C'est aujourd'hui que j'ai décidé d'être prête. Je me suis réveillée ce matin en étant convaincue que ce jour était le bon pour des retrouvailles en famille, pour une nouvelle vie. C'est lorsque j'ai mis les pieds en dehors de la maison de Barth que j'ai commencé à douter, à ne plus être aussi sûre de moi. Et maintenant que je me trouve en face de l'appartement de May, je panique clairement. Mes mains tremblent, ma gorge est sèche et je suis figée sur place. Cela fait quelques jours que j'ai réussis à mettre la main sur ma sœur. Internet a été mon plus grand ami pour ça. Après avoir trouvé les infos que je cherchais, je l'ai suivie à travers la ville, ne sachant jamais comment l'aborder. C'est vrai quoi, que pourrais-je bien lui dire ? Hey, salut soeurette, ça fait longtemps ! Comment tu vas ? On oublie définitivement cette idée ridicule. Oh coucou May, comme tu as changé ! On oublie aussi. S-U-R-P-R-I-S-E, finalement, je ne me suis pas suicidée ! Mauvaise idée. Donc voilà où j'en suis actuellement. Plantée devant chez elle, à imaginer mille scénarios différents. Mais en définitive, je pense qu'aucune entrée en matière n'est meilleure qu'une autre. Alors, je dois arrêter de faire mon bébé et prendre mon courage à deux mains. De toute façon, il faut bien que je passe par là.. C'est décidé, dès que ma sœur pointera son nez ici, j'irai à sa rencontre.

Une heure plus tard, je vois enfin sa fine silhouette dans la rue. Elle s'apprête à rentrer dans son immeuble, et avant de perdre toute contenance, je traverse la rue qui nous sépare. May est dos à moi, et les battements de mon cœur redoublent. J'ai peur de faire soudain demi-tour, alors sans plus attendre une seconde de plus, je crie : «May !» Je ne suis pas certaine qu'elle m'ait entendu, mais au moment où je pense qu'elle va se retourner, la pression augmente encore et mes jambes menacent de lâcher. Je reprends néanmoins mes esprits et me rapproche de ma sœur. «Salut soeurette...»   Ouais, en fait, il y a bien des entrées en matière meilleure que d'autres. Et celle-ci n'en fait pas partie.  

« Allez Stitch, on rentre. » Le concerné jappe, pas spécialement enchanté par cette décision. « Ce n'est pas comme ci tu avais le choix de toute façon. » Avec lui, si je l'écoutais, on serait encore là à la tombée de la nuit, à jouer à la balle… Il est donc aux alentours de dix-sept heures quand je reprends le chemin de la maison. Après une bonne heure de balade avec mon chien sur la plage, il est temps de rentrer. Je ne travaille pas ce soir et j'ai bien envie de profiter de ma soirée pour lire ou regarder une série tout en me goinfrant de mets tous aussi gras les uns des autres. Et après réflexion, je pourrais tout aussi bien faire les deux. En première partie de soirée, une bonne lecture et pour finir, Netflix. Ce programme me semble parfait. Je profite donc du chemin du retour pour passer à la supérette où j'achète trois sortes de chips différentes et au moins un kilo de bonbons. Je ne suis pas sûre de manger tout ça ce soir ou même dans le mois à venir, mais au moins, j'ai tout ce qu'il faut pour une soirée réussie. Enfin presque. J'attrape une bouteille de soda au passage avant de passer en caisse. Cinq minutes plus tard, je suis de nouveau dehors, mon sac de courses à la main.

Ce n'est que quinze minutes pus tard, après avoir traîné Stitch sur un kilomètre pour l’obliger à lâcher des yeux la chienne de notre voisine, qui est bouchère – c'est à se demander s'il a vraiment un faible pour elle ou s'il essaie de se mettre la maîtresse dans la poche pour obtenir des saucisses et autres viandes – que j'arrive devant mon immeuble. Je cherche dans mon sac mes clefs, mais elle reste introuvable. « C'est pas vrai. » Puis Stitch commence à s'impatienter, à moins que ce soit autre chose, il se met à tirer sur sa laisse et à aboyer sans raison. C'est la première fois que je le vois dans cet état d'excitation. J'ai l'impression qu'il veut me faire passer un message, mais malheureusement, je ne parle pas le langage canin. « Mais qu'est-ce qui t'arrive ? » je lui demande d'une voix douce tout en le caressant sur le sommet de la tête. « Tu es pressé de retrouver Smoothie ou quoi ? » Aucune chance. Ils ont beaux faire les gentils en ma présence, je sais qu'ils se détestent. Ils sont jaloux l'un de l'autre et passe son temps à se chercher des noises dans mon dos. Alors que je m'apprête à insérer la clef dans l'entrée de l'immeuble, une voix sortie d’outre tombe me fait sursauter. « May ! » Impossible. Je dois rêver. Ou halluciner. J'ai peut-être abusé du soleil. Je me tourne, lentement, cherchant la propriétaire de cette voix que je reconnaîtrais entre mille. C'est là que je la voix, s'approchant de moi, légèrement hésitante. J'ai l'impression de voir un fantôme. « Salut sœurette… » Je reste figée, incapable de dire le moindre mot. A mes côtés, mon chien semble heureux de revoir un visage aussi familier et je me dis enfin que oui, tout ça est bien réel. « Ella…? » Je sens les larmes me monter aux yeux, mon corps tout entier commence à trembler et sans même réfléchir, je lâche tout, mon sac de courses, la laisse de Stitch et je la prend dans mes bras. Je la serre contre moi, par peur qu'elle s'évapore de nouveau. « Je pensais ne plus jamais te revoir… » Je pleure. Je suis sûre qu'on à l'air de deux imbéciles au milieu de la route à s'étreindre, mais je m'en fiche. J'ai retrouvé ma sœur.

