouche s’ouvre en grand de manière exagérément choquée avant de mieux se refermer pour s’étirer vers le bas. « Méchante. » Pas de pizza pour la gueuse numéro une. Le numéro deux arrive quelques minutes plus tard, les cheveux très violets, et… en chemise ? Diantre, who are you and what have you done to my beanie-hoodie-wearing best friend ? « Woaw, Monsieur a sorti le nœud pap’, carrément ! Classe. » Et quand même, je ne peux pas m’empêcher de glousser en imaginant ma cousine apprendre à Jude comment nouer cette chose autour de son cou. Même si je ne l’avouerai pas de si tôt à haute voix, faut admettre qu’ils sont choux, tous les deux. On échange une étreinte et je l’invite à l’intérieur tandis qu’il me complimente sur mes cheveux. « AH MERCI ! » Regard insistant et plein de jugement sur Sophie. « T’es un vrai, mate. » Il aura droit à la pizza, lui. « T’as fais ça tout seul où on t’a aidé ? » qu’il me demande. J’arque un sourcil et enfile mon manteau de fourrure léopard imaginaire de Sass Masta (TM) avant de le toiser de haut en bas. « All by myself, I’m a strong, independant man who don’t need nobody. » déclarai-je avec un accent exagéré, claquant des doigts en l’air en forme de Z pour plus d’effet. La vérité c’est que je n’ai pas pensé à demander de l’aide à quelqu’un, ça m’aurait peut-être permis d’obtenir un truc uniforme, eh. C’est au tour d’Alban de faire son entrée de drama queen tandis que je m’éclipse à la cuisine en quête des cocktails qui attendent sagement au frigo. Ils ont une belle couleur orange, ils sont bien frais, la petite ombrelle est présente pour la déco, j’ai fait ça bien. « Dis-moi que t'as préparé des blinis au tarama et j'appelle l'ambulance, Walker. » Faut toujours qu’il y en ai un pour critiquer, tseuh. « Venant de quelqu’un qui fait des samossas de l’amitié, laisse-moi rire, Ward. » Je rétorque, en faisant la distribution. C’est totalement de la mauvaise foi, ses samossas sont à se damner et il le sait, ce bougre. « Ya des chips dans la cuisine, sinon. C’est pas impossible que j’ai dévalisé le rayon de Target, ya tous les goûts. » Quand je dis que j’ai fait ça bien ! Pas de course de dernière minute au corner store du bas de la rue à minuit moins vingt parce qu’on est en manque de Champagne, cette année. I came prepared. Ou plutôt they came and I’m prepared. Bref.

En revanche, ce qui ne change pas d’année en année, c’est l’inévitable discussion autour de la playlist de la soirée. Un choix de la plus haute importance, il en va de soi. Sophie est la première à se proposer comme DJ, je grimace d’un air peiné parce que bon, j’adore Toto, pas de doute là-dessus, mais on va le réserver pour la fin de soirée, ok ? Ou au moins au bout de quelques verres. Jude et May protestent également – et de façon bien moins diplomate – tandis que le premier fait remarquer qu’il nous a préparé une playlist toute spéciale. Cute. Maintenant, les goûts musicaux de Jude sont-ils meilleurs que ceux de la rouquine-nouvellement-rose (rosine ?) ? Il y a débat. « Vas-y, fais-toi plaisir. Mais à la première note de Drake ou de Kanye West, tu perds tes droits sur mes enceintes. Capiche ? » Oui je parle italien, ya quoi. Et je connais aussi le penchant inavouable du guitariste pour le rap U.S, personne n’est parfait. Tandis que la musique est lancée, je m’installe sur le canapé entre May et Alban en poussant un petit soupir de contentement avant de lever mon verre pour le premier toast de la soirée. « Allez, cheers, les gueux. Qu’on en finisse avec cette année merdique qu’était 2018 et que 2019 soit bien meilleure pour tout le monde ! J’vous aime. »

