Tu finis toujours ici, quand ça te ronge de l'intérieur. Quand t'essayes de fermer les yeux quelques instants et que tu vois du carmin exploser derrière tes paupières closes. Ces flashs incessants, cette silhouette si creuse étalée sur le sol. Impossible d'effacer l'image de ta mère étendue, inconsciente, rendant son dernier soupir sur la moquette crème du salon. Elle est marquée au fer rouge dans ta rétine, Barth, c'est indéniable. T'auras beau faire tout ce tu peux, elle n'arrêtera jamais de venir se glisser dans tes moments les plus calmes. Ceux où tu crois enfin pouvoir prendre une fraîche gorgée d'oxygène. Elle est comme le loup, elle se glisse dans l'obscurité et attend le moment propice pour frapper. Chienne de vie. Alors tes pas, il te mènent toujours dans ce vieux bar miteux, glissé entre deux magasins dans une ruelle étroite. Une sorte de cachette pour ivrognes, où seuls ceux qui veulent se torcher en toute discrétion se rendent. C'est confortable, c'est plutôt calme, en règle générale. Tu peux enchaîner les verres sans qu'on t'emmerde, c'est rare que les gamins se ramènent dans ce genre d'endroit. Préférant l'ambiance animée d'une boîte où tout le monde se frotte les uns contre les autres, dans un mélange de sueur et d'alcool qui coûte les yeux de la tête. Et puis, le whisky, c'est un merveilleux compagnon pour oublier. C'est une douce chaleur qui vient gratter ta gorge à chaque lampée, malgré les années. Elle reste toujours impétueuse et réconfortante. D'ailleurs, tu sais pas très bien combien verre t'as liquidé depuis que t'es là. Tu sais plus trop non plus combien de temps s'est égrené depuis que t'as foutu les pieds ici. Mais bon, tu t'en tapes, t'es là pour ça.
Tu prends le temps de lever les yeux, jetant des coups d'oeil à la salle. T'aimes bien regarder les gens, Barth. On finit toujours par découvrir des phénomènes, des gens plus étranges et particuliers les uns que les autres. Un tabouret qui racle contre le sol et tu dévies sur ta gauche. Plissant les yeux, observant le nouveau venu. Dégaine de rock star, la peau encrée de multitude de motifs, des poignets jusqu'à la nuque. T'aperçois des prunelles d'un bleu glacier, tandis qu'il s'installe au bar à tes côtés. Il a pas l'air dans son assiette, le gamin. Tu comprends parfaitement. On a tous la même technique pour se vider la tête : se remplir le gosier et laisser monter la chaleur qui fait disparaître les idées noires. « Un whisky pour le gamin, chef. » Ouais, il doit pas avoir plus de vingt-cinq ans, le minot, avec sa gueule décalée et ses pommettes ciselées. Tu prends une gorgée, savourant le goût incomparable de l'alcool sur ta langue, avant de continuer, sans le regarder. « J'espère que t'aimes le whisky. » T'as envie de cramer une cigarette mais t'as pas la force de te lever et de marcher jusqu'à la porte. T'es quand même bien posé, sur ton tabouret.
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Sujet: Re: firewhisky Dim 22 Avr - 22:03
Firewhisky
Barth & Alexander
Ses mains papillonnent, caressent, griffent mon torse à travers le fin tissu de mon débardeur. Des doigts étrangers, anonymes. Aucune identité pour la blonde sur mes genoux qui s’emploie à me mordiller consciencieusement le lobe de l’oreille. Une parmi les autres. Je refreine un grognement de plaisir en m’accaparant ces lèvres si adroites que j’embrasse avec fougue, instaurant ma domination jusqu’à plaquer mes mains sur ses formes parfaites. Les corps basculent sur le canapé, les respirations s’accélèrent. Le frisson du désire se met bientôt à courir le long de ma colonne vertébrale – à moins que ce ne soit que de l’anticipation. La jeune femme se cambre sous mon poids, facilitant l’accès à la broche de son soutien gorge que je lui défais de bonne grâce. Et puis une vibration étouffée se met à résonner dans la pièce de façon suffisamment désagréable pour que j’interrompe mes gestes. Ignorant les protestations de ma partenaire, je roule sur le côté après avoir attrapé mon portable qui clignote sur la table basse, prêt à éteindre l’appareil, quand mon regard tombe sur l’auteur de l’appel manqué responsable du dérangement. Un prénom que je n’avais pas vu s’afficher sur cet écran depuis près de huit ans. Tous mes muscles se figent, mon souffle se bloque dans ma gorge soudain asséchée. Elle m’a appelé. Putain de bordel de merde, après tout ce temps, c’est maintenant qu’elle m’appelle !? Pourquoi !? C’était pas un indice suffisant quand j’ai claqué derrière moi la porte de l’appart’ de Donny ? Andy a eu sa chance, c’est trop tard à présent. Elle a pas le droit de continuer à hanter ma vie, merde ! « Aleeeex ? J’ai envie de t- » Se rendant probablement compte de mon manque de réaction à ses papouilles, la blonde ronronne, le nez lové dans ma nuque. Je l’interromps sans ménagement, la voix blanche. « Tu ferais mieux de partir. » Clairement, cette douche froide m’a ôté toute envie et là je ne demande qu’à être seul. « Qu-quoi ? Comment ça ? » Elle s’est reculée pour me dévisager, l’incompréhension se reflétant dans ses iris clairs. Moi je soupire, pas du tout motivé à entamer ce genre de conversation. Alors je choisis la solution de facilité, celle qui marche à tous les coups. La vexation. « Ça va pas l’faire, toi et moi. Barre-toi maintenant. » Pas très gentleman, certes, mais je n’ai jamais prétendu l’être. Le portable toujours bien serré entre mes doigts, je me redresse sur mes pieds et désigne la porte du menton. Comme si mes mots n’étaient pas assez explicites. Je vois une colère mêlée d’humiliation remplacer la surprise sur les traits fins de Blondie qui finit par se rhabiller précipitamment. Touchée. « Pauvre type ! » Je lève les yeux au ciel, insensible à l’injure crachée dans ma direction. « C’est ça. » Le battant claque, ça fait trembler les murs de mon appart’. Puis le silence. Et j’me retrouve seul.
Ça fait vingt minutes que je suis bloqué dans la même position : le cul au bord du canapé, la moitié du visage enfouie entre mes mains et ce foutu téléphone dont l’écran noir me nargue depuis la table basse. Impossible de rassembler la moindre once de courage nécessaire à écouter le message laissé sur ma boite vocale. À quoi suis-je censé m’attendre ? Qu’est-ce qu’elle me veut ? Pourrait y avoir tout comme son contraire là dedans. J’suis lâche un peu. Et j’ai peur aussi. Surtout. Bordel. J’suis trop sobre pour ces conneries. C’est sur cette réflexion silencieuse que je finis par mouvoir mes jambes engourdies et que j’tape une ligne droite vers le présentoir à alcools qui trône à côté du meuble télé. Je farfouille parmi les bouteilles en verre, mais lorsque je soulève celle qui m’intéresse, c’est pour constater qu’elle est irrémédiablement vide. C’est pas vrai. J’suis à deux doigts de balancer la bouteille contre un mur pour extérioriser ma frustration, mais j’me retiens. À la place, j’attrape ma veste et mon portable avant de claquer la porte, une nouvelle idée en tête.
