Allongée, je ravale un sanglot et, entre mes mains, je serre les côtés de ma robe. L'atmosphère est glacial et mon cœur se gèle petit à petit. Je suis incapable de bouger et je regarde Owen partir. Même s'il me tourne le dos, je peux deviner le sourire qui étire ses lèvres, le même qu'il avait quelques minutes plus tôt. Il ferme la porte derrière lui, me laissant là, seule. Je ne pleure pas, je n'en suis pas capable. Je ferme les yeux, contrôlant ma respiration du mieux que je peux. J'inspire. J'expire. Je remonte mes genoux jusqu'à ma poitrine. Mes ongles s'enfoncent dans ma chair, traversant mes collants. Je vais me réveiller, oui, ce n'est qu'un cauchemar. Mais quand j'ouvre de nouveau les yeux, je suis toujours au même endroit, rien n'a bougé, rien n'a changé. Je pourrais dire que tout s'entrechoquent dans mon cerveau, que mes pensées s'emmêlent, mais en vérité, je ne pense à rien. C'est le vide. Une brume épaisse m'enveloppe dans une douce étreinte dans laquelle je me laisse aller. J'ignore combien de temps je suis restée là, sur le sol, à tenter de donner un sens à ce qui vient de se passer. Mais il n'y en a pas et il n'y en aura jamais. Les minutes défilent et je retrouve enfin la force de me relever et de réajuster ma robe. Je croise mon regard dans l'un des immenses miroir du vestiaire des garçons et frissonne. Mon reflet me dégoûte. J'ai l'impression de ne plus me reconnaître, c'est comme si j'avais perdu une partie de mon âme. Je détourne les yeux et quitte en courant le gymnase. Mes muscles me font mal. Mon être tout entier cri de douleurs et de désespoir. Je traverse les couloirs du lycée la tête baissée, évitant les regards des autres élèves, par peur qu'ils puissent lire en moi ce que je souhaite oublié. Un nœud se forme au creux de mon ventre. Pitié, tirez-moi de là.

Lorsque je passe l'immense portail de l'école, Stella m'attend appuyée contre le grillage. Elle pianote sur son portable et je l'observe quelques instants. Elle sourit, sans doute amusée par ce qu'elle est en train de lire. A ce moment-là, je la hais. Elle et sa bonne humeur. Elle et sa popularité. Elle et sa perfection. Je n'ai jamais autant détesté me retrouver dans la même école qu'elle qu'aujourd'hui. Qu'est-ce que j'aurais donné pour qu'elle soit déjà à l'université, loin de moi afin de rentrer toute seule. Et heureusement, Luna, sa jumelle, est à son cours d'art, qui ne devrait pas se terminer avant une heure et demi. J'essaie de faire bonne figure, mais je peux lire sur son visage qu'elle m'attend depuis un petit moment déjà et je crains qu'elle ne me demande pourquoi j'ai mis autant de temps à sortir. Alors, pour éviter toute intrusion dans ma vie privée, je prends les devants et lui sort une excuse à deux balles. « Désolée, un prof m'a retenu. » Je ne lui laisse pas l'occasion de me répondre ou de me poser plus de questions que je me mets en route. Je veux rentrer. Je veux m'enfermer dans ma chambre et oublier. Je sors de mon sac ma paire d'écouteurs et mon portable. Je n'ai pas envie de parler et j'espère bien lui faire comprendre que je ne suis pas d'humeur. Malheureusement, la batterie est à plat et même si je peux toujours faire semblant, je sais que c'est peine perdue. Parce que Stella, elle porte bien son prénom. Stella, c'est l'étoile qui ne cesse jamais de briller, toujours de bonne humeur, toujours là pour vous remonter le moral, même quand tout vous semble perdu. Seulement, aujourd'hui, je n'ai pas envie de son enthousiasme et je ne veux pas de son optimisme. Je remets, avec rage, mes affaires dans mon sac et accélère le pas. Avec un peu de chance, elle ne pipera mot jusqu'à ce qu'on soit rentré, mais j'ai un doute.