Bon, les idées de Jude ne sont peut-être pas si lumineuses que ça. Ou bien, la prochaine fois, il prévient que le coloriage de cheveux est une activité un petit peu compliquée et qu'il faut soit 1. s'adresser à des professionnels 2. ne pas tenter la coloration permanente, jamais Ô grand jamais. Mon meilleur ami est défiguré et termine l'année en beauté. J'ai très envie d'exiger à ce qu'il apparaisse sur l'ensemble des photos qui seront prises ce soir. Avec son air malheureux, on en rira encore dans des années. Mais j'suis une chic fille, tout de même, et je me contente de l'embêter comme une gueuse. On ne change pas les bonnes habitudes, merci. M'enfin. L'important reste que nous sommes enfin tous réunis, que May est CA-NON et Jude violet et Ashton aussi est ca-non mais je prends soin de ses chevilles, et Alban c'est Alban on l'aime comme ça.

On s'arme de petits parapluies et une question très importante n'est pas posée mais est tout de même soulevée par ma merveilleuse personne : la musique. Ai-je le droit de faire le DJ cette année, ou toujours pas sous prétexte que j'ai dû passer environ... Six fois Africa by Toto l'année dernière ? Alban se met à rire, Jude proteste. « Ew, no ! Tu vas encore nous mettre Toto ! Faut pas pousser mémé dans les orties, tu nous fais le coup à chaque fois » Je glousse. Je n'vois pas de quoi il parle, voyons. « Pour une fois, je suis d’accord avec Jude. » MAIS TRAÎTRESSE !!! J'ouvre la bouche en grand, un petit cri s'y échappant. « May-Line Linskey ! How dare you ! » Trahison, disgrâce. Toutes ces belles années d'amitié pour quoi ? Pour être trahie comme ça, d'un battement de cils ? Pour Toto ? Je change d'amis. Non, je n'exagère pas. Je m'en vais, adieux, j'espère que Alex n'est pas déjà en train de boire parce que j'ai besoin de ses papouilles. Je tiens à préciser deux choses dans ce strike : j'ai gloussé très fort en imaginant Alex écouter Africa et environ cinq secondes plus tard, Youtube a mis cette chanson dans le mix oklm. La vie c'est drôle des fois. « Mais ça ne veut pas dire que j’approuve plus tes choix musicaux que ceux de Sophie. » Je n'ai pas eu le temps de partir qu'elle a un peu rattrapé le coup. Bon. Ça m'insulte tranquillement au passage, mais bon quand même. « Faux-frère. » Je marmonne à l'intention de la brune nouvellement blonde. Solidarité féminine my ass. Ash râle un peu, mais c'est finalement Jude qui prend le contrôle des enceintes.

Je suis déçue, je l'admets.

Heureusement que Papy Walker est aux petits soins avec nous. « Allez, cheers, les gueux. Qu’on en finisse avec cette année merdique qu’était 2018 et que 2019 soit bien meilleure pour tout le monde ! J’vous aime. » Aaaw, look at that cutie. Un sourire niais vient s'inscrire sur mes lèvres, tandis que je tends mon verre dans sa direction à la Gatsby. Et Ashton c'est vraiment un papy, à nous souhaiter ses vœux à cette heure-là. « Cheers mothafuckas', love y'all. » Et je lève un petit pouce en l'air lorsque je goûte finalement le cocktail. That shit is GOOD. Je repose le verre sur une surface plane, mollo l'asticot, avant de me diriger vers Jude qui est toujours sur son téléphone pour se connecter en Bluetooth. « Hé, Estelle, t'peux au moins commencer par ABBA ? » Je le séduis d'un clignement d'yeux, avant de hocher la tête vers Alban. « C'est pour Alban, regarde, il est déprimé le pauvre chaton. » Je suis une âme charitable, voyons. L'année prochaine je fais un putsch pour la musique, z'êtes prévenus.