Le plan initial était de s’arrêter au premier liquor store croisant ma route et de faire demi-tour. Simple. Alors je n’ai aucune idée du pourquoi et du comment je me retrouve là, dans ce bar à l’ambiance rustique qui semble avoir connu la guerre. Y’a pas grand monde, ça picole en silence. Chacun avec ses problèmes sous les lumières jaunes de lampes poussiéreuses. Exactement ce qu’il me faut. J’ignore les tables pour un tabouret libre au bar. Le bois qui racle contre le parquet tandis que je m’installe, le dos vouté et les gestes mécaniques. J’sais pas trop ce que je suis venu chercher ici, pourquoi mes pieds m’ont guidé vers cette tanière à pochtrons. J’avais même pas l’intention de me bourrer la gueule avant d’apercevoir la devanture clignotante du bâtiment. « Un whisky pour le gamin, chef. » Je tourne la tête derechef vers mon voisin de droite qui vient de passer commande à ma place. La quarantaine, une barbe négligée et le teint halé. J’l’avais même pas calculé jusqu’à maintenant, il faisait parti du décor ambiant. « J'espère que t'aimes le whisky. » J’arque un sourcil avant de ricaner doucement. « Si tu savais, papi… » Un billet vert vient s’écraser sur le bois vernis et glisse en direction du barman. « Double-le. » C’est pas mon genre de me mêler aux autres dans ce genre de situation, préférant largement gérer mes démons en solo. J’aime pas me donner en spectacle et pourtant, je sens déjà le regard du barbu me brûler la nuque.
Spoiler:
Sorry pour la longueur, j'ai tendance à m'emporter sur les intros...
Dernière édition par Alexander Black le Jeu 24 Mai - 19:47, édité 3 fois
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Sujet: Re: firewhisky Sam 28 Avr - 12:02
Firewhisky
Alexander & Barth
Angie, elle dit que t'es pas loin de dépasser la limite, de pouvoir t'auto-déclarer alcoolique. C'est vrai que tu bois quasiment tous les jours, qu'il y a des instants où tu poursuis la boisson comme un assoiffé en plein désert. Que ton frigo est bien plus rempli de canettes que de légumes et autres aliments réellement consistants. T'es pas vraiment un cuistot de rêve, après tout, ton palais il a encore l'habitude des pâtées carcérales, informes et sans le moindre goût. Après, tu réfléchis à ce que tu fais et tu comprends que t'es en train de convaincre. De te déculpabiliser. Foutaises. T'aimes boire et t'as besoin de ça pour oublier que t'as une vie de merde. T'es peut-être un ivrogne, du coup. M'enfin, t'écoutes qu'à moitié ce qu'elle te dit, Angie. Après tout, c'est elle qui a dépassé les limites, en fin de compte. Passer de derrière son bureau à dans ton propre pieu, dieu-sait-comment. C'était plutôt époustouflant, tu dois avouer, mais bon, aucune idée de comment vous en étiez arrivés là, techniquement. Alors son professionnalisme, elle pouvait se le mettre où tu penses. T'avais décidé de picoler et tu comptais le faire en bonne et due forme. Peu importe ce qui allait arriver par la suite, t'avais l'habitude des conséquences désastreuses, au fond. Puis cette vieille porte s'était manifestée à toi et t'avais poussé celle-ci, un soir, découvrant cette sorte de taverne. Le repaire des souillasses, pour boire en toute impunité. C'était discret, tapissé de lambris, oscillant entre le brun chaud et piqueté de plaqué or terni par les années. Une sorte de modernisation d'un navire pirate, additionné d'une certaine chaleur qui donnait envie de ne jamais plus dépasser la porte d'entrée.
T'es bien installé là, sur ton haut tabouret, malgré cette légère envie d'aller t'encrasser les poumons. Éternelle addiction. Puis t'as la rock star qui vient s'installer à tes côtés, avec cette aura grise, ce nuage sombre qui semble voler au-dessus de sa petite tête brune. Tu lapes ton verre doucement, comme un chat, profitant de la moindre goutte du précieux breuvage. Puis tu décides d'être sympathique, pour une fois, tu commandes une boisson pour le gaillard. Parce qu'il a l'air d'être dans le même état que toi, au fond. Il ricane et tu regrettes presque. Et sa réponse insolente, elle te fais plisser les yeux, la mâchoire serré. Puis t'as un sourire qui se dévoile, discret. Sale gamin, va. Mais le gamin, il sort un billet pour t'en payer un. Alors tu profites, parce qu'à part Rylan, y'a pas grand monde qui te fais des petits cadeaux dans le genre. C'est pas grand chose, certes, mais t'apprécies, en fin de compte. « J'vais faire comme si j'avais rien entendu. » Y'a un vieux morceaux de rockabilly qui traîne au fond de la pièce, tu l'entends presque pas. Tu finis ton verre en une dernière et longue gorgée qui t'incendie l’œsophage, acceptant le second avec un signe de tête pour le barman et pour ton compagnon de soirée, d'après ce que tu pouvais en déduire. Tu l'observes un temps, tes yeux posés sur son visage délicat mais sans féminité aucune. « Se plonger dans l'oubli avec l'ami whisky, rien de mieux, hein ? Qu'est-ce qui t'amène ? » que tu lui demandes. T'es curieux, en soi, tu te demandes ce qui peut bien amener un gars comme lui dans un endroit comme ça. Toi, encore, tu fais presque tapisserie avec ta gueule de trois jours et tes habits sombres.
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Sujet: Re: firewhisky Jeu 24 Mai - 19:45
Firewhisky
Barth & Alexander
Ça fait bien des années que j’ai pas refoutu les pieds dans ce genre d’endroit, avec mes idées noires pour seule et unique compagnie. Rembobinez huit ans en arrière et le spectacle est le même. Un mec paumé qui sait pas gérer ses émotions autrement qu’en les noyant sous une couche d’alcool ou d’adrénaline malsaine. La queue entre les jambes. Trop lâche pour s’appuyer sur une épaule amicale, trop faible pour résister à la solution de facilité. trop J’ai pas changé, finalement. Et ça m’fait chier de le constater.
Mes pieds m’ont porté d’eux-mêmes dans ce trou, comme guidés par un instinct grégaire bizarre en direction de mes semblables : ceux qui boivent en silence pour oublier leur misère. Et mon cerveau morose n’a pas cherché à protester, se résignant à écarter l’idée d’isolement initialement prévue. Première erreur. En m’installant directement au bar, un type aux airs de vieil ours passe commande à ma place, sans même m’adresser un regard. Il a ce ton condescendant de celui qui a l’expérience des lieux et qui y règne en maître, contrairement aux "gamins" dans mon genre. Instantanément, ça m’agace. Alors j’sais pas ce qui m’a pris de lui offrir ce verre. Sur l’instant, c’est le seul truc que j’ai trouvé pour éviter d’avoir à le remercier pour la commande, trop fier que je suis. Deuxième erreur, et la soirée ne fait que commencer. L’autre va certainement voir ça comme une invitation à papoter et j’vais me retrouver coincé. Bien joué, Alex. Je grince des dents, regrettant déjà cette générosité pourtant inhabituelle, et me contente d’un bref signe de tête pour le barman lorsque le whisky glisse enfin entre mes doigts. Des vaguelettes d’alcool ambré s’écrasent contre le verre lorsque je le porte à mes lèvres sans attendre, impatient de goûter à cette brûlure familière et de m’y noyer tout entier. La morsure de l’amertume me tire une grimace appréciatrice. C’est un feu réconfortant, une douceur acérée. Et puis du coin de l’œil, j’intercepte le regard du barbu qui me fixe en silence. Un silence de courte durée. « Se plonger dans l'oubli avec l'ami whisky, rien de mieux, hein ? Qu'est-ce qui t'amène ? » Qu’est-ce que j’disais. Le voilà qui tente de me faire la conversation maintenant. Fucking hell, fous-moi la paix. J’suis pas d’humeur à déballer mes emmerdes devant un parfait inconnu, encore moins de recevoir son opinion. Pendant un bref instant, je suis tenté de l’ignorer en prétendant une surdité subite mais le silence qui s’ensuit se fait immédiatement bien trop pesant. Alors, pour la première fois depuis que j’ai pris place au bar, je me décide enfin à tourner la tête pour dévisager mon voisin, sourcils froncés. Lui a l’air détendu, accoudé au comptoir comme s’il y avait élu domicile, un fin sourire jouant sur ses lèvres humidifiée par la boisson. Je cherche la faille, ce détail qui me permettra de le rembarrer une bonne fois pour toute, mais quelque chose me dit que je perds mon temps. Il a ce regard de celui qui n’a plus rien à perdre. J’le connais bien ce regard. Humpf. Dickhead. J’abandonne et détourne rapidement les yeux, soupir lâché entre mes dents serrées tandis que je porte à nouveau le précieux alcool à mes lèvres. « Pourquoi ça t’intéresse ? » Le ton est froid, défensif. Grondement qui se veut dissuasif malgré le défi sous-jacent.