Je suis tellement stressée de ces retrouvailles que je n'ai pas du tout remarqué le chien aux côtés de ma sœur. Et je suis si occupée à dévisager May que je suis bien incapable de savoir à quoi le toutou ressemble, même s'il essaie d'attirer mon attention. J'appelle ma sœur, et elle se retourne lentement. Ou alors, je vois la scène au ralentit, comme si j'étais dans un film hollywoodien. Je la salue nerveusement et elle reste figée un instant avant de prononcer mon nom. Stella. Ce mot résonne encore étrangement à mes oreilles, mais je m'y habitue petit à petit. M'y réhabitue. Soudain, ma sœur lâche absolument tout ce qu'elle avait en main et me prend dans ses bras. Je me crispe immédiatement, et malgré le bonheur de la retrouver, je ne peux pas lui rendre son étreinte. C'est pourtant ce que je veux, vraiment, mais mon corps refuse et je laisse mes bras ballants le long de mon corps. « Je pensais ne plus jamais te revoir… » me dit-elle. Oh, moi non plus. Je pensais vivre le restant de mes jours avec un psychopathe pervers. Ma sœur pleure et les larmes me brouillent également la vision «Je suis bien là, May» Du moins, physiquement. Parce que mon esprit, lui, divague entre les nombreux souvenirs de mes moments avec May. Comme par exemple, la fois où elle m'a avoué être amoureuse d'Owen. Cette époque me semble si loin à présent.. Je me dégage doucement des bras de May et recule d'un pas. Mes yeux se plantent dans les siens avant de parcourir son visage, et sa beauté me frappe. Dans un effort considérable, je lève la main vers elle et attrape une mèche de ses cheveux. «Comme tu es belle, petite sœur !» Cette fois, je n'essaie même pas de retentir mes larmes, et je souris franchement. Finalement, être heureuse n'est pas si difficile. «Tu m'as tellement manqué..» Il n'y a pas de plus grandes vérités que celle-là.

J'ai tellement peur que ce ne soit qu'un rêve. Qu'une illusion ou un tour de mon cerveau en manque de sommeil. Même en la tenant dans mes bras pour l'empêcher de disparaître de nouveau, j'ai peur. Elle est bien là, devant moi. Et pourquoi moi d'ailleurs ? Pour pas sa jumelle ? Vous savez, à cause de ce lien particulier, et toutes ces autres choses mystérieuses qu'il peut y avoir autour des jumeaux. Moi, je suis juste la petite sœur. Oui, on a toujours été proche, mais pas de pouvoirs psychiques ou que sais-je. Puis la vérité me frappe de plein fouet. Oui, c'est logique. Les parents. C'est sans doute la raison du pourquoi c'est avec moi qu'elle est en ce moment. Même si ça me réchauffe le coeur, je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable de leur cacher la vérité. Mais j'ai tellement peur de la voir disparaître de nouveau, que je préfère attendre avant de lui soumettre l'idée. J'ignore encore la raison de sa disparition, mais je suis persuadée qu'elle n'a pas envie d'en discuter avec nos géniteurs dans l'immédiat. Et je crois que je peux la comprendre. « Je suis bien là, May. » Elle se dégage de mon étreinte et je la regarde s'éloigner avec appréhension. « J'ai encore un peu de mal à le croire… » J'aimerais me pincer pour être sûre et certaine que tout soit réel, mais je préfère éviter qu'elle me prenne pour une barge. Je la regarde sans rien dire, sans savoir quoi faire, comment réagir. Ça n'a rien de facile et je ne sais pas comment gérer ça. Je crois que je me sentirais plus à l'aise en ayant un fantôme devant moi. Finalement, c'est elle qui rompt la distance en prenant une mèche de mes cheveux. « Comme tu es belle, petite sœur ! » Elle sourit et je vois les larmes perler aux coins de ses yeux. « Merci… » Je lui rend son sourire et tente vainement de ravaler mes sanglots. « u m'as tellement manqué… » « A moi aussi… Tellement. » Je n'ai même pas les mots pour lui prouver à quel point. Je prends une grande respiration, prend Stitch dans mes bras tout en récupérant mes affaires que j'ai lâché avant de me tourner vers la porte de l'immeuble. « Je… euh, tu montes, j'imagine ? On sera mieux à l'intérieur que sur la route. » dis-je dans un petit rire nerveux. En plus, j'ai l'impression qu'on m'observe et, je l'avoue, ça m'angoisse. Je ne lui laisse pas le temps de me répondre que j'enchaîne. « Je peux te poser une question… ? » Aussitôt ses paroles prononcées, j'ai l'impression que ma sœur se renferme. Sans doute par peur que je lui demande ce qui s'est passé pendant cette année d'absence, que je demande des explications. Seulement, ce n'est pas ça que je souhaite savoir. Non, ce n'est pas à moi de poser cette question, même si j'aimerais des réponses. « Comment tu as su que je n'habitais plus à la maison… ? Comment tu m'as retrouvé ? »