Quand j'avais dit que Stella ne lâchait jamais l'affaire et qu'elle ne sait jamais s'arrêter quand il faut. Cette fille brille bien plus le soleil et aujourd'hui, j'aimerais qu'elle s'éteigne. Là voilà maintenant qu'elle se tient devant moi, m'obligeant à m'arrêter pour ne pas lui rentrer dedans. Elle sourit à pleine dent, me disant que jamais je ne devinerais qui vient de lui envoyer un SMS. Très bien, je suis persuadée que c'est l'un des types sur qui elle bave depuis des jours. Pas difficile de deviner. Seulement, entre les crush de Stella et ceux de Luna, je fini par m'y perdre. Ainsi, je ne sais plus qui est à fond sur qui. Je lève les yeux vers le ciel en haussant les épaules. De toute façon, ce n'est pas comme ci, actuellement, cette information qu'elle semble croire capitale m'intéressait. « Je n'en sais rien, Stella. » dis-je dans un soupir. J'aimerais ajouté que c'est également le cadet de mes soucis et que j'aimerais seulement et simplement qu'elle me laisse tranquille, mais je ne dis rien. Je n'ai jamais parlé comme ça à ma sœur et je sais qu'elle comprendrait que ma mauvaise humeur n'est pas due qu'à un simple problème qui sera oublié dès demain. « Allez May, devine. Ça va rendre ta journée meilleure, j'en suis certaine. » Je réagis à peine à sa phrase et pourtant, à l'intérieur je boue. Si je n'étais pas aussi abasourdie par ses propos, je crois que je pourrais me mettre à ricaner. Rendre ma journée meilleure ? Oh ça, je ne crois pas. On pourrait gagner au loto, m'annoncer que les licornes existent ou même me dire que mon personnage de roman favori est devenu réel par on ne sait quel tour de magie, ma journée resterait aussi horrible. La seule chose qui pourrait l’égayer, ce serait que quelqu'un me propose qu'on remonte le temps ou alors qu'on m'efface les souvenirs. Mais encore une fois, je me contente de garder une expression neutre sur mon visage et de me taire. Je fais mine de réfléchir, alors qu'en réalité, je calcule le nombre de minutes qui me restent avant d'arriver à la maison. Et à cette allure là, je peux vous garantir que dans quinze minutes, on n'aura toujours pas quitté la rue du lycée. Alors je lui emboîte le pas en la contournant et hausse les épaules en signe de réponse. « Je ne sais pas. » Mais mon intuition me dit que je ne vais pas tarder à le savoir. « Alors va s'y, dit-moi. Je donne ma langue au chat… » Je sais qu'en lui demandant de m'en dire plus, je m'embarque dans une discussion à laquelle je n'ai pas envie de participer. Stella, quand elle parle, on ne l'arrête plus et si, en plus, elle vous parle avec passion, vous êtes sûr et certain d'en avoir pour des heures de monologues et sans aucun moyen de vous défiler. Elle est comme ça quand elle nous parle de surf ou des fonds marins. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi passionné qu'elle. Tout ce que je sais de l'océan, c'est grâce à elle. Et s'il y a bien un autre sujet sur lequel elle est digne d'un moulin à parole, c'est les garçons. Elle fait tourner toutes les têtes, je le sais, elle le sait et elle doit certainement en profiter un peu. En même temps, je crois que je peux la comprendre, quand on tient les rennes, on se sent suffisamment puissant pour se permettre de faire ce qu'on veut. Des fois, j'aurais aimé être à sa place. Être la fille respectée qu'elle est et pas seulement sa petite sœur intello. « Alors, tu me dis qui c'est ou pas ? » je la presse un peu, comme pour montrer mon impatience qui n'est qu'imaginaire, qu'une façade.