Après tout le nouvel an, c’étais la bonne occasion pour bousculer un peu les habitudes, c’est juste une soirée, et ça ne dure pas vraiment. Si Jude s’est ramené ce soir, chez Ashton avec un nœud papillon et une chemise, c’est uniquement parce que c’est le nouvel an, et accessoirement parce que ce sont des cadeaux de la part de Finn, et qu’il voulait lui faire honneur. Il savait que ça comptait pour elle, et forcément ça compte pour lui. Look at this happy beam Mais ça change de d’habitude. Et s’il n’avait pas eût ça à porter, il serait probablement venu en hoodie, et avec un bonnet sur sa tête comme à son habitude. Il aurait dû s’en douter le garçon, qu’il prendrait des remarques sur son changement de tenue, mais bon ça en valait bien la peine et puis merde, hein, les réunions de famille, c’est pas tout le temps. «  Ouaip, c’est un cadeau de Finn. Ca aurait été bête de le laisser au placard. But thanks mate. » Dit-il avec fierté. On pouvait clairement voir sur son visage d’imbécile heureux, que quelque chose a changé. This cute lil rainbow, is in love people, that’s an announcement, and this is fucking official, for a week, but still. Mais si seulement il n’y a avait que ça qui avait change. Sophie a les cheveux roses, et Ash les cheveux rouges, et ces p’tits cons, sont encore plus beaux que d’habitude, et ça en deviendrait presque complexant. Mais c’est pas le genre de truc qu’on dit à voix haute sous ce toit, alors Jude se contente de complimenter son meilleur ami. Meilleur ami, qui se transforme d’ailleurs ultra rapidement en Sassy Queen. Et ça fait glousser très fort, parce que c’est très drôle, enfin Jude hésitait surtout à savoir ce qui était le plus drôle entre le voir claquer des doigts comme ça, ou son air faussement supérieur.


Il allait répliquer quand un Alban sauvage vient s’accrocher à son bras, en couinant. Petit Alban ne grandira donc jamais. «  Si tu me sors une tournée de plats indiens pour deux, je te rattraperais ce massacre ! » Faut savoir passer des marchés ici, sinon on n’obtient rien, et rien ne vaut mieux que faire des deals à base de bouffe, pour une fois, ça évitera au cuisinier de passer son aprèm dans la cuisine. «  Genre tous les goûts ?! Même celles au Chili ? » La joie pouvait se lire dans les yeux du garçon aux cheveux Lilas. En effet, ce sont ses préférées, on n’a jamais dit que ces goûts en matière de nourriture était extra, hein, mais il a des choses qu’on ne change pas, et l’amour de Jude pour les chip au chili en fait partie. «  T’as fais ça dans les règles de l’art cette année dis donc ! » Qu’il ajoute à la foi moqueur et impressionné. Ils avaient l’habitude de descendre la rue pour répondre à la demande de ceux qui râlaient parce qu’il manquait à manger ou à boire, ça pouvait être drôle de les voir marcher dans la rue, à moitié torchés, surtout les années précédentes, pour aller chercher un peu plus d’alcool. Ah les souvenirs des années précédentes. Cette vielle tradition qui prends fin avec la préparation méticuleuse de Daddy Walker.


Mais le plus grand débat en soirée, reste encore et toujours, la musique. Pire qu’un débat, chacun veut sa part du gâteau. Mais ce soir, c’est hors de question, on n’écoutera pas de Toto. Enfin pas en début de soirée. Ce n’est pas pour autant, que Jude ne l’a pas mis dans la playlist, parce que c’est un incontournable. «  Merci May, t’auras une tournée de gâteaux rapi… PARDON ?! Mes goûts musicaux sont géniaux ! » Et le revoilà qui râle. Prêt à lancer Hotline Bling, il se fait rapidement reprendre par le maître de maison. «  Vous faites chier, sérieux ! Elle fait bouger tout le monde celle-là ! » Il bougonne dans son coin, en branchant tout ce qu’il y a à brancher, avant d’être rejoins par une Sophie à la moue suppliante. Et il ne tarde pas à céder aux exigences de la petite dame aux cheveux roses, il savait très bien qu’il n’aurait pas vraiment le choix, et puis bon, c’est pour faire plaisir. Mais Sophie prendra la responsabilité, s’ils finissent par danser sur les Bee Gees à 21 heures parce qu’Ash aura repris le contrôle des enceintes. Il y a donc Super Trooper, qui nait dans les enceintes, et Jude peut voir le sourire d’Alban, ah la musique, c’est magique. « J’exige une Gibson à Noël prochain, Ward, une Jet Cherry de préférence ! » Qu’il précise en souriant fièrement, avant de venir trinquer à son tour. «  Bah bonne année mes petits gueux du love. On va avoir la meilleure année qu’il soit, et on va fort s’amuser en 2019 ! » Plein plein de belles choses devrait leur arriver en 2019, on espère. « Bon sinon, quoi de neuf la famille ? » Demande le garçon en s’installant dans le canapé, son verre à la main, ça faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas tous réunis, et ils avaient sûrement beaucoup à se raconter.

