Une semaine. Une semaine que ça durait, que le monde était upside down, dans le sens le plus littéral du terme. Que nous nous étions réveillés de bon matin, avec une impression que quelque chose avait changé, sans trop savoir quoi. Jusqu'au moment où il avait fallu se lever et me traîner jusqu'à la salle de bain, le moment où j'ai compris que quelque chose avait effectivement changé. Une absence proéminente à un endroit bien précis, pour ma part. Mon hurlement avait retenti dans tout l'appartement de May et même certainement chez les voisins. Le chat s'était rapidement enfui de la pièce, se réfugiant sous l'armoire et j'étais resté de longues minutes à contempler mon reflet, incertain de la vision que j'y trouvais. Mais ce qui m'avait le plus choqué c'était la paire de seins qui seyait à la place de mes ex-pectoraux et je n'avais osé regarder en bas avant un long moment. Retrouver la femme que j'affectionnais dans le corps d'un homme avait été une surprise encore plus grande. Bienvenue dans la douzième dimension, jeunes gens. On ne comprenait toujours pas ce qu'il se passait, sept jours après. Et on ne pouvait que s'habituer à la situation, faire avec, le temps de voir s'il y avait moyen de rétablir les choses à la normale. Mais disons que ça avait engendré des situations aussi cocasses qu'amusantes, avec tout le monde. Autant avec mon frère et mes soeurs qu'avec May-Line et mes amis. D'ailleurs, Patrick en version féminine était incroyablement divertissant. Enfin, plus que d'habitude.

Et je me retrouvais sur la place publique, fichu des habits de la jolie brune, qu'elle m'avait prêté avec un sourire dégoulinant d'amusement. Est-ce que je devais précisé qu'elle avait choisi un débardeur qui me semblait plus proche d'un minuscule bout de chiffon, assorti à un short ridiculement petit ? « Tu vas voir ce que ça fait d'être traité comme un bout de viande. » m'avait-elle soufflé avant de poser un baiser sur mes lèvres. Et ça n'avait pas loupé, d'après les sifflements et les appels que j'avais reçu sur mon chemin. Les rapaces. J'avais levé le menton, réprimant mon envie de leur faire avaler leurs dents pour rejoindre la foule qui s'agitait devant la mairie. En plus, ma blessure à l'épaule n'étant pas encore totalement guérie, j'avais l'impression d'être aussi forte qu'une mouche sous kétamine. La prochaine mission ? Essayer de trouver un visage familier, parmi les gens qui représentaient désormais leur double du sexe opposé.

Et ça, ce n'était pas une mince affaire. Damnit.
    

Pour vous résumer l'affaire ? Il s'est passé la chose la plus merveilleuse qu'il soit, un miracle, un renversement du cours de la vie fantastique qui va peut-être permettre de sauver la planète. Pourquoi ? Parce que les hommes ont désormais des corps de femmes, les femmes des corps d'hommes. Rappelons que les quelques millionnaires qui dirigent la planète ont une masculinité fragile, ça fait une semaine qu'on n'a pas vu notre glandu de président et putain, pardon my French, ça fait du bien. Ça fait du bien de voir tous ces changements de situation, toutes ces identités renversées et les questions que commencent à se poser les plus ouverts d'esprits. Ça fait du bien de pouvoir prêcher ce que je me tue à répéter depuis des années : il est grand temps d'abolir cette idée de genre. Cela fait une semaine que je n'utilise plus que des pronoms neutres, et j'en suis ravi. Une semaine aussi que les ventes de mon livre ont repris et qu'on m'invite à quelques émissions télévisées, et je dois dire que mon compte en banque en est plutôt satisfait. C'est bon pour les affaires, tout ça. Et le bonus ? Une paire de sein et une crinière toute douce. J'ai eu un petit choc, comme tout le monde, en me réveillant ce matin là. Ce n'est pas tant le fait d'être une femme qui m'a perturbé, plutôt celui d'être blonde. Une fausse blonde, certes, mes racines brunes sont largement visibles puisque apparemment mon moi féminin n'a pas eu l'envie d'aller chez le coiffeur. Je suis un peu triste d'avoir perdu ma mèche grise, mais soyons francs et réalistes trente secondes : je me trouve plutôt très appréciable en demoiselle. J'ai perdu à peine cinq centimètres, un peu plus de kilos mais j'arrive à trouver un équilibre et à ne pas me cogner partout. Je suis plus grande qu'Oswald, qui a du mal à s'habituer à son nouveau corps, et ça c'est plus fort que tout. And I still would tap that ass but they won't let ME. Je pense sincèrement que Tinder n'a jamais autant fonctionné, aussi, mais c'est un autre débat.

Le débat du jour, c'est l'allocution du maire. Qui n'a absolument rien à nous apprendre, si vous voulez mon avis, mais les foules s'agitent et il faut les calmer. Allons-nous garder ces nouveaux corps pour toujours ? Est-ce un coup des aliens ? Un univers parallèle ?!! J'avance sur la place publique, amusé de ce titre de topic commun qui nous ramène directement à l'époque romaine mais soit. Il commence à y avoir du monde, des individus en colère étant dans les premiers rangs. Sénèque vous apprendra que ça ne sert à rien de s'agacer et de souffrir à cause de choses dont on n'a pas le contrôle. Moi, je préfère les apprécier. C'est vraiment plus agréable d'être une femme, si vous voulez mon avis. Mais j'avoue, les talons, ce n'est pas cool. Les sandales plates ont rapidement été dévalisées après le swap, et j'ai dû en prendre à talons. Je trébuche tous les 20 mètres, quand un pavé décide de ne pas s'aligner à ses copains. Nul. Je bouscule une brunette, malgré moi, et lève le nez dans sa direction après avoir fait quelques pas pour assurer ma non chute. « Pardon, camarade ! » The struggle is real, please. « Sympa ta tenue ! » Je glisse avec un clin d'oeil lorsque je remarque finalement qu'iel n'a pas l'air très à l'aise dans son bout de short. Own it, sweets.