Je suis dans une autre dimension. Ces derniers jours, mon cerveau se déconnectait souvent et en cet instant, c'est encore le cas, bien que ce soit pour une raison tout autre. J'ai retrouvé ma sœur. J'ai du mal à me faire à cette idée. Je lui dis que je suis bien là, et comme si nous partagions les mêmes sentiments, elle répond ce qui est dans ma tête aussi. « J'ai encore un peu de mal à le croire… » Je souris légèrement, et ma bouche entre en mouvement avant que je ne réfléchisse à quoi répondre «Moi aussi. Mais c'est bien le cas. Je suis enfin revenue..» Je dois faire attention à ce que je dis, je dois contrôler mes paroles malgré les émotions qui me submergent. Je ne veux pas que May se doute de ce qu'il m'est arrivé pendant cette année de silence, et je compte bien faire tout mon possible pour que la vérité n'éclate jamais. Je vois que ma sœur tente de contenir ses larmes, mais je pense que pour elle comme pour moi, c'est peine perdue. Elle me dit que je lui ai aussi manqué, et je me demande combien d'heures elle a sacrifiées en pensant à son aînée disparue. Depuis que je me suis enfuie de chez Maxime, je n'ai pas cessé de penser à ce que j'avais vécu, à ce que j'avais enduré. Mais c'est seulement maintenant, face à May, que je me rends compte qu'elle a sans doute souffert également. Maxime n'a pas seulement volé une année de ma vie, mais il nous a volé du temps à tous. Ça me brise un peu plus le cœur et je refrène mon envie de questionner May. Pendant tout ce temps, qu'a-t-elle fait ? Qu'est-elle devenue ? A-t-elle trouvé l'amour ? Verser d'autres larmes ? C'est bien plus que de la curiosité. En vérité. J'ai besoin de savoir si Maxime a brisé sa vie aussi, ou si elle a pu avancer et vivre tout simplement. May récupère ses affaires, dont le chien, et je m'aperçois enfin que cette boule de poils m'est familière. «Oh mon Stitch !» Je me baisse pour le caresser et pendant ce temps, ma sœur me demande prudemment si je monte. Je me relève, et m'apprête à lui dire que oui, mais je n'en ai pas le temps car elle me pose une nouvelle question. « Comment tu as su que je n'habitais plus à la maison… ? Comment tu m'as retrouvé ? » Merde, l'interrogatoire commence. Je pensais avoir encore le temps avant de devoir répondre à ses nombreuses questions. Toutefois, comme je ne peux pas dire la vérité pour tout le reste, je décide d'être franche sur cette première interrogation. «Je me suis renseignée.» Bon, demi-vérité. Je ne pense pas qu'elle ait envie de savoir que je l'ai suivie après avoir trouvé mes fameux renseignements. J'espère qu'elle ne va pas relever ma réponse évasive et pour ce faire, je reprends la parole en me forçant à rire un peu. «On trouve tout sur internet..» Ça au moins, ce n'est pas faux.  Derrière nous, une voiture se met soudain à vrombir et mon rire meurt immédiatement. Je me retourne violemment, affolée et à deux doigts de déguerpir avant que Maxime ne me rattrape. Mais il n'est pas là. Ce n'est qu'un automobiliste pressé. Personne ne va m'enlever. Je vois la voiture démarrer pour tourner au coin de la rue dans la seconde suivante. Soulagée et honteuse de ma réaction extrême, je refais face à May et lui souris difficilement «J'ai trop regardé la télé je crois.. On monte ?» Ma sœur avait raison, on sera mieux à l'intérieur.