Comment résumer les dernières soirées du Nouvel An made in Squad ? *raclement de gorge* Des expériences capillaires qui visent clairement à détruire ma chevelure de rêve, j'en suis maintenant certain. Ma kératine ne va jamais s'en remettre. Des cocktails qui semblent à chaque fois préparés par le Diable en personne, vu que tout le monde finit toujours par gazouiller des musiques haut-perché sur la table basse. Des confidences surprises et généralement mensongers qui viennent toujours faire tomber quelqu'un de sa chaise. Du style "je suis enceinte d'Alban", "mon père est en fait ma mère", "j'avoue, j'aime manger les cornichons dans les hamburgers du McDo". Toutes sortes de discours qui viennent animer la soirée et qu'on ressort encore trois ans après, juste pour voir les autres se décomposer. C'est toujours un plaisir de faire plaisir. Il y a les passages imprévus, tels Judie et Ash qui se jettent nus dans la neige "parce que c'est rigolo mec" et qui passent les cinq premiers jours de janvier avec une belle grippe carabinée. Ma soeur qui passe à l'improviste et qui finit par rester et faire un remake de la série de relooking française, avec la femme qui parle étrangement. De toute manière, un nouvel an calme et reposant ne serait pas le nôtre. Toute cette folie, cette énergie pétillante et increvable, c'était celle du squad. C'était propre à notre groupe de joyeux lurons et je ne voulais pas que ça change. Même si mes cheveux étaient réellement foutus.

THANK U VERY MUCH GUYS, I REALLY LOVE YOU, DO YOU FEEL THE IRONY RIGHT NOW ?  

Est-ce que j'ai oublié de mentionner que la musique terminait toujours par créer un débat entre tous ? Écartons May qui n'écoute que Shostakovich et Danny Elfman. Ou des choses du genre. Ce qui limite considérablement les possibilités. We are old school jerks but we're always discussing the playlist. Parce que Sophie essaye toujours de caser à peu près huit fois Toto, à tel point que mon cerveau coule de mes oreilles à la fin. Trouver le juste milieu entre les goûts de chacun était un dilemme et on essayait toujours d'équilibrer les chansons. Précisons quand même que nous sommes tous ivres à la fin et Donna Summer est fichtrement amusante avec de l'alcool dans le sang. Qui se résume à deux bières et un cocktail, pour ma part. Personne n'est parfait, ok ? « Est-ce que tu cherches à me ruiner, Galderan ? » je demande, un fin sourire au bord des lèvres. La musique était bien. Pour l'instant. « Et merci de me prendre en considération, pour une fois. J'apprécie. » je rajoute, rejetant une mèche moche derrière mon épaule. En essayant de retenir un petit sanglot de dépit quant à l'état de mes cheveux. « Tu me papouilles les cheveux, Sophie ? » je quémande, avec des petits yeux brillants. Le papouillage était affreusement réconfortant. « Sinon, je vous aime, les bougres. Une belle année qui s'annonce pour la Dream Team ! Et j'ai fort envie d'adopter un chien, by the way. »            

J'espérais très fort que Kevin n'était pas allergique et n'avait subi aucun traumatisme en rapport avec des canidés.