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Sujet: Re: firewhisky Mar 5 Juin - 21:24
Firewhisky
Alexander & Barth
Quel est cet instinct qui pousse l'homme aigri de la vie à se perdre dans l'amertume de l'alcool ? Un fait bien étrange qui avait toujours titillé ta curiosité. À vouloir se noyer dans les degrés flamboyants, dans cet incendie à l'arrière-goût de remord, de culpabilité. Il était fascinant, le pouvoir de la boisson. D'outrepasser la limite cérébrale, venant détruire la pensée cohérente, venant ravager toute réflexion pour installer son venin. Cette torpeur bienfaitrice qui détend les muscles, qui réduit la mémoire à l'inexistence, qui vient poser un nuage blanc sur les tracas. Réduire les maux au silence, pendant un moment. T'avais beau chercher, t'avais jamais rien trouvé d'aussi radical et efficace pour effacer momentanément tes noirs secrets. Suffisait de porter le verre à tes lèvres, encore et encore, d'en redemander, encore et encore. Et le silence régnant en maître sur les lieux, c'était l'atmosphère idéale pour s'abîmer dans l'alcool. Personne pour t'emmerder, parfois quelques silhouettes assez intéressantes pour que t'y portes de l'intérêt. On y faisait des rencontres étranges, au Bitter End. Inattendues, plus ou moins intenses, mais toujours remplies de mystère, de murmures. Parce que ne viennent ici que ceux que la perdition et l'envie d'oublier ont mené en ces lieux.
Comme le gamin au visage ciselé à tes côtés, on dirait. Qui suinte désespoir et colère. Comme une aura sombre qui voltige autour de lui, lourde et menaçante. Après, t'as vu bien pire, entre les quatre hauts murs de la taule. Il à l'air juste l'air d'être perdu, surtout, mais ça ressort de manière plus obscure que d'habitude. Du coup, t'as décidé d'être gentil pour une fois et de faire un geste teinté de générosité. Parce que t'avais l'impression qu'il te ressemblait, ce mioche. Et t'as beau tenter de tailler le bout de gras, il a pas l'air décidé à te répondre. Foutus gamins insolents. Mais ça te fais sourire, parce que t'étais le même au même âge. À jouer les fortes têtes envers et contre tous. Sans dieu ni maître. Il finit par tourner son visage blafard vers toi, ses yeux d'un bleu glacé. Il murmure rageusement, espérant certainement te faire fuir. C'est gagné. T'es vexé. Pour une fois que tu faisais preuve de bonté envers quelqu'un d'autre, tu te fais envoyer balader comme une merde. Très bien. Tu plisses les lèvres d'agacement, les sourcils froncés. Ton regard sombre porté sur le minois à l'aspect presque androgyne qui te fait face, malgré son indéniable masculinité. Il suintait le mâle sans aucun doute. Le pitbull féroce et indomptable. Une dualité surprenante dans un seul être. T'appuyant encore plus contre le bar, déjà un peu éméché. Combien d'heures cela faisait-il que tu te perdais dans ce bar ? Deux, trois ? Plus ? T'avais arrêté de compter après le troisième verre sifflé. « Oh, tout doux le mioche. J'essayais simplement de faire la causette. On se détend. » que tu réponds sur le même ton, avec une pointe d'agressivité semblable à la sienne. Il avait pas intérêt à te chauffer où tu savais que ça allait mal finir. « On est tous là pour la même chose, n'est-ce pas ? Alors essaye pas de te la jouer drama queen mystérieuse, hein. C'était par pure curiosité. Mais si je te fais chier, dis le tout de suite. » Tu préférais qu'il soit clair, comme tu pouvais éviter la charité envers quelqu'un qui te la renverrait en plein dans la gueule. Fallait pas non plus pousser le bouchon trop loin. T'étais pas en état pour rester calme, loin de là.
Il ne me faut pas longtemps pour finir mon premier verre. En même temps, c’est pas comme si j’étais là pour profiter d’une tranquille dégustation. Ça me brûle l’œsophage, je grimace en reposant le verre vide sur le bois ciré. La sensation d’être purifié de l’intérieur. Une vague de chaleur corrosive qui emporte tout sur son passage, idées noires et sens commun. J’aimerais qu’elle m’engloutisse tout entier et que mes doutes se noient avec. Ya trop de choses dans ma tête, trop de questions sans réponses et de réponses sans fondements, fabriquées pour combler les trous. Tout se bouscule. Un vrai merdier.
Mais ya le vieil ours à côté de moi qu’a pas l’air décidé à me laisser boire en paix. Me commander un whisky de son propre chef n’était qu’un début, le voilà qui veut se taper la discut’ comme si je n’étais autre qu’un de ses vulgaires compagnons de beuverie. J’le rembarre sans ménagement, l’agressivité à fleur de peau. Un mécanisme défensif derrière lequel j’ai toujours eu l’habitude de me replier, d’aussi loin que je me souvienne. J’me rappelle que c’est Andy qui m’en avait fait la remarque, assez ironiquement. Une histoire de bulle protectrice de laquelle il ne faudrait trop s’approcher au risque de me voir montrer les dents. Elle me connaissait… elle me connaît bien. Aussi chiant que c’est de l’avouer. « Oh, tout doux le mioche. J'essayais simplement de faire la causette. On se détend. » Ma mâchoire se serre instinctivement en réaction à la condescendance de ses mots. Le gars ne s’en cache même pas, tout puissant qu’il se croit au sommet de sa montagne imaginaire. Et il continue sur sa lancée. « On est tous là pour la même chose, n'est-ce pas ? Alors essaye pas de te la jouer drama queen mystérieuse, hein. C'était par pure curiosité. Mais si je te fais chier, dis le tout de suite. » Bordel mais c’est qu’il me cherche en plus, ce vieux souillard ! Il se prend pour qui exactement avec ses jugements à la con ?! Clairement, j’suis pas d’humeur à gérer ce genre de conversation avec calme et maturité alors je prends la mouche. « Ouais bah tu m’fais chier ! C’est clair comme ça ou t’as besoin d’un sonotone ? » Il fait le malin du haut de ses quarante balais mais papi, j’te promets que t’es pas l’seul à avoir du répondant. « J’t’ai rien demandé, ok ? Alors fous-moi la paix, l’ancien. » Un ultime regard mauvais vient mettre un terme que j’espère final à cette conversation ridicule. Si maintenant il pouvait rester dans son coin le barbu, ça m’arrangerait. Mais parce que l’alcool commence à me chauffer le sang, je ne peux pas m’empêcher d’en rajouter une couche et me retournant. « ‘Tain. Si j’avais su que j’devais me coltiner un psy en plus du verre… » Je râle dans ma barbe, assez fort tout de même pour que l’autre puisse entendre, tandis que je porte une nouvelle fois le verre à mes lèvres pour y cueillir jusqu’à la dernière goutte de liqueur ambrée, comme un putain d’assoiffé.