Faire un effort ? Et puis quoi encore ? Ne comprend-t-elle pas que, pour une fois, je n'ai aucune envie de prendre part à son petit jeu de devinettes ? C'est réellement insupportable. Je lève les yeux au ciel, faisant mine de réfléchir afin qu'elle me fiche la paix. Après un petit moment de réflexion, je fini par lui dire que je n'en sais réellement rien, ce qui est vrai vu que je n'ai pas la moindre petite envie de faire un quelconque effort et que je donne ma langue au chat. Mon ton est un peu trop sec par rapport à d'habitude, signe de mon agacement passager. Mais Stella n'en démord pas et ne semble pas prendre en compte mon énervement. Fidèle à elle-même. Je suis persuadée que je pourrais lui dire, là, maintenant, d'aller se faire cuire un œuf qu'elle ne réagirait pas. Elle passerait sans doute mon bras autour de mes épaules et me demanderait avec la plus grande douceur pourquoi je lui en veux. Les jumelles ne partagent pas énormément de points communs, mais s'il y en a bien un, c'est celui-ci. Elles savent rester calmes. Quoi qu'il puisse arriver. « Ok, ok. Bon alors, t'es prête pour cette révélation fracassante ? Je te préviens, tu vas être folle d'excitation. » Je la regarde en haussant les sourcils. Bon sang, rien que ça ? J'espère vraiment que son mystérieux prince charmant  vaut le coup d’œil sinon je demande un dédommagement. Ce n'est pas comme ci elle me prenait la tête avec ça depuis dix bonnes minutes déà ! Elle se place devant moi, l'air sérieux et poses ses mains sur mes épaules pour m'obliger de m'arrêter. « Sérieusement Ella, tu es obligée de faire tout ce foin ? C'est juste un garçon… » terminais-je en marmonnant. Elle sourit et je me demande si c'est par rapport à ma réflexion concernant la gente masculine ou si elle est déjà à trois milles lieux d'ici, dans les bras de cet homme mystère. « Allô le soleil, ici la terre. Arrête de me faire mariner et dit-moi qui c'est ! » Histoire que je puisse faire semblant d'être heureuse pour toi, qu'on rentre enfin à la maison et que tu trouves une autre personne à embêter avec tes histoires de cœur qui, aujourd'hui, ne m'intéresse pas le moins du monde. Et pourquoi ? Parce que l'amour, c'est juste une connerie. « Mesdames et messieurs, l'élu n'est autre que... O-W-E-N. » Je blêmis. Le sol s'écroule sous mes pieds et je manque de vaciller. Si ma sœur ne me tenait pas fermement par les épaules, je serais sans doute déjà par terre. Pitié, non. Pas lui. C'est quoi son but à ce pauvre type ? Avoir toutes les sœurs Linskey. Je ne prête plus attention à rien, je ne me rends même pas compte qu'on avance de nouveau. Je suis passer en mode automatique, je ne contrôle plus mes gestes. « Devine qui va, pour une fois, bien s'amuser à une soirée? C'est mooooooi ! » Le souffle me manque et je me dégage de de l'étreinte de Stella pour m'appuyer contre un lampadaire. Je tente de reprendre une respiration normale, de faire passer cette horrible crise de panique qui paralyse tout mon corps. Une fois remise un peu de mes émotions, je regarde ma sœur, droit dans les yeux. « Tu… tu ne peux pas y aller. » Non, ça, elle ne peut pas. Je suis prête à parier qu'il lui réserve très exactement le même sort et il en est hors de question. « Pas Owen. S'il te plaît. » J'aimerais lui dire de se méfier de ce type, mais en parler, ce serait d'expliquer ce qui s'est passé et je ne peux pas, je n'en suis pas capable. J'ai trop honte et je me suis fais la promesse d'emmener ce secret dans ma tombe.