Elle est enfin revenue. Elle est revenue ! J'aimerais crier ma joie sur tous les toits de la ville, hurler au monde entier que j'ai retrouvé une partie de moi, ma sœur adorée, mais j'ai tellement peur qu'elle s'envole de nouveau, qu'elle disparaisse en ne laissant derrière elle qu'une lettre. Et fausse, visiblement. J'aimerais sincèrement l'interroger sur ce sujet, mais je me sens mal placée pour le faire. Qui suis-je pour l'obliger à me parler ? Tout ce que je souhaite, c'est qu'elle reste auprès de moi et qu'elle ne parte pas, effrayée par l'idée de me devoir des explications. Je veux respecter son silence, si silence elle souhaite garder, comme elle a respecté le mien quand j'ai changé durant le lycée. Je lui dois bien ça. Et puis, qui suis-je pour lui demander de me livrer ses secrets alors que moi même, j'en ai ? Ce ne serait pas équitable de ma part. Je souris quand Stitch lui fait la fête et qu'elle le câlin comme au bon vieux temps. J'aime cette image, faire comme si tout ce qui s'était passé n'était en réalité pas qu'un cauchemar, comme si Stella était simplement partie en vacances ou dans un très long voyage. Un peu comme moi j'ai pu faire afin de réussir à surmonter toutes ses épreuves loin de mes parents, loin des médias et de cette ville qui me rappelle tout ce que j'ai perdu.  Je lui demande si elle souhaite monter chez moi, parce que je ne me vois pas rester là, plantée au milieu de la route pour poursuivre nos retrouvailles. Ce n'est pas tellement personnel et intimiste. Mais je ne lui laisse pas le temps de répondre que j’enchaîne avec une question qui me turlupine depuis qu'elle est devant moi. Comment a-t-elle pu me retrouver ? A part les parents et quelques collègues de boulot, personne ne sait où je vis. Non pas que ce soit un sujet sensible et que je cache, juste que je n'ai jamais réellement prit le temps de fournir cette information à qui que ce soit d'autre. J'ai simplement dit que j'étais de retour à San Francisco et c'est tout. Pour beaucoup de monde, je vis encore sous le toit de mes géniteurs. Mais rien que cette idée me fait réprimer une grimace. Je ne crois pas que je pourrais supporter les râleries incessantes de mon père ou encore les pleurs de ma mère. Même si pour elle, ses raisons sont louables, je suis arrivée à bout. J'avais besoin de ma solitude et de mon indépendance. « Je me suis renseignée. » Je lève un sourcil, intriguée. Ok, des renseignements, très bien, mais auprès de qui ? Qui est au courant et à vendu la mèche ? D'autant plus, que comme je le disais, peu de monde est au courant. « On trouve tout sur internet. » Que soit maudit la toile et son non respect pour la vie d'autrui. Je grommelle quelques noms d'oiseaux avant de hausser les épaules. « Je devrais vraiment me méfier du net, mais je ne vais pas m'en plaindre… Je suis contente que tu sois là alors c'est un mal pour un bien j'imagine. » Il n'empêche que si on trouve mon adresse sur le net, je vais faire en sorte, et ce dès demain, pour que ce ne soit plus le cas. Je m'apprête à proposer de nouveau à ma sœur de regagner mon appartement, lorsqu'un fou du volent décide de tester le bruit assommant de sa voiture. Je lève les yeux vers le ciel et soupire, agacé par les bruits de la ville. Un jour, je vivrais à la campagne. J'ouvre la bouche pour faire part de mon ressenti à ma sœur mais sa réaction me préoccupe. Depuis quand elle a peur des voitures ? Je fronce les sourcils et la dévisage de haut en bas. « Hé, tu vas bien ? » J'ai l'impression qu'elle tremble. Elle se tourne vers moi et me sourit. Je crois qu'elle tente de me rassurer, mais je ne suis pas dupe et ça ne prend pas. Je penche légèrement la tête sur le côté, mais je ne demande rien. J'ai juré de ne poser aucune question et je compte tenir ma promesse.  « J'ai trop regardé la télé je crois.. On monte ? » La télé. Oui, bien sûr. A d'autres… Mais je me tais et hoche la tête en silence. Je récupère mes paquets, la laisse de Stitch et passe le bras sous celui de ma sœur. Je n'ai pas envie qu'elle se dégonfle et s'échappe sans que je puisse faire quoi que ce soit.

Arrivées à mon étage, je glisse les clefs dans la serrure et pousse la porte du pied. J'entre dans le hall et dépose tout mon bazar aux pieds du buffet. « Et bien, bienvenue chez moi. » dis-je en souriant. Je détache Stitch qui se met à courir en direction de sa gamelle pleine de croquettes. Smoothie lui, il ne bronche pas et reste allongé de tout son long sur le haut du canapé. Fidèle à lui même quoi. Je referme la porte et comme je n'ai pas la moindre idée de comment réengager la discussion, je lui demande les quelques banalités qu'on propose à tout invité. « Tu veux boire quelques choses ? Manger quelques choses ? » Je m'avance vers la cuisine en attendant sa réponse avant de poursuivre. « Ou alors visiter l'appartement ? »