Le plus gros problème de la soirée n’est pas la fausse bonne idée de Jude ayant provoqué le massacre des cheveux d’Alban, mais bien de savoir ce qu’on va écouter comme musique ses prochaines heures. Et même si mon avis ne compte pas réellement ou qu’on me demande rarement ce que j’aimerais écouter, parce que, soyons honnête, au maximum, on aurait l’impression de se retrouver dans un film type The Lord of the Rings, je sais très bien ce que je n’ai pas envie d’écouter. Et malheureusement pour Sophie, Toto en fait partie. Tant que j’aurai zéro gramme d’alcool dans le sang, je refuse catégoriquement que cette chanson résonne dans les murs du salon. Et c’est rare, très rare, mais aujourd’hui, je suis du côté de Jude. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Sophie est outrée. « May-Line Linskey ! How dare you ! » Je hausse les épaules d’un sourire navré, pas si navré que ça, en fait. Par contre, je veux bien me racheter et faire redescendre Jude de son petit nuage avant qu’il ne prenne la grosse tête. « PARDON ?! Mes goûts musicaux sont géniaux ! » Permettez-moi d’en douter et admettez enfin que vos choix de chansons laissent à désirer, bon dieu ! « La seule personne ici présente avec des goûts potables, c’est Alban. On devrait le laisser faire le DJ. » Attention, je ne dis pas que sa playlist serait parfaite, mais c’est sans doute celle qui se rapproche le plus de ce que j’écoute. Et encore.

Ashton nous rejoint sur le canapé et porte un premier toast en nous souhaitant déjà une bonne année alors que la soirée vient à peine de commencer. Est-ce qu’on doit prendre en compte le fait qu’à 00h01 on sera tous au lit ou pas ?  « Fais attention Walker, tu deviens un peu trop sentimental. » En attendant, il est fichtrement mignon à nous dire qu’il nous aime. « C’est chou et on t’aime nous aussi. » J’accompagne mes mots d’un petit pincement de joue. C’est de sa faute, il aurait dû y penser avant de se mettre à côté de moi. « Cheers ! » Je lève mon verre à mon tour, tout sourire. « Je vous aime et que cette future année soit merveilleuse, tout comme cette soirée. » Et il en sera ainsi tant que la musique sera acceptable. Pour le moment, c’est un grand classique qui s’échappe des basses et je ne peux qu’approuver. Pour une fois, on va peut-être trouver un terrain d’entente. On s’échange tous nos vœux, ce qui est extrêmement étonnant vu l’heure qu’il est, mais on aime bien briser les codes et les conventions. Jude nous rejoint enfin, après avoir bataillé avec son téléphone et les enceintes pour réussir à les connecter. « Bon sinon, quoi de neuf la famille ? » Il y en aurait des choses à raconter, en commençant par ma rencontre assez récente avec Adam, mais je crois qu’il est bien trop tôt pour en discuter et puis, égoïstement, j’ai envie de garder cette histoire pour moi encore quelque temps. Et après ces derniers mois mouvementés et forts en émotions, j’apprécie que ma vie soit plus tranquille et reposante. Et ça, j’imagine qu’il est inutile de le préciser, tout le monde le sait déjà. Alban nous expose alors son envie d’adopter un chien et c’est l’occasion parfaite pour échapper à la question et en plus, ça pourra faire un copain pour Stitch. « Oh ! Tu penses à une race en particulier ? » Cela dit, je ne suis pas certaine que me lancer sur ce sujet soit une bonne idée.