Le brouillard censé engourdir mon esprit se fait attendre. Mon genoux rebondi nerveusement sous le bar. J’ai lu quelque part que ça traduisait une envie de fuite. Ça s’tient, en l’occurrence, même si j’ai pas l’intention de partir avant de perdre complètement la tête. Et ce message que je n’ai toujours pas osé écouter. Dégonflé. Pourtant plus les minutes passent et plus il devient difficile d’ignorer la présence évidente du portable rangé dans la poche intérieure de ma veste, si lourd qu’il semble peser des tonnes. D’un geste pressé, je me débarrasse finalement du vêtement trop pesant pour l’abandonner sur le comptoir. J’en profite pour commander un autre whisky que j’engloutis d’une traite en plissant les yeux, puis un autre, qui ne tardera pas à prendre le même chemin… Combien en faudra-t-il avant que je perde enfin pied ?
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Sujet: Re: firewhisky Ven 15 Juin - 21:15
Firewhisky
Alexander & Barth
T'as jamais été de nature très patiente. Pas très pragmatique. Ni soumis. L'époque où tu subissais sans rien dire est envolée depuis bien longtemps. Depuis les coups, le sang, les hurlements et puis le silence. Où la liberté a été reine quelques minutes, avant que les chaînes ne t'entravent à nouveau, cloîtré entre quatre hauts murs bardés de barbelés. Et à partir de cet instant, où la survie était maîtresse de tes actions, l'agitation bouillonnant dans tes veines ne t'as jamais vraiment quitté. Refluant à certains instants, remontant en flèche, comme une lave imaginaire suintant de chaque pore de ta peau. T'avais jamais vraiment eu de problèmes, à ta sortie de taule, les gens évitant passablement ton regard et n'approchant que par nécessité. Mais ne dit-on pas que la violence engendre la violence ?
Le gamin te paraît vachement insolent, pour un mec qui vient de se faire payer un whisky, juste comme ça. L'argent tombe pas des arbres, aux dernières nouvelles. T'as voulu faire une fleur à un mioche qui te paraissait dans le même état que toi et tu te fais envoyer chier comme si t'étais la dernière des merdes. Et franchement, t'aimes pas ça. T'aimes pas ça du tout. Le machin commence à s'égosiller, l'air menaçant et ton instinct de survie, il s'active automatiquement. L'alcool n'aidant pas, ça va être le bordel, tu le sais. Tu sens déjà cet engourdissement qui se propage comme un venin dans tes veines. Et plus il parle, plus ça grimpe en flèche. La main serrée sur le verre, prête à l'exploser en milliers de morceaux. Et ça grogne, à l'intérieur. La mâchoire crispée, essayant de passer outre ses conneries. T'inspires profondément, essayant de réduire le battement sourd qui résonne dans ta tête, qui menace d'occulter toute réflexion, toute raison. Tu déposes ton verre aussi lentement que possible, la main tremblante. Le signe que plus rien ne va et que tout va s'empirer. Quand elle tremble, cette main droite, c'est que la fin est proche. Ou le commencement, à proprement parler.
Il rajoute quelque chose, l'air de rien, juste pour t'emmerder. Putain. Tu tentes de faire le vide, comme Angie te l'a expliqué. Pour faire disparaître la pression. Mais c'est peine perdue. C'était la réflexion de trop. Tu fonds sur lui comme un faucon sur sa proie. La main au collet, agrippant son tee-shirt comme si tu voulais qu'il fonde entre tes doigts. Tu fais fi de ta taille, certainement bien moindre comparé à sa longiligne silhouette, en attendant, t'es debout et lui encore assis, t'as le temps de prendre l'avantage. T'as vécu assez de chose pour savoir comment te débrouiller. « Tu vas me parler meilleur, gamin. Parce que sinon mon poing risque de venir ternir ton joli petit minois délicat. » Tu pues l'alcool, t'es quasiment certain que les passants dehors pourraient te retrouver rien qu'à l'odeur. Tu fixes sa tronche blafarde, que ta main te démange de rencontrer violemment. « J'aime pas du tout les gars dans ton genre, tu vois. Quand on se fait offrir quelque chose, on dit merci et on ferme sa gueule. On apprécie le geste et on se contente de boire son verre. On agresse pas les gens, juste pour le plaisir. » Ta voix s'est faite acide, sifflante, d'un calme totalement factice. Du moindre de tes mots coule la colère et l'envie de lui éclater le nez sur le comptoir. T'es pas vraiment conciliant mais t'aimes pas l'irrespect dont il a fait preuve. Il se croit chez mémé, celui là ? Il croyait vraiment que t'allais passer outre et te la coincer, comme si de rien n'était ?
C’est parti vite, j’ai rien vu venir. J’aurais dû m’y attendre, ce gars n’est pas du genre à se laisser impressionner par les grondements mauvais d’un loup blessé. J’aurais pu éviter le conflit. Remballer mon bordel et foutre le camp de cette taverne de merde avant même d’avoir à élever la voix. Mais la vérité, c’est que je cherche l’affrontement. J’en crève d’envie. Faut que j’extériorise cette colère qui me brûle l’estomac et que l’alcool ne fait qu’amplifier. Je la sens qui monte progressivement, vicieuse, aveuglant le peu de bon sens qu’il me reste.
Je n’ai jamais été quelqu’un de raisonnable, ce n’est plus à prouver. Mettre un pied dans ce bar avec les idées noires n’était pas une bonne idée, avoir l’intention de se murger la gueule au whisky non plus, envoyer paitre mon voisin de comptoir encore moins. Mais dans l’état où j’suis, la raison et la courtoisie sont les derniers de mes soucis. Laissez-moi picoler en paix, je m’effondre sur le bar et on n’en parle plus. Plus de douleur, plus de questions sans réponses. J’en serais même à attendre avec impatience la migraine intense caractéristique des gueules de bois, n’importe quoi pourvu que l’ouragan se taise. Alors je cherche les emmerdes. J’aboie, je provoque. Sans vraiment m’en rendre compte au départ, et puis l’adrénaline mêlée d’alcool finit par se charger du reste. L’autre me rend la chose facile : rien ne l’ébranle, il me répond sur le même ton. Bientôt j’en suis à mon troisième verre de liqueur ambrée et je n’ai plus aucun filtre. Insolence mordante et le pavillon à tête de mort arboré avec fierté.
La remarque de trop et l’ancien part au quart de tour. Il me saute dessus tandis que les pieds de son tabouret grincent bruyamment contre le parquet. Son poing se referme sur mon col sans que je n’ai le temps de réagir, l’autre remonté à hauteur d’épaule, fermé et menaçant. « Tu vas me parler meilleur, gamin. Parce que sinon mon poing risque de venir ternir ton joli petit minois délicat. » Je le fixe autant qu’il me fixe, bleu glacé contre brun brûlant. Ça crépite. C’est qu’il ose me menacer cet enfoiré ! « J'aime pas du tout les gars dans ton genre, tu vois. Quand on se fait offrir quelque chose, on dit merci et on ferme sa gueule. On apprécie le geste et on se contente de boire son verre. On agresse pas les gens, juste pour le plaisir. » Mes trois neurones finissent par se reconnecter dans le brouillard et l’instinct reprend le dessus lorsque je me lève enfin de mon siège, n’appréciant que très peu de me faire dominer par la taille. Je le repousse rudement contre le bar pour me dégager de son emprise, le regard noir et la hargne à fleur de peau. « Oh t’es vexé, papi ? T’as pas l’habitude qu’on te tienne tête, c’est ça ? » J’avance d’un pas, réduisant encore le maigre espace nous séparant pour mettre à profit ma haute stature. « Cherche les emmerdes et tu vas les trouver, j’suis pas d’humeur à jouer les lèches-bottes pour un pauvre type avec un complexe de supériorité. Alors j’te conseille d’arrêter de me chercher, l'ancêtre. Finis ton verre en silence dans ton coin et casse-toi avant que j’t’en colle une. Fucking dickhead. » Ça gronde et ça claque comme un fouet, à un doigt de l’explosion. L’expectative fait déjà trembler mes doigts que je referme en poings serrés à mes côtés. Bordel, ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti de colère aussi pure courir dans mes veines. Véritable bombe à retardement, les événements des derniers jours n’ont fait que s’empiler jusqu’à la rupture, un moment que j’espérais arriver à contenir avant ma rencontre avec cet enfoiré de vieil ours mal léché.