Quand je sous-entends qu'on trouve tout sur internet, May semble embêtée et grommelle qu'elle devrait se méfier du net. J'aimerais lui dire qu'il y a plus dangereux que le net, mais je m'abstiens par peur qu'elle ne m'interroge pour savoir à quoi je pense en disant ça. De toute façon, je suppose que ma sœur est une grande fille et qu'elle n'a plus besoin de mes recommandations de prudence depuis bien longtemps. Je sursaute vivement en entendant un moteur rugir un peu trop fort à mon goût et pendant une seconde, je panique à l'idée de ce que ça pourrait être. Ou plutôt de qui ça pourrait être. Je sursaute une deuxième fois quand la voix de May résonne tout près de moi. « Hé, tu vas bien ? » J'essaie de stopper mes tremblements et d'afficher un large sourire en trouvant une excuse vite fait. Ma sœur semble se contenter de ma réponse et récupère rapidement ses paquets ainsi que la laisse du toutou. Avant de monter dans son appartement, elle  passe son bras sous le mien et je réprime l'envie de m'écarter d'elle. Ça fait beaucoup pour aujourd'hui, déjà. Et je ne suis même pas encore chez elle.. Je grimpe les marches en serrant les dents et en faisant comme si ce contact me rendait la plus heureuse du monde. À l'école, j'étais une assez bonne actrice, j'espère donc faire avaler ce mensonge gros comme une maison à n'importe qui, à commencer par ma sœur.

Après quelques minutes qui ressemblent à quelques heures, nous arrivons enfin devant l'appartement de May. Elle entre et je reste un peu en retrait, ne sachant pas vraiment si je suis invitée ou non à rentrer. Bien sûr que je le suis, quelle idiote ! May me le confirme d'ailleurs en me souhaitant la bienvenue chez elle et je fais un pas en avant pour la suivre. «Merci sœurette.» Ce surnom m'est venu naturellement, comme si ma mémoire refusait d'oublier tous ces petits détails de ma vie d'avant. Un peu mal à l'aise, May me demande si je souhaite boire ou manger quelque chose. Je me précipite pour répondre, embarrassée «Oh non, non. Ne te dérange surtout pas, je n'ai besoin de rien, t'en fais pas.» May a l'air d'avoir tellement changé. Je suppose que la vie a suivi son cours pour elle, et même si la nausée se présente dès que je repense à ce que j'ai vécu, je suis heureuse que ma sœur ait pu tourner la page et vivre sa vie. Je m'assois sur un siège en prenant la main de ma sœur dans la mienne et les larmes aux yeux, je lui demande «Parle-moi de ta vie. Dis-moi ce que j'ai manqué.» J'ai presque envie de lui hurler Dit-moi que tu es heureuse, je t'en prie, mais je me retiens car je pense que ça éveillerait un peu trop ses soupçons. Mais j'ai besoin qu'au moins l'une de nous deux soit sur le bon chemin, que l'une de nous deux n'ait pas de casseroles encrassées à traîner. «Es-tu.. heureuse?» Je suis presque en train de supplier ma sœur de me cacher un éventuel malheur qu'elle aurait connu. Et ouais, je suis une putain d'égoïste mais savoir May malheureuse me fait encore plus peur que tout ce que j'ai connu. C'est ma sœur.

J'ai l'impression que ma question dérange alors qu'elle ne devrait pas. Je voulais seulement savoir si elle avait soif ou faim… Simple esprit de politesse. Mais sa réaction me dépasse. Ce n'est pas comme si c'était moi qui lui demandait de me préparer un repas en moins de cinq minutes. Parfois, je me demande si je ne vis pas dans un monde parallèle ou quelque chose du genre. Stella est bizarre, bien trop bizarre et me taire me demande bien plus d'efforts que ce que je pouvais imaginer. J'aimerais comprendre pourquoi elle agit comme ça avec moi, pourquoi il y a cette foutue distance entre nous qui se creuse un peu plus chaque minute alors qu'elle vient à peine de rentrer. Qu'est-ce qui s'est passé bon sang ? Mais je ne veux pas qu'elle parte, je ne veux pas qu'elle me laisse alors je garde tout pour moi. Si c'est le seul moyen de la garder à mes côtés, c'est ce que je ferais. Stella ignore ma proposition de visite, ce qui, au passage, m'arrange pas mal. Ma chambre est dans un désordre pas croyable et j'apprécie le fait de ne pas avoir à me justifier sur mes différentes tenues de gogo. J'aurais eu du mal à expliquer pourquoi je possède ça tout en trouvant un mensonge crédible. Ma sœur s'installe sur une des  chaises de la cuisine et prend ma main dans les siennes. Je la regarde en haussant les sourcils, étonnée par ce contact alors qu'elle semblait vouloir le fuir absolument quelques minutes plus tôt.  « Parle-moi de ta vie. Dis-moi ce que j'ai manqué. » Sans retirer ma main des siennes, je m'installe autour de la table à mon tour et prend quelques minutes pour réfléchir. Ma vie est une telle catastrophe que je ne sais même pas quoi raconter. « J'ai voyagé autour du monde pendant plus d'un an… J'avais besoin de changer d'air, j’étouffais ici. C'était vraiment super. Il y a des endroits que tu aurais adoré. » Je lui souris avant d'ajouter. « Je te montrerais un jour. On ira ensemble. » Et que dire de plus ? Sans doute pas la vérité, ça m'est impossible.  Alors quoi ? Je devrais mentir à elle aussi pour simplement la rassurer ? Oui. Oui, c'est ce que je devrais faire et ce que je vais faire. « Et je… je suis professeur des écoles depuis cette année. » Je ne peux pas m'empêcher de me mordre l'intérieur de la joue devant ce mensonge plus gros que moi. J'espère que refaire des recherches internet sur moi et à ce propos ne lui reprendra pas ou qu'elle ne trouvera aucune information. Le mieux encore étant qu'elle ne me pose pas plus de questions à ce sujet et je pourrais m'en sortir.