On pourrait me poignarder avec trois milliards de petits couteaux que l'effet serait le même. Depuis ce matin, je dois être en plein cauchemar, ce n'est pas possible autrement. Oui, il n'y a que cette explication logique. Je me pince le bras, ferme les yeux avec force et les rouvrent. Mais rien. Rien n'a changé. Je me sens toujours aussi mal, aussi misérable et Stella est toujours là, l'air ravie d'avoir obtenu ce rendez-vous. « Putain ! » Le juron est sorti tout seul et je regarde ma sœur en fronçant les sourcils. Elle semble me prendre pour une folle ou pire encore… Je peux lire dans son regard qu'elle est presque blessée que je ne sois pas contente pour elle. Mais comment l'être après ça ? Je souffle en prenant mon visage entre mes mains avant de lui lâcher avec froideur. « Quoi ? » Je n'aime décidément pas la façon dont elle me regarde, vous savez, celle qui vous fait comprendre que vous venez d'une autre planète. « C'est quoi ton problème avec Owen ? » Oh, si tu savais… Peut-être que tu ne me croirais même pas. Je lâche un petit rire nerveux avant de reprendre ma route. Je marche d'un pas rapide, réfléchissant à vive allure. Je ne veux pas lui dire la vérité, mais elle ne doit surtout pas croiser la route de ce mec, surtout pas en privé. Stella me suit, je le sais, j'entends ses chaussures claquées sur le bitume et se rapprocher. Mais c'est sa voix qui me rattrape, m'obligeant à m'arrêter de nouveau pour la regarder. « Franchement May, fallait me le dire si c'était chasse gardée hein ! » Je hausse un sourcil, surprise. « Chasse quoi… ? » « Puis tu pourrais être contente pour moi plutôt que de faire ta rabat-joie ! » Fuck. J'ai toutes mes raisons d'être rabat-joie ! Et quant bien même tout ceci n'était qu'un vaste mensonge, ce n'est pas comme ci j'essayais depuis le début de l'année d'attirer l'attention de ce fameux Owen ou comme ci j'en parlais à longueur de journée. Mais elle devait être trop occupée par ses propres conquêtes pour m'écouter un minimum ou s'intéresser à mes problèmes de cœur. Pour la première fois, j'ai l'impression d'être trahis par ma propre sœur. Mais elle est là ma porte de sortie et elle me tend les bras. « Oui, pardon, la prochaine fois je mettrais une pancarte à l'entrée de ma chambre pour te préciser quel garçon du lycée m'intéresse ! » Je n'arrive pas à croire que je sois en train de dire ça. Rien que d'imaginer que j'ai pu m'enticher d'une ordure pareille me donne la nausée. « Bon, tu vas me dire pourquoi je ne peux pas aller à cette soirée ? » Je lève les yeux au ciel. Elle n'a toujours pas compris ou elle le fait exprès ? Je croise les bras sur ma poitrine et me mords l'intérieure de la joue. « Tu veux entendre quoi exactement ? » dis-je dans une grimace. « Que je suis amoureuse de lui ? Très bien ! Et bah oui, figure-toi que je suis amoureuse de lui depuis le premier jour de lycée et que ça aurait pu te crever les yeux si tu faisais un tout petit peu attention à moi ! » J'ai beau mentir, en partie du moins, ma colère, elle, elle est bien réelle. « Et figure-toi que ça me briserait le cœur si tu sortais avec lui, mais je suis prête à mettre main à couper que tu t'en fiches et que tu vas aller à cette fête ! » J'essaie de la faire culpabiliser, je sais c'est mal, mais c'est la seule solution que j'ai trouvé pour qu'elle évite à tout prix ce garçon. Je la défi du regard pendant quelques secondes avant de reprendre mon chemin. J'en ai marre de m'arrêter tous les dix mètres pour discuter. Je veux rentrer, merde.