Comme tous les ans, le débat playlist prend beaucoup plus de temps que nécessaire et on en vient carrément au marchandage pour faire plaisir à tout le monde. This squad is a mess. On m’aurait laissé gérer les enceinte qu’on se serait tout de suite ambiancé sur Queen et les Bee Gees tranquilou-bilou jusqu’à minuit, faut pas chercher midi à quatorze heure. Mais Jude a fait ça playlist, il en est fier, alors soit. On part sur du ABBA – un choix solide – et Alban en retrouverait presque le sourire. Suivant la discussion de loin, je fais un aller-retour dans la cuisine pour m’occuper du service, distribuant à chacun de mes amis un grand verre coloré avant de lancer le premier toast. Oui je sais, il est tôt, mais j’en ai encore plein dans ma manche, ne vous inquiétez pas pour ça. Et ils seront de plus en plus niais et bidons, suivant le taux d’alcool dans mes veines, so be prepared. « Cheers, guys ! » Les cocktails s’entrechoquent au centre de la table dans une exclamation de joie générale. Tout le monde a le sourire, ça professe son amour dans tous les sens, on se croirait à la messe, c’est beau. J’en aurais presque la larmichette. « Bon sinon, quoi de neuf la famille ? » Pas grand chose de nouveau de mon côté : je suis toujours en train de peaufiner quelques chansons par-ci par-là pour je l’espère un jour en faire un album, je passe aussi pas mal de temps sur les réseaux à faire la promo du groupe et à envoyer des maquettes à des maisons de disques. C’est plutôt prenant, même si j’aimerais que ça le soit davantage… Je me contente de hausser les épaules en portant mon verre à mes lèvres. Rien de bien palpitant à raconter. Je me laisse retomber dans le dossier confortable du canapé avec un petit soupir de contentement lorsqu’Alban évoque son projet potentiel d’adopter un chien. « Omagad yes please, I want another doooog. » Parce que tous les animaux de compagnie du squad tombent dans la propriété publique de ce même squad, c’est dans les règles. J’aime Stitch d’amour, mais mon cœur est assez grand pour une deuxième bête à poils. « Oh ! Tu penses à une race en particulier ? » Je fais la moue. On choisis pas son chien par sa race, on va au refuge et on choisis celui qui te débarbouille le visage en premier. Simple maths. « Prends-en un gros. Avec un peu de chance il mangera Smoothie. » Smoothie, aka le chat de May et suppôt de Satan en personne. Et rien à voir avec mon allergie aux félins – ok peut-être que ça joue un peu, mais – cette boule de poils est juste vicieuse et je suis persuadé qu’elle cherche à me tuer à chaque occasion.

Deux cocktails et trois bières plus tard, les esprits se désinhibent tranquillement mais sûrement – Alban est déjà parti, vu l’air d’imbécile heureux qu’il arbore en faisant le robot avec ses bras au rythme de Hot Stuff. Forcément, ça chante – faux, j’suis presque sûr que Sophie vient d’inventer un nouvel octave – mais à cœur joie et il ne faut pas longtemps pour qu’on en soit tous à se trémousser dans le salon. Donna Summer, quelle femme quand même. Sans même nous laisser le temps de respirer, la playlist enchaîne sur Burn It To The Ground de Nickelback et c’est comme si on venait de m’insuffler une nouvelle vie. Déhanchements endiablés, head banging, air drumming, air guitar en duo avec Jude dans mon dos, tout y passe. That’s my song, I’m on fire. May et Alban ont abandonné la partie, échoués dans le canapés comme les humains faibles qu’ils sont, et le concert s’achève sur une magnifique grimace de Sophie, une fourchette en guise de micro et les doigts repliés dans le signe du rock’n’roll. « Woooooo, thank you San Franciscoooo ! » On fire, vous dis-je. Et encore, ils ont pas encore mis Bohemian Rhapsody. N’empêche que je serais presque essoufflé par notre petit numéro, dites donc ! J’ai besoin d’une pause avant de me mettre à suer de façon pas du tout glamour. Je me laisse donc retomber dans le canapé, entre May et Sophie cette fois, avant de porter le goulot d’une bière fraiche à mes lèvres. Et glou et glou et glou, il est des nôôôôôtreuuuh. « Aaah, ça fait du bien. » Vive la bière. La bière c'est bon, c'est bien. Merci au revoir. « Ok let’s play a game. J’veux rire un peu. Sophie, you pick. »