Le gamin, c'est un parfait divertissement. C'est comme regarder un combat de catch à la télé, mais vous êtes les deux protagonistes. C'est la même sensation d'adrénaline qui se déverse dans tes veines, que tu sens parcourir ton corps entier. Cette pression instable, qui vient titiller tes nerfs, faire rentrer une immense bouffée d'oxygène dans tes poumons. Cette même adrénaline salvatrice que celle qui te poussait à combattre, en taule. Pour ta survie, pour un avantage volé à un autre détenu ou juste pour le plaisir de voir tes poings vibrer contre une mâchoire. C'était malsain, ce besoin de violence pour apaiser ta souffrance. Pour ressentir une certaine légèreté. C'était comme taper dans un sac, sauf qu'il était chaud et vivant. Qu'au lieu du sable, il y a du sang qui coule là où les blessures se font. Que le sac peut répondre et infliger la même douleur.
C'est toujours quand tu rêves de tranquillité, quand tu décides d'aller te beurrer la poire seul, à finir par en baver sur le comptoir, quelqu'un vient t'emmerder. Et là c'est un ronchon prétentieux qui pense qu'il est seul à vouloir noyer ses problèmes et que le respect a été perdu aux oubliettes. Et t'es certainement pas d'humeur à accepter ce genre de comportement. L'alcool n'aidant terriblement pas, accessoirement. T'as perdu le fil des verres alignés sur la table, de ceux qui ont terminé leur course folle dans ton estomac qui sera rendu acide, dans quelques heures. Actuellement, tu t'en fous, t'es juste bouillant de colère contre ce petit con qui se croit tout permis. T'en a cogné pour moins que ça.
Tu sens le poids des regards tournés vers vous, vers ce crépitement sourd attisé par vos yeux brûlants, par ton poing levé vers son petit minois délicat. Tu sais déjà que les os vont craquer si facilement, ployer sous la force de ta poigne dure. Implacable. Tu menaces, ouais. Parce que y'a rien mieux à faire, parce que c'est le final countdown avant que la force ne vienne prendre le dessus sur les mots. Tic toc. Et puis un poing dans sa belle gueule. Mais déjà, il reprend contenance et cligne des yeux avant de se relever. Il a beau te dépasser de quelques centimètres, ton aura certainement plus meurtrière que la sienne. Sans mauvais jeu de mots. Et il a encore le culot de te vieillir. Sale petit merdeux. « T'as pas l'habitude fermer ta gueule non plus, hein ? Tu commences sérieusement à me les briser menu, là ! » que tu réponds, hargneux, montrant presque les dents. Tu prierais presque qu'il s'étouffe avec sa langue bien trop pendue.
Il tente également les menaces, mais au lieu de t'effrayer (comme si t'allais te mettre à chouiner devant un mec pareil, sans déconner) ça ne fait qu'attiser encore plus le feu brûlant de ta colère noyée dans l'alcool. Là, c'est presque nécessaire de lui faire fermer sa bouche, peu importe les conséquences. Vous n'êtes qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, haleines chaudes et puant le whisky à trois kilomètres à la ronde. Il termine bien trop mal pour que tu laisses passer l'insulte. En quelques secondes, c'est ton bras qui s'arme d'une violence inouïe, faisant un aller-retour éclair avant de percuter sa pommette ciselée, le faisant reculer contre le comptoir à nouveau. C'était comme un souffle nouveau, palpitant. Tu souris de manière effrayante, les yeux brillants d'un éclat dangereux. T'as l'impression de revenir en taule, là tout de suite. Les muscles bandés, les jambes ancrées dans le sol, le souffle court. Mais épris d'une détermination sans faille. « Allez, viens, espèce de carpette. Viens montrer à papa comment tu te débrouilles, une fois que t'as rangé ta langue dans ta grande bouche. » L'alcool, c'est un remontant, une piqûre d'adrénaline, comme tu dis toujours. Et ça te rends assez confiant pour te remontrer les manches et lui apprendre le respect, à ce petit morveux.
Malgré ce qu’on pourrait penser, je ne me suis jamais considéré comme un mec violent. Il est vrai pourtant que j’ai le sang chaud et que je m’emporte aisément, la colère prenant souvent le pas sur la raison. La voix qui explose, hargne mordante, mots qui blessent. Mais il arrive parfois que grogner en montrant les crocs ne suffisent plus. Et puis ça se déchaîne. C’est libérateur. Comme une bouteille de soda vigoureusement secouée à laquelle on aurait dévissé le bouchon. Une petite bombe à retardement.
Je me souviens de la première fois où je suis rentrée à la maison avec les poings amochés. Petit garçon aux traits efféminés, découvrant l’eyeliner et un look copié sur de vieux groupes de hard rock, je me suis retrouvé en proie facile pour les brutes de mon âge. Il m’a fallu quelques mois avant de rassembler le courage pour riposter. Œil pour œil, poing contre poing. La rage au cœur, la peur au ventre. Les os qui craquent. Le goût métallique du sang dans ma bouche. L’adrénaline qui pulse dans mes veines. Je m’en suis tiré avec un nez cassé et une semaine de suspension, mais surtout avec un tout nouveau respect de gagné. C’était la première fois que je me battais. La première d’une longue série.
Parce que cette vie m’a appris qu’on ne gagne rien sans rien et qu’il suffit d’un instant de faiblesse pour que tout s’effondre, que les poings valent parfois mieux que les mots. Que l’honneur se défend jusqu’au sang et que le respect se mérite. Le vieux du bar, lui, il a l’impression que le respect lui est dû, parce que c’est un putain d’ancêtre bloqué dans son complexe de supériorité. Il me traite de gamin, mais de quel droit ? L’expérience n’est qu’un prétexte, l’âge ne compte pas. Les menaces fusent de chaque côté, les esprits alcoolisés s’échauffent et les doigts s’agitent sous le comptoir. Ce n’est plus qu’une question de secondes avant que tout n’explose. Les corps sont tendus, on se toise comme des cowboys dans un western, prêts à dégainer. Et puis c’est l’insulte de trop qui signe le début de la fin. Le coup part trop rapidement pour que je ne puisse l’esquiver et vient s’écraser contre ma joue. La douleur résonne dans mon crâne, j’vois des lumières colorées danser devant mes yeux tandis que je recule contre le bar, sonné. Jesus fucking Christ, il cachait bien son jeu le papy ! « Allez, viens, espèce de carpette. Viens montrer à papa comment tu te débrouilles, une fois que t'as rangé ta langue dans ta grande bouche. » Il me beugle dessus sans retenu et tout son langage corporel traduit le sérieux de ses paroles. Paradoxalement, ça ne fait qu’attiser ma rage. Mon sang ne fait qu’un tour et en une seconde je me retrouve sur lui, crochetant son col pour le repousser jusque dans une table voisine. Je ne prête pas attention au fracas des deux chaises qui s’effondrent au sol, encore moins aux regards ahuris posés sur nous. Dans un rugissement de colère, mon bras s’arme brièvement avant de fondre sur la mâchoire carrée du barbu. Putain que ça fait du bien ! C’est libérateur de faire jouer ses muscles, de se sentir puissant. Alors pour faire bonne mesure, je lui décoche une seconde droite, au même endroit, avant de reculer de quelques pas en titubant légèrement. Je souffle bruyamment, la respiration saccadée. L’alcool a désormais noyé mon cerveau, je commence à voir un peu flou. Et la douleur qui me brûle le visage n’est pas pour atténuer le tout. Je porte deux doigts à ma pommette et grimace en les retrouvant tâchés de rouge. L’éraflure semble peu profonde, mais bordel ce que ça lance ! Je regarde l’autre se redresser en s’appuyant sur le meuble en bois et l’ombre d’un sourire vient tordre mes traits. Il a de la trempe le bougre, je dois au moins lui accorder ça. « Viens, j’t’attends ! Montre-moi comment ils se battent à la maison de retraite ! » Même si je le voulais, je serais incapable d’adopter une position de défense adéquate à réceptionner la moindre riposte. Mon équilibre est bien trop approximatif. Et puis, j’suis bien trop fier pour me cacher. Alors j’écarte paresseusement les bras de mon corps, paumes tournées vers le ciel, comme une invitation. « Donne tout c’que t’as. »
La sensation libératrice de cette force poussée accumulée dans le poing, accompagnée de la doucereuse violence vengeresse, dirigé contre l'autre, avec le besoin, l'envie, de lui procurer de la douleur. Tu te rappelles les innombrables bagarres entre les quatre murs gris de la taule, les cris primitifs des codétenus qui hurlent des encouragements aux uns, aux autres. Les grognements de souffrance, qui n'étaient rien comparé à la satisfaction de voir l'autre faiblir de plus en plus. Les tremblements, l'acide lactique comme un rappel à l'ordre des muscles qui se bandent trop longtemps, le souffle erratique, désynchronisé. Le liquide carmin qui coule, ce goût âpre et métallique qui dégouline dans la gorge, cette sensation d'avoir avalé un vieux clou rouillé. Ces fragrances de sueur, de sang, d'haleines à peine contenues dans les cages thoraciques. Le mal par le mal, disait-on. T'avais fini par t'en convaincre, au fond.