Je ne sais pas si je suis soulagée ou si je me déteste encore plus. Je mens, à ma propre sœur, certes, pour son bien, mais tout ça reste un mensonge. Je me sens honteuse de tout aujourd'hui et je déteste cette sensation. Quoi qu'il en soit, la nausée ne me quitte pas et le fait qu'elle saute à pieds joints dans mon mensonge n'arrange rien. Rien du tout. « Si tu y tiens tant, je te le laisse ! » Je la regarde et lui sourit. Un sourire qui transpire la fausseté, mais que j'espère convaincant. « Merci. » Que dire de plus de toute façon ? Il ne nous reste que quelques minutes de marche avant de regagner la maison et j'ai, cette fois ci, maintenant que tout est réglé, continuer en silence. Mais c'est, évidemment, bien trop demander à ma sœur qui retrouver sa joie habituelle et son entrain. Décidément, elle ne va pas lâcher l'affaire ! Je lève les yeux au ciel, bien décidé de l'ignorer et de faire comme ci je n'entendais absolument pas ce qu'elle me disait. « À défaut d'être mon mec beau et séduisant, il pourrait être mon beau-frère beau et séduisant... » Cette idée me révulse, mais à un point… C'en est presque imaginable, croyez-moi. Puis sérieusement, ce n'est pas un peu tordu de me sortir ça ? Que son pseudo futur beau-frère, c'est à dire mon mari, serait beau et séduisant ? J'aurais presque l'impression de devoir me méfier de ma propre sœur, elle pourrait me piquer mon mari ! « Est-ce que tu lui as déjà parlé au moins ? » Oh mon dieu. Pitié. « Ouais, je lui ai déjà parlé. » Et ça, au moins, ce n'est pas un mensonge sorti tout droit de mon imagination. Je presse la anse de ma besace contre mon cœur et soupir d'agacement quand Stella reprend la parole. Est-ce qu'elle a un bouton mute ou off quelque part ?  Je m'arrête donc et me tourne vers elle. « Quelle est donc ton idée fabuleuse et que je risque de regretter ? » Comme d'habitude avec les idée de Stella de toute façon. En général, j'ai plutôt tendance à suivre les idées de sa jumelle. Plus censée, moins risquée, plus terre à terre. Mais, il faut bien l'avouer, Stella à aussi beaucoup plus d'idées loufoques et on ne peut pas s'ennuyer avec elle. Quoi qu'aujourd'hui, j'aimerais bien m'ennuyer. « Tu vas aller au rendez-vous à ma place et lui faire passer la meilleure soirée de sa vie ! Après ça, il ne pourra plus jamais se passer de toi et ça sera dans la poche ! » Je manque de m'étouffer avec ma propre salive et je suis prise d'une subite quinte de toux. « Pardon ? » Je la regarde avec des yeux de merlans fris. Si moi, je trouve cette idée absolument horrible, elle, elle doit la trouver fabuleuse. Sans doute sa meilleure idée de tout les temps ! « Hors de question… Je… » Elle me coupe subitement la parole, me faisant prendre conscience que finalement, je n'ai pas bien le choix. En fait, je suis complètement coincée. « Ah, et j'oubliais : Owen est à toi, mais si je vois que tu ne fais rien pour qu'il s'intéresse à toi, je considérerai qu'il est de nouveau sur le marché ! C'est toi qui vois. » Je serre les poings et pousse un petit grognement. Je sens les larmes me monter aux yeux, je suis à deux doigts de craquer. J'essuie mes yeux avant de demander d'une voix basse. « C'est quand cette soirée… ? » Je suis vraiment dans la merde.