Ce que femme veut, femme obtient. Oui j'ai décidé de commencer tous mes RPs comme ça aujourd'hui, aller la bise. Jude diffuse ABBA, et c'est déjà ça de gagné. Je me retiens de chanter dans une réinterprétation de Meryl Streep, parce que ce n'est que la première chanson et que les gueux vont encore se plaindre que je chante mal, et je vais m'échouer tout près d'Alban qui me quémande des papouilles. « J'sais pas si tes cheveux le méritent, mais toi oui. » Tu n'es pas que tes beaux cheveux, petit curry, promis. Je me tourne donc vers l'indien et tends mes mimines pour aller lui grattouiller le crâne et entortiller autour de mes doigts les mèches nouvellement colorées. « Bon sinon, quoi de neuf la famille ? » Quoi de neuf, chez les gueux du love ? A lot. Ma vie n'est qu'enchaînements de petits tremblements de terre, ils sont tous au courant de ça. Ça va mieux, ces derniers temps. Oliver est de retour à la maison, et ça panse beaucoup de maux, mais Oliver n'est pas tellement un sujet que je peux aborder en présence de May. Annoncer à mes copains que mon père n'est revenu dans nos vies que parce qu'il est gravement malade et ne va pas tarder à mourir n'est pas non plus un sujet de veille du nouvel an. Il me reste Alex, mais je sais que le sujet sera inévitablement abordé plus tard, quand les corps seront un peu plus réchauffés d'alcool. En conclusion, quoi de neuf ? « I'M GAY AND PREGNANT WITH ASHTON'S CHILD ! » C'est déjà l'heure des faux potins, don't mind me. Je glousse à l'air choqué du principal intéressé, l'année dernière c'était Alban, Jude you're next. Ma confession terrible est vite oubliée, j'en suis presque outrée, et ça commence à parler chiens. Meh. Je préfère les chats. Par contre, j'ai une objection. « Si tu adoptes un chien, Alban, tu vas avoir encore moins de temps pour moi. Je ne suis pas d'accord, je vais demander le divorce. » Shawn Mendes would treat me better.

Il faut trois chansons et un cocktail de terminé plus tard pour qu'on se lance enfin dans notre habituel performance des party du squad. La playlist de Jude est, je l'admets, aux petits oignons. Comme il dit. Alban a le droit à Donna Summers, j'ai le temps de performer entièrement Don't Stop Me Now en utilisant tout le salon et mes camarades pour rendre la chose dramatique, Ashton se réveille dès la deuxième note de Nickelback. Tout va bien. Le monde ne tourne pas rond mais il est un peu plus léger, ce soir, merci Dame l'alcool et la bonne compagnie de los copinos. Après cette énième interprétation où on a tout donné, on se laisse tomber sur le canapé comme des poupées molles. Ça fatigue, quand même. Mon manque d'endurance est la seule raison qui explique que je ne fasse pas partie des Space Boots. On sait tous qu'ils auraient grandement besoin de mon joli minois sur leurs affiches pour être célèbres, pourtant. Tranquille, les chevilles. « Ok let’s play a game. J’veux rire un peu. Sophie, you pick. » C'est Ashton le patron, c'est lui l'hôte de la soirée. Et on le sent tous venir, ce petit cri du cœur, celui qui fait déjà soupirer les plus aigris et glousser les plus éméchés... « TRUTH OR DARE ! » Parce qu'au fond on a toujours 15 ans, parce que c'est drôle, parce que c'est tout aussi incontournable que la macarena d'Alban sur la table quand il aura vraiment trop bu. Mais ça râle déjà, j'vous jure, ils sont pas cool les gueux. « Oooooou aloooors, fuck, take a bullet for, murder. Mais on sait tous très bien qu'on veut juste savoir où Jude en est dans sa relation de couple maintenant qu'il met des chemises, et qu'il va falloir lui tirer les vers du nez. » Je fais ça pour le bien commun de tous, c'est une évidence.