« Es-tu.. heureuse ? » Je suis prise au dépourvu. Je ne m'attendais pas à une telle question et je fronce les sourcils. C'est bizarre de demander ça. Du moins, de cette façon, comme ça, de but en blanc. « Euh… » Je baisse les yeux vers nos mains qui se tiennent encore avant de retirer la mienne pour la passer dans mes cheveux. « Je ne sais pas ? » Comment pourrais-je le savoir ? Et puis, être heureux, qu'est-ce que ça veut réellement dire ? « Sans doute, oui. Je… je ne suis pas la plus à plaindre je crois. J'ai un toit, un salaire, je mange à ma faim… » Je ne me suis jamais vraiment posé la question et d'ailleurs, je ne préfère même pas y réfléchir. Je suis persuadée qu'en méditant là-dessus, je trouverais le moyen de dire que ma vie n'est pas ce que j'aimerais qu'elle soit. « En revanche, je peux te dire qu'aujourd'hui, oui, je le suis. Parce que tu es là. »

Quand j'étais enfermée là-bas, j'en voulais à la Terre entière. Je ne comprenais pas pourquoi personne ne m'avait encore retrouvée et au fil du temps, j'ai commencé à croire que personne ne m'avait vraiment cherché. Je pensais à tout ce que mes sœurs étaient en train de vivre pendant que je pourrissais dans une baraque sordide. Pendant que Rose prenait de plus en plus de place dans ma tête. Ensuite, je me suis enfuie et j'ai imaginé mille scénarios de retrouvailles avec Luna et May. Je voulais leur dire à quel point elles m'avaient déçu, à quel point je m'étais sentie abandonnée et laisser pour compte. J'étais certaine que leur cracher tout ça au visage me ferait du bien. Mais maintenant que je suis face à May, je n'en suis plus aussi sûre. Même si ma rancune est encore bien présente, je suis surtout soulagée de voir comme elle s'en est bien sortie. Elle semble heureuse, du moins je le crois. C'est ainsi que mes questions fusent dans tous les sens, curieuse de savoir ce que j'ai manqué de sa vie. Je prends sa main dans les miennes, comme pour être certaine que je ne rêve pas et lui demande de me parler de sa vie. J'apprends donc qu'elle a beaucoup voyagé. Un tour du monde, quand même.. ce n'est pas rien. Et il est certain que ce n'est pas à des milliers de kilomètres d'ici qu'elle avait la moindre chance de me retrouver. J'ai conscience d'être totalement injuste, mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elle découvrait le monde et vivait des aventures, à la place de me chercher. Elle ne devait sans doute pas repenser à sa sœur disparue souvent. Peut-être même que ma disparition.. l'arrangeait. Non, je raconte n'importe quoi et je suis vraiment dégueulasse de penser de ce genre de chose. La voix de May me sort de mes pensées et mal à l'aise, je lui souris. «Je te montrerais un jour. On ira ensemble.» Quitter la maison de Barth m'a déjà paru si difficile que je doute être capable d'aller plus loin. Enfin, pour le moment.  Peut-être qu'après... «Tout ce que tu voudras sœurette.»  May m'apprend aussi qu'elle est désormais professeur des écoles et mon cœur se gonfle de fierté. «Mais c'est génial ! Je suppose que ça te plaît ? Faire ce qu'on aime, c'est important.»  Malgré tout, je ressens comme une petite gêne en abordant ce sujet, comme si quelque chose clochait. Mais nous venons à peine de nous retrouver, et je refuse de tout gâcher avec des questions indiscrètes.