Le sol se dérobe sous mes pieds et je me sens tomber dans un gouffre sans fond. Dites-moi que c'est une blague, par pitié. Une bien méchante blague. Elle ne peut pas être sérieuse… Ce soir ? Non, non, NON ! Comment est-ce que je vais bien pouvoir me sortir de ce guêpier ? Je pousse un petit gémissement plaintif tout en regardant du coin de l’œil ma sœur qui sort son portable. Il ne manquerait plus qu'elle me dise qu'on doit partir tout de suite et je suis bonne pour la potence. Bon sang, qu'est-ce qui m'a pris ? « Nous n'avons plus que deux heures pour te préparer ! Et vu ta mine affreuse, ça ne sera pas de trop, crois-moi. » Je cligne plusieurs fois des yeux, pas certaine d'avoir bien entendu. « Hein ? Tu te paies ma tête ? » Et puis, ma mine affreuse et moi, on t'emmerde Stella. Je secoue la tête de droite à gauche, c'est au-delà de mes forces, j'en ai marre de toutes ces conneries, je veux qu'on me fiche la paix. Je m'apprête à lui dire que j'ai tout inventé, mais Stella me couple une nouvelle fois la parole pour m'annoncer qu'il a de l'expérience avec les filles. Really ? De l'expérience ? Je retiens un rire nerveux et un sanglot. Puis arrive la question fatidique qui m'enfonce un pieux dans le cœur. J'ai l'impression de mourir pour la seconde fois aujourd'hui. Je détourne le regard et tourne le dos à Ella. Non… Oui… Peut-être ? J'en sais rien putain. Je revois la scène défiler sous mes yeux et la bile me remonter à la gorge. Je vais vomir. Elle en rajoute une couche sur les exploits d'Owen et c'est là que je prends conscience que je suis vraiment tombée amoureuse d'un monstre. Ce type n'a aucun respect pour la femme. Et quant bien même il n'était pas le premier connard de cette planète, sa réputation le précède. Je n'aurais jamais dû être attiré par un mec pareil. Il collectionne les filles, les prends pour trophée. Il n'a pas le moindre sentiment et jamais il sera capable d'éprouver quoi que ce soit. Je reste silencieuse, ce qui doit convenir à Stella. Elle doit s'imaginer que je ne l'ai jamais fait et se contente de mon silence. Tant mieux. « De toute façon, que tu l'aies déjà fait ou non, rien ne t'oblige à accepter. Si tu n'as pas envie de le faire avec Owen, il suffit simplement de lui dire. Il n'y a pas de honte à refuser de faire ce qu'on n'est pas prête à faire. Puis de toute façon, faut les faire mariner un peu les garçons ! Sinon, ce n'est pas drôle. » Intérieurement, je bouillonne. « Parce que tu crois que ce que pense les filles l'intéresse plus que sa libido ? » dis-je en marmonnant. Voilà. C'est sorti tout seul et je m'en mords les doigts maintenant. Pourquoi j'ai dit ça ? On arrive devant la maison et je constate que Stella n'a pas dû entendre ce que j'ai murmuré ou alors, qu'elle n'en a fichtrement rien à faire. Si ça se trouve, ça l'arrange que je pense plus ou moins du mal d'Owen, ça lui laissera le champ libre. Mais à peine la porte passée, elle m'annonce qu'on a du boulot. Sur mon style je présume et mon look en général en fait. Je lâche mon sac de cours aux pieds du porte-manteau tout en observant Stella avancer vers la cuisine. J'avance lentement dans le couloir, jusqu'à ce que je crois mon reflet dans le miroir. Je fais peur à voir et les battements de mon cœur s'accélèrent. J'ai l'impression de me retrouver de nouveau dans le gymnase, de sentir ses mains, tout. Je vacille, faisant tomber l'une des décorations que notre mère adore tant et me rattrape de justesse au buffet. J'entends à peine la voix de Stella et je crois déceler celle de ma mère qui semble furax à cause de ma maladresse. C'en est trop. Je ne peux pas. Je relève la tête pour dévisager ma mère et ma sœur. Je pleure à chaude larmes et avant de me sentir emprisonnée dans ma propre maison, j'attrape mon sac et quitte le domicile familiale en courant.