Comme à chaque fois dans ce groupe, je me retrouve à être la victime incontestée des railleries quand à mes goûts musicaux, et ça commence à me courir sur le haricot. Ils aiment pas le rap US, et ça, c’es très nuls, ils aiment rien de toute manière. Oui je suis un Caliméro des temps modernes, f i g h t me. Bref, on finit par passer du ABBA et tout le monde est très contents et Alban retrouve le sourire, bien que je ne sache pas vraiment si c’est à cause de la musique, ou grâce à Sophie, reine mère des papouilles. On est allègrement servis par Ashton qui se prends pour l’hôte parfait, ce qu’il ai, mais j’ai déjà dit que je prendrais soin de ses chevilles, alors pas trop de compliments pour le monsieur. Ca trinque dans tous les sens, et notre petit groupe est tout heureux, je crois que ça faisait longtemps que ça nous était pas arrivé, d’être heureux tous ensemble, en même temps, de nous réunir aussi, mais tout le monde à des emplois du temps de ministres par ici. Entre les petit.e.s ami.e.s de tous, les boulots, la famille, le groupe, pour Ash et moi, c’est pas simple je vous dis. Puis c’est l’heure des confessions, Sophie prétends une grossesse surprise avec l’enfant d’Ash et une sexualité nouvelle. « Duh, comme si on allait te croire. » Alban confesse son envie d’avoir un chien, et ça remue les foules. Ici, parler d’animaux, c’est sacré, un nouvel animal dans le squad et ça devient l’enfant de tous, mais Sophie elle râle qu’elle aura encore moins d’attention, et Ashton veut tuer Smoothie, on peut dire que les choses sont allées très loin très vite. « Prends en un mignon, et je demande à être parrain d’honneur de ce chien, merci. » Ca relève de la famille à ce niveau-là. Adoptons tous des animaux, s'il vous plais.

On boit, beaucoup, des cocktails, des bières. Et ça monte très vite dans les veines de tout le monde. Des danses plus ou moins ridicules, des fausses notes toutes les secondes, mais ça glousse, et ça fait du bien, d’être réunis de cette manière. On perds May et Alban dans la bataille, qui finissent échoués dans le canapé, à glousser comme les faibles gueux qu’ils sont, alors qu’Ash et moi donnons une superbe représentation d’air guitar et batterie, dressés sur la table basse, alors que Sophie nous sert son meilleur lipsync. Nous sommes des imbéciles, mais nous sommes des imbéciles ivres et heureux. Je veux jouer cette chanson sur la prochaine tournée en cover, c’est un rituel de mettre un cover dans nos live, j’en veux un, et je veux Burn it to the ground. Ce n’est pas discutable. Je pique une casquette à Ash avant de me jeter aux côtés d’Alban, qui couine que j’ai posé mes fesses sur ses cuisses. « T’avais qu’à me faire de la place, et je suis sur l’accoudoir d’abord. » Que je râle à mon tour, avant de piquer une nouvelle bière sur la table. Bière avec laquelle je manque de m’étouffer par deux fois. Une fois quand Sophie propose un Truth or Dare, parce que je glousse comme un gueux, j’aime bien ce jeu.  Mais la deuxième gorgée passe mal parce que Sophie vient pointer du doigt ma toute fraîche relation avec la cousine de notre hôte de ce soir. Pour remettre les choses dans leurs contexte, j’ai déjà pris une droite par le dernier concerné, et bien qu’il m’ait offert un paquet de petits pois pour se faire pardonner, j’ai pas trop envie de réitérer l’expérience, surtout maintenant que c’est officiel. « first of all, fuck yaself, second, je voulais essayer de venir un peu plus habillé que d’habitude. But okay je veux bien jouer. » Comme si on avait le choix de toute façon, Sophie est un être aussi fourbe qu’adorable. May et Alban ils râlent. Ils râlent souvent quand ils sont ivres mais ils sont mignons, on leur pardonne. « Qui commence ? » Demandais-je, en me hissant pour aller piocher dans le sachet de chips au chili.