Ton corps, il s'en souvient aussi bien que ta cervelle. Presque mieux. Il reconnaît la violence parce qu'elle devenue une compagne pendant de nombreuses années. À se complaire dans les coups, dans les cris, dans cette paranoïa qui t'empêchait parfois de fermer l'oeil. À se jouer de la peur comme d'une amie, pour impressionner, pour faire reculer. T'avais instauré ta place dans cette hiérarchie démoniaque, intransigeante. Tu prenais, tu donnais. Chacun son étage, essayant de grappiller le plus possible pour survivre. Chaque stigmate d'un rose léger sur ta peau, c'était autant de souvenirs que de rencontres acharnées pour ne pas la laisser sur les dalles noircies de la prison, pour t'assurer que tu reverrais la côte, que tu réentendrais le cri des mouettes mêlé au remous des vagues sur le sable. Tu chérissais ces marques autant qu'elles te révulsaient, parce qu'elles te rappelaient ce que tu étais, ce que tu es, au plus profond. Un animal cherchant sa place dans la chaîne alimentaire. Manger ou être mangé.
Tu vois le gamin reculer, les yeux dans le vide pendant quelques secondes. La pommette, c'est toujours douloureux, encore plus quand elles sont délicates comme les siennes. Le papy a de la ressource, on dirait. Toujours bouillonnant, l'esprit concentré sur lui, l'espace libéré de chaises comme un ring de boxe. Écartant les bras, un air de défi sur les lèvres, l'invitant à montrer qu'il n'est pas une tapette. Qu'il y a une mécanique bien huilée sous les paroles tout feu tout flamme. Et ça ne manque pas, il ne lui faut que quelques secondes pour t'attraper par la col et vous faire reculer jusqu'à une table. Tout ça dans le silence, les regards tournés vers vous. Tu sens plus que tu ne vois le coup atterrir dans ta mâchoire, venant faire claquer tes dents les unes contre les autres. Puis un autre, vicieux, venant s'écraser au même endroit, te faisant relâcher un grognement de douleur, ta tête partant en arrière sous la violence du coup porté. Petit connard. Il recule à nouveau, porté dieu sait comment par ses jambes longilignes, un sourire égal à celui que tu portais précédemment. Et la grimace de souffrance qu'il laisse échapper faire fleurir le tien à nouveau. Tu espères sincèrement qu'il a mal. Un bel hématome qui viendra ternir l'éclat iridescent de sa peau pâle. Et tu hausses un sourcil à sa réplique, sa position calquée sur la tienne, en une invitation à venir lui casser la gueule. Très bien. C'est comme si c'était fait. « Je vais te faire ta fête ! » que tu rugis avant de foncer maladroitement dans sa direction, toujours imbibé d'alcool. Mais l'alcool, il diminue la douleur, c'est bien son seul avantage, avec l'oubli momentané. Tu glisses presque sur le sol et c'est à ton avantage. Ton corps, il est habitué. Il connaît la chanson. C'est machinal, presque devenu trop banal. Tes muscles savent où frapper, quoi attendre, quelle cible atteindre pour voir la douleur se refléter dans les prunelles. La colère, elle attise l'adrénaline et la force, elle te donne l'impression d'être le maître du monde. Ta jambe s'élance et vient balayer les chevilles du gamin, l'amenant douloureusement au sol à tes côtés. Un bras sous la gorge, assez appuyé pour venir troubler la respiration du plus jeune, pas assez pour venir obstruer les conduites. Ta jambe passé de l'autre côté de son corps, venant rajouter ton poids sur le sien. Tes yeux sont fous, ton rythme cardiaque dépassant depuis longtemps la limite autorisée. T'es reparti là-bas, dans cette parodie de Fort Knox, oubliant tout. Il y a juste cette rage animale qui t'ébranle et qui te fait serrer plus, subitement. « T'en veux encore, gamin !? » que tu grondes, presque fou, les yeux dardés dans les siens. Le retour en arrière était difficilement possible. T'étais trop plongé dans tes souvenirs. Oblitérant la réalité, le lieu, le public. Le gamin, il n'était plus qu'un visage parmi tant d'autres, un visage comme ceux que tu avais démoli au fur et à mesure des années dernières les barreaux.
Le sang qui pompe dans mes veines, dopé à l’adrénaline. L’odeur métallique qui se mêle à celle de la sueur, âcre, et indubitablement masculine. La douleur qui lance, promesse d’un hématome futur. Brûlure familière. L’alcool qui noie le tout, comme si j’avais la tête sous l’eau et l’esprit bien haut. Tout s’enchaîne rapidement, j’ai à peine le temps de voir le coup s’échouer sur ma joue, violent. Vengeur. Je vois flou tout à coup, et je grimace en sentant mes os vibrer sous les phalanges ennemies. Il m’a pas raté, le vieux ! Faute de raison, c’est l’instinct qui me pousse à riposter aussitôt, la rage faisant trembler mes poings et rugir ma voix. Mes doigts se referment sur son col et je le repousse sans ménagement contre une table. Et je frappe. À deux reprises. Chaque coup me grise un peu plus, je ne pense plus à rien d’autre qu’à faire mal. La violence c’est de la dope, une drogue vicieuse qui aveugle autant qu’elle excite toutes les cellules de mon corps enivré. Qu’il gémisse de douleur, qu’il souffre autant que je souffre. Là, au fond. Ça me fait mal et je n’en peux plus. Tout d’un coup, il n’y a plus de futiles histoires de whisky ou de politesse non respectée. C’est un échappatoire, un prétexte pour enfin extérioriser. Toute cette colère confinée, ‘fallait bien qu’elle sorte un jour. Exploser sans prendre garde aux alentours, être égoïste. J’en ai besoin.
Je recule en titubant, le pas incertain. Les meubles qui tanguent, c’est normal ? Je me force pourtant à me redresser, le regard fier et le menton haut dans un air de défi. L’autre se relève déjà, mimant ma posture. Un vrai combat de coqs. Tant mieux, j’aurais été déçu que le barbu déclare forfait si rapidement. Aucune trace de peur dans ses yeux sombres, seule la fièvre de la vengeance les fait crépiter. Qu’est-ce qui le fait tenir ? Ce gars-là nourrit une force peu commune, ça m’intrigue. Pendant un bref instant, je me demande d’où il vient pour se battre si férocement. Un ancien militaire, peut-être ? Ce serait bien ma veine, tiens, me battre contre un vétéran.