Je me risque tout de même à une dernière question, la plus importante à mes yeux.  Est-elle heureuse ? Ça peut paraître étrange, mais j'ai besoin de lui demander ça. Je la vois froncer les sourcils et je comprends que même si elle ne l'est pas, rien ne l'oblige à me le dire. Nous sommes peut-être sœurs, mais le temps et la distance nous ont beaucoup éloignées.. Je doute qu'elle ait envie de me faire des confidences.  Quoi qu'il en soit, sa réponse me soulage et je tente de ne pas voir le mal partout. «Sans doute, oui. Je… je ne suis pas la plus à plaindre je crois. J'ai un toit, un salaire, je mange à ma faim…» Malheureusement, je sais qu'un toit au-dessus de notre tête n'est pas forcément gage de bonheur, mais je m'abstiens de le lui dire. «En revanche, je peux te dire qu'aujourd'hui, oui, je le suis. Parce que tu es là.» Une larme s'échappe de mes yeux et si je n'étais pas moi, je prendrais ma sœur dans mes bras et la serrerais très fort. «Je suis fière de voir la femme que tu es devenue, May. Tu as ton propre appartement, un job.. J'ai du mal à réaliser.»  Réalisé tout ce que j'ai manqué, tout ce que j'ai perdu, loin des miens. Je m'étais juré de ne plus poser de questions aujourd'hui, mais ma curiosité est trop forte et je veux rattraper le temps perdu. Alors, en essayant de prendre une voix détachée, je l'interroge sur un sujet délicat. «Et.. tu partages tout ça avec quelqu'un ? Enfin, je veux dire.. tu as quelqu'un dans ta vie ? Mais attend ! Est-ce que je suis tatie ?»  Je ne sais pas ce qui me prend de vouloir tout savoir comme ça, mais je ne peux pas m'en empêcher. Elle semble avoir la vie que j'espérais pour elle, et quelque part, tout au fond de moi, je me mets à espérer que la mienne y ressemblera un jour. Pas tout de suite, certes..  Mais un jour.  

Je mens à ma famille et à mes amis depuis mon retour sans que ça me dérange plus que ça. Oui, je sais, le mensonge, c'est mal, blablabla, mais est-ce que ça fait de moi un monstre pour autant ? Je ne crois pas. Pourtant, en mentant à Stella, encore, c'est un peu ainsi que je me trouve. D'autant plus qu'il s'agit de Stella et que je suis persuadée que de mes deux sœurs, c'est celle qui serait la plus à même de comprendre. Mais elle vient de rentrer et je ne peux pas me résoudre à lui déballer mes problèmes secondaires ou pire encore, lui donner une raison de s’inquiéter pour moi alors qu'au fond, je vais plutôt bien. C'est vrai, je ne fais pas le métier rêvé, mais il ne me déplaît pas non plus. De toute façon, il est trop tard pour revenir en arrière. « Mais c'est génial ! Je suppose que ça te plaît ? Faire ce qu'on aime, c'est important. » J'hoche la tête en souriant. « Oui, bien sûr. Même si ce n'est pas facile tous les jours. » Mais qu'est-ce que j'en sais d'ailleurs ? Si ça se trouve, j'aurais eu une classe qu'avec des enfants adorables, sages et bien élevés. Bon, il est vrai que ça relèverait du miracle, mais je pars du principe que rien n'est impossible. Quoi qu'il en soit, je remets une petite couche de mensonge par-dessus, histoire de rendre mon histoire un peu plus crédible. « Un de mes élèves est un peu difficile à gérer, mais ce sont des gosses, alors… Tu sais ce que c'est. Ils courent, chahutent et remettent la faute sur les autres quand une bêtise est faite. Mais dans l'ensemble, ça se passe très bien. » Maintenant, je prie pour qu'elle ne découvre jamais la vérité. Jamais.

Pas une seule fois avant aujourd'hui, je m'étais demandée si j'étais heureuse ou non. Pour moi, le bonheur se trouve à travers différentes petites choses de la vie quotidienne. Par exemple, je pourrais être heureuse rien qu'en regardant un oisillon s'envoler de son nid pour la première fois. Oui, ça, c'est quelque chose qui me rendrait joyeuse pour le restant de la journée. Mais est-ce que ma vie actuelle me satisfait au point d'être heureuse, ça, je n'en sais rien. Alors forcément, quand ma sœur me pose cette question, j'ai l'impression que toute mon existence se joue sur la réponse que je vais fournir. Alors je réponds une phrase bateau, celle que n'importe qui d'autre pourrait sortir pour qu'on lui fiche la paix. Mais plus j'avance dans mon petit discours, plus je me rends compte que non, je ne suis pas heureuse. Du moins, sur le long terme. Parce qu'aujourd'hui, c'est différent. Ma sœur disparue depuis si longtemps se tient debout devant moi et la joie que je ressens en ce moment rattrape considérablement mes années un peu plus sombres. D'ailleurs, je peux voir à la suite de cet aveu de petites larmes naître au coin des yeux de mon aînée, mais je m'abstiens de tout commentaire. « Je suis fière de voir la femme que tu es devenue, May. » Aïe. Elle ne dirait sûrement pas ça si elle savait vraiment quelle femme je suis devenue en son absence.  « Tu as ton propre appartement, un job.. J'ai du mal à réaliser. » Je passe une main gênée dans mes cheveux, ne sachant pas quoi répondre à ça. Quand Stella a disparu, je venais à peine de finir l'université, je conçois que ce soit un changement assez radicale pour elle. « Oh, tu sais, ce n'est rien de très important… Ce n'est pas comme ci j'étais devenu éleveuse de chèvres dans le Minnesota. » dis-je dans un petit rire léger. « Et.. tu partages tout ça avec quelqu'un ? Enfin, je veux dire.. tu as quelqu'un dans ta vie ? Mais attend ! Est-ce que je suis tatie ? » Oh. Je… Merde. Je dévisage ma sœur avant de secouer la tête de droit à gauche. « Non. Il n'y a personne dans ma vie et je crois que ça me convient très bien comme ça. » Ne souhaitant pas avoir plus de questions sur le sujet, je m'empresse d'ajouter. « Pour le moment, évidemment. Et je suis encore jeune, alors, tout ça peut attendre encore un peu. » Ou même toujours. Je ne crois pas pouvoir faire confiance à un homme. Amoureusement parlant, j'entends. « Désolée du coup, mais pour avoir un neveu ou une nièce, il faudra que tu t'armes de patience. Ou te tourner vers Luna. » Je ne suis pas sûre que notre sœur soit plus branchée que moi à l'idée d'avoir des mômes, mais sait-on jamais. « Tu… Tu veux rester là ce soir ? » Je ne sais pas ce qui me prend de poser cette question alors que je suis censée travailler, mais j'ose espérer que le patron comprendra si je lui demande d'être absence cette nuit. « J'ai une chambre d'amie… »