L’invective jaillit de mes lèvres, moquerie venimeuse, formulant pour la première fois le défi à voix haute. Je joue avec le feu, je le sais, mais le vieux ne m’intimide pas. J’en veux plus, toujours plus pour me rassasier. Qu’il me frappe à n’en plus pouvoir, je lui rendrai coup pour coup. Je n’ai rien à perdre. Il n’en fallait pas plus pour faire réagir l’homme qui se précipite dans ma direction, couvrant la distance d’un bond. Instinctivement, mon poids se déplace vers l’arrière, prêt à le réceptionner, mais l’autre me prend par surprise en tombant à terre. La technique est bien huilée, véritable machine de guerre qui me laisse impuissant pendant les quelques secondes qui lui sont nécessaires à crocheter une de mes chevilles. Je tente de me raccrocher au comptoir, en vain, et chute lourdement contre le vieux parquet en grognant de douleur. Le fumier ! Trop lent pour tenter de me relever, je suis plaqué au sol par le poids de son corps qui immobilise le mien. De chaque côté, ses jambes puissantes entravent tout mouvement et j’en suis réduit à me tortiller dans l’espoir de m’échapper. Son bras qui me comprime la gorge me fait suffoquer, je peine à respirer. Nos regards s’affrontent, enflammés, et je redouble d’efforts pour me dégager, sans succès. Une injure meurt au bord de mes lèvres lorsque sa prise se resserre. « T'en veux encore, gamin !? » Ses yeux sont furibonds, aveuglés par la rage, et ce que j’y lis me fait frissonner. Merde ! Un éclair de panique me frappe lorsque je réalise que je suis coincé, incapable de bouger, complètement à la merci de sa volonté. « Enf…oiré ! » que je parviens à articuler avec difficulté, me cambrant de plus belle sous le poids qui me cloue au sol. Hors de question que je me rende ! Animé de l’énergie du désespoir, j’arrive à armer mon bras suffisamment pour percuter son flanc non-protégé. Libère-moi, espèce d’enflure ! Je tente de réitérer la manœuvre, mais déjà le souffle me manque et des tâches de couleurs viennent danser dans mon champ de vision. Ma poitrine me brûle, mes poumons implorent leur oxygène. Une goutte de sueur roule sur ma tempe avant de s’écraser sur le bois du parquet. Bordel de m- « ARRÊTEZ CE CIRQUE IMMÉDIATEMENT, BANDE D’ABRUTIS DÉGÉNÉRÉS !! » En un instant, le corps du barbu est déplacé, libérant ma gorge, et j’inspire goulument une longue rasade d’oxygène. Je roule aussitôt sur le côté, en proie à une violente quinte de toux qui me retourne l’estomac. « Vous êtes complètement timbrés, ma parole ! » La voix de stentor continue de me crever les tympans sans que je sache à qui elle appartient. « Je veux pas d’ça chez moi, dégagez de mon bar ! Dehors les ivrognes ! » Je comprends plus que je ne voie le barman m’attraper vigoureusement par le bras pour me redresser sur mes pieds avant de me pousser vers la sortie, la moustache frétillante de colère. À peine le temps de réclamer ma veste abandonnée sur le comptoir via des marmonnements probablement incompréhensibles que je me fais jeter dehors comme un malpropre, bientôt suivi de Monsieur Respect. La porte du Bitter End claque derrière nous, puis la nuit nous enveloppe d'un silence assourdissant.
Un animal, c'est ce que tu es. Un loup relâché à l'état sauvage, marqué par la captivité. Survivant dans le monde hostile en attendant sa fin. Tu ne vis pas, Barth. Tu survis désespérément. Noyé dans cet abîme de souvenirs, dans cette noirceur omniprésente. Et là, c'était l'occasion de relâcher toute cette haine, tout ce désespoir qui t'habite perpétuellement. Si ce n'était pas lui, c'était un autre, une autre cible de cette fureur qui fait trembler tes membres, bander tes muscles, se serrer ta mâchoire. Il avait été la goutte de trop, la parole dépassant la limite autorisé par ta patience. Et il en payait le prix. Et tu savourais cette débandade, cette déferlante de violence à peine contenue. C'était grisant, d'entendre les craquements, les grondements de douleur. De sentir ton poing se mesurer à la chair, atteindre les os. Précipiter la douleur, de manière subite. C'était jouissif, malsain et tu ne l'appréciais que plus.
Il avait l'avantage de la taille, de quelques centimètres mais tu avais la rage. Tu avais l'expérience, les souvenirs qui refluaient de manière automatique. Ton corps comme une machine bien huilée, connaissant les points faibles, les endroits stratégiques pour affaiblir, pour blesser. Pour faire ployer ton adversaire. Un vieux loup solitaire rongé par l'obscurité, prêt à faire couler le sang pour sa simple survie. Et par plaisir, un peu aussi. Cette violence quotidienne, derrière les barreaux, devenue une habitude salace. Prenant ses aises à l'intérieur. Elle faisait partie de ta vie et tu l'avais accepté, sans vouloir forcément en faire toujours usage. Mais là, l'alcool était vicieux et faisait ressortir cette face qui n'avait eu lieu d'être qu'en prison. Il venait souffler des encouragements à ton oreille, envenimant la situation. À tel point que tu avais fini sur le gamin, le bras sous sa gorge, ployant la pression à lui en presque couper la respiration. La sang rugissant dans tes oreilles, faisant battre ton coeur si fort qu'il semblait s'être concentré dans ta boîte crânienne. Ton souffle imbibé qui s'échoue sur son visage et tu lui demandes s'il souhaite un second round, prêt à bondir à nouveau, la colère décuplant tout sur son passage. Et tu sens un coup se porter dans ton flanc, t'arrachant un cri de douleur mais tu ne lâches pas prise, continuant à presser ton avant-bras contre sa pomme d'Adam, sachant pertinemment les répercussions de ta manoeuvre pour l'avoir déjà vécu. Il avait rapidement perdre connaissance et tu pourrais enfin être tranquille. L'esprit fou, le visage rougi par l'effort et la mâchoire pulsant.
Mais déjà des cris résonnent et tu te réveille enfin, sortant de ta transe, quand tu sens des bras t'empoigner vers l'arrière, t'arrachant au corps filiforme de ton adversaire. Tu souffles comme un boeuf, le regard néanmoins rivé sur lui, un sourire malsain à le voir reprendre son souffle de manière erratique, tousser comme si tout ses organes allaient ressortir subitement. Bien fait pour lui. Les cris recommencent et tu croises le regard du propriétaire du bar, excédé. Il a l'air en proie à l'explosion et tu détourne le regard, encore rempli de tremblements post-confrontation. À peine le temps de répondre quelque chose que les mêmes bras t'embarquent en direction de la sortie, à la suite du gamin et vous voilà dans le noir. La porte claque et le silence se fait ressentir plus que jamais. Tu craches enfin le surplus de salive mélangé à du sang qui traînait dans ta bouche avant de te laisser tomber sur le trottoir, d'un pas mal assuré. Et tu cherches ton porte-cigarette dans ta poche, remerciant silencieusement le ciel d'avoir choisi cette enveloppe protégeant les bâtons de cigarette. Maintenant que la pression est retombée, t'observe la silhouette qui se remet tant bien que mal de ton coup précis sur sa gorge et tu tends une clope dans sa direction. « Je sais pas si c'est une bonne idée. Mais j'ai pas de drapeau blanc. » tu murmures, détruisant le silence, la mâchoire serrée. Tu passes une main délicate sur celle-ci, évaluant la douleur avant de sourire légèrement, grimaçant au passage. « Sacrée droite, en tout cas, gamin. » tu rajoutes, honnête.
Il est terrible, ce moment. Cette demi-seconde où tout bascule, où l’adrénaline qui pulse dans mes veines et dope mon système nerveux cède à la panique, soudaine et terrifiante. Tous mes organes internes semblent s’être évaporés, mon cœur s’est arrêté de battre. La panique fait s’écarquiller mes yeux et redoubler d’effort à chacun de mes muscles pour se libérer de la prise dans laquelle ils sont emprisonnés. Mais le poids assis sur mon torse est trop lourd, le bras pressé contre ma pomme d’Adam trop verrouillé. Rien ne bouge, pas même lorsque mon poing serré parvient à percuter son flanc gauche. C’est à ce moment précis que je réalise mon inexorable impuissance. Rien ne l’empêche de continuer sa pression sur ma gorge jusqu’à ce que le manque d’oxygène soit trop fort pour que mon cerveau le supporte et que je m’évanouisse finalement. Il pourrait même me tuer s’il le voulait. Je le vois dans ses pupilles dilatées, enflammées par la colère et la soif de violence. Il en serait capable, il l’a peut-être déjà fait. Moi qui me targue de n’avoir peur de rien et de savoir défier la mort au prix d’une dose d’euphorie exaltée, ce serait mentir que de prétendre ne pas être terrifié par ce que je lis dans ces deux billes brunes qui me fixent avec fureur. Je suis à sa merci. Et même si je refuse fièrement de me rendre, même si rien ne me fera jamais le supplier, je sais que le barbu a gagné.
Il est trop tard pour riposter, des taches de couleurs se mettent déjà à danser dans mon champ de vision, signe que mon cerveau ne va pas tarder à se mettre en veille. Quelle fin nulle. Cette soirée n’aura été qu’un échec sur toute la ligne. Et puis soudain, alors que je ne l’attendais plus : la délivrance. Le corps puissant qui m’oppresse est tiré en arrière, l’arrachant à sa proie, et je roule sur le côté pour cracher organes et boyaux. Ma gorge me brûle à chaque inspiration avide et ma respiration devient erratique, comme si j’avais trop d’air d’un coup à ma disposition. À peine le temps de m’ajuster qu’une paire de bras me relève sans ménagement tandis que leur propriétaire nous beugle des insultes dont je me fous royalement. Là tout de suite j’essaye de pas clamser sur ton parquet, vieux débris, alors baisse d’un ton, tu veux ? Mais le barman n’a que faire de mon état et me pousse vigoureusement vers la sortie. Je titube à l’extérieur et grimace lorsque la porte claque bruyamment derrière le barbu. Ça résonne dans tout mon crâne. D’un pas incertain, je m’appuie contre un lampadaire le long duquel je me laisse glisser, posant délicatement ma pommette endolorie contre le métal froid pour en soulager la douleur lancinante. Je toussote encore une fois, grimace, essuie d’un revers de manche mon front humide de sueur. L’autre a suivi mes mouvements, se laissant tomber contre le mur d’en face après avoir craché un surplus de bile dont la couleur rosée me fait esquisser un faible sourire. Pas perdant sur toute la ligne, au final.
La pression s’apaise doucement au fil des minutes qui s’écoulent dans un silence seulement brisé par nos souffles respectifs. Je regarde le brun fouiller dans ses poches pour en sortir un petit boitier métallique duquel il extirpe deux bâtons blancs. Je rêve, ce type à un porte-cigarettes en métal. C’est quoi, un parrain de la mafia mexicaine ? Il me tend une des deux clopes et je fronce les sourcils, méfiant, comme si le petit objet était prêt à me mordre. « Je sais pas si c'est une bonne idée. Mais j'ai pas de drapeau blanc. » Oh. Si j’m’attendais à ça… Pendant un instant, je suis tenté de lui balancer mon sarcasme à la gueule en lui rappelant qu’il était sur le point de me faire la peau pas plus de dix minutes plus tôt, mais l’appel de la nicotine se fait plus fort et je finis par céder en acceptant son offre de paix. « Merci... » je marmonne, portant la cigarette à mes lèvres une fois celle-ci allumée. Je manque m’étouffer avec la première bouffée, ayant sous-estimé les effets du tabac sur ma gorge irritée, mais les suivantes me font pousser un soupir d’aise tandis que je laisse retomber ma tête contre le lampadaire. « Sacrée droite, en tout cas, gamin. » Sa grimace me fait ricaner, amer, mais pas peu fier de constater que ma dignité reste intacte malgré cette défaite. « Merci. » je répète, sincère, et pour la première fois respectueux de mon adversaire. L’ironie me fait sourire : il aura fallu une baston, une clope et un compliment pour que je lui donne enfin les remerciements qu’il me réclame depuis le début. « La tienne est pas mal non plus. » Mes doigts effleurent ma pommette tuméfiée d’où le sang a rapidement cessé de couler. J’exhale un nouveau nuage de fumée, laissant mon regard se perdre dans les volutes grises avant de reporter mon attention sur l’homme en face de moi. « T’es quoi, un vétéran pour savoir frapper comme ça ? »
C'était comme sortir d'un mauvais rêve, s'éveiller en sursaut, le coeur constellé de sueur. Hagard, tu reprends conscience quand ta poigne s'écarte de la gorge du garçon au regard noir, que t'es jeté en arrière, repoussée par des paires de bras qui t'emmène quelques mètres plus loin. Il y a une voix qui hurle, qui gronde comme le tonnerre mais t'es simplement sonné. À repasser les dernières minutes de ton existence dans ta boîte crânienne, ressassant littéralement cette image de son visage suffoquant sous ton bras. T'aurais pu tuer le gamin, littéralement. Si personne ne t'avait arrêté, tu n'aurais pas été celui pour le faire. Perdu dans les souvenirs, dans les réflexes, dans cette rage primitive qu'il avait fallu adopter au quotidien pour survivre. Plonger dans cet état où l'autre n'est plus rien d'autre qu'un obstacle à éliminer pour rester en vie, en bonne santé. T'étais retourné entre les barreaux quelques minutes et tant ton cerveau que ton corps n'avaient pas réussi à en repartir. Ton regard reste bloqué le long du mince trajet, sur tes grandes mains parsemées de cicatrices et de marques dues au travail manuel. Ouvrant et fermant les poings, regardant sans voir, complètement perdu. C'était terrible de te dire que t'aurais eu aucun remord à le voir perdre connaissance sur le sol d'un bar miteux. Parce qu'en soit, c'était pas le cas. T'avais retrouvé quelque chose dans cette agressivité, dans cette méfiance, quelque chose que tu voyais sur ta gueule en te regardant le matin dans le miroir. L'alcool avait juste poussé ton inconscient au point du non-retour. Ou presque. Et ce constat, il te faisait peur, putain. Parce que tu voulais pas finir comme ton père. Jamais. C'était parfois juste difficile de combattre perpétuellement ses démons sans se perdre en chemin.
Titubant maladroitement pour venir te laisser tomber sur le trottoir, sous un ciel noir d'encre, parsemé d'étoiles. Vidant ta bouche de ce mélange dégueulasse de salive et d'hémoglobine, dernier vestige de votre rencontre musclée. Jetant un coup d'oeil aux ersatz de diamants qui scintillent dans la nuit, avant de sortir tes clopes de leur prison de fer. Tendant l'un des bâtons de nicotine vers le gamin qui reprend son souffle, pas sûr que ce soit une si bonne idée que ça. Mais c'est la seule disponible sur le moment. Et tu laisses la fumée nocive ravager ton œsophage rendu irrité par l'alcool, les yeux clos quelques secondes. Redirigeant ton regard sur le brun qui porte la cigarette à ses lèvres, retenant un léger rire quand il s'étouffe avec la première taffe. C'était bien ce que tu pensais, la gorge devait pas apprécier après la pression exercée dessus. Tu inspires doucement, relâchant la pression qui tend tes mains, dépliant tes doigts plusieurs fois, les yeux dans le vide. Appréciant simplement le silence entrecoupé de