Être ici en compagnie de ma sœur est surréaliste. D'ailleurs, je ne suis pas certaine de bien réaliser. Et même les choses sont un peu étranges entre nous, je suis heureuse de savoir qu'elle va bien. Qu'elle fait un métier qu'elle aime, qu'elle soit épanouie.. La famille Linskey a de beaux jours devant elle, si on ne me compte pas dans le lot.  May m'explique que son métier n'est pas facile tous les jours et qu'un de ses élèves est un peu difficile à gérer. Je souris tendrement, et essaie d'imaginer une classe remplie d'enfants, chahutant et courant dans tous les sens. Je pense être plus ou moins patiente, mais c'est à des années-lumière de ce que je pourrais supporter. Ce métier colle bien plus à May qu'à moi, elle a trouvé sa voie.

Ensuite, je suis prise d'un élan de tendresse et après tout ce temps passé loin de ma soeur, je ressens le besoin de lui dire à quel point je suis fière d'elle et de la femme qu'elle est devenue. Mais elle répond avec humour, comme pour contrecarrer le sérieux de mes propos. «Oh, tu sais, ce n'est rien de très important… Ce n'est pas comme ci j'étais devenu éleveuse de chèvres dans le Minnesota.» J'ai beau essayer de ne pas le faire, j'imagine May avec des bottes hautes essayant de se faire comprendre de ces bestioles. Avec un bonnet en grosse maille sur la tête et un manteau plus gros qu'elle. Je pars dans un rire léger avant de me reprendre. «Je ne t'imagine pas tout à fait dans ce rôle ! Même si s'occuper d'enfants, c'est un peu pareil, dans le fond. Je veux dire que courir partout après des gosses ou des chèvres, ce n'est pas très différent.»  Enfin, je crois. Après tout, qu'est-ce que j'en sais ? Les enfants, ça n'a jamais été mon délire et ces derniers temps, on ne peut pas dire que j'ai eu beaucoup d’interactions sociales. Et autant le dire franchement, je ne compte pas devenir mère un jour. Rien que cette idée me rend folle, alors c'est un projet qui ne verra jamais le jour dans ma caboche. Par contre, si je pouvais devenir tantine.. Je n'hésite pas longtemps avant de demander à May si elle a quelqu'un dans sa vie et si je suis devenue tatie. J'ai manqué tellement de choses ces derniers temps que ça ne m'étonnerait pas. Mais elle répond par la négative en précisant que ça lui convient bien pour le moment. «Oh, je vois. Mais tu as raison, tu es jeune et tu as toute la vie devant toi, rien ne presse. Il faut que tu profites avant.»  Qu'ajouter de plus à ça ?

May me demande timidement si je veux rester chez elle pour ce soir et dormir dans la chambre d'amis. C'est tentant, et je n'ai pas très envie de la quitter alors qu'on vient à peine de se retrouver. Mais je préfère avancer doucement, ne pas forcer les choses. J'ai encaissé trop d'émotions pour aujourd'hui, trop d'informations aussi. J'ai besoin de prendre un peu de recul pour digérer nos retrouvailles. Et puis.. quelqu'un m'attend. J'ai très envie de rentrer retrouver Barth et de tout lui raconter. Je pense qu'il serait content pour moi. Honnêtement, j'ai l'impression de ne pas l'avoir vu depuis des jours alors que ça ne fait que quelques heures. C'est absurde. «Merci soeurette, mais je vais plutôt rentrer..»  J'ai un peu peur de la vexer, mais je ne tiens pas à lui expliquer pourquoi je préfère partir. Par  contre, je peux tenter de la rassurer. «Mais ne t'inquiète pas, je reviendrai. Je suis de retour pour de bon, c'est juré. Je ne disparaîtrai plus.»  J'espère me montrer convaincante, car même moi, j'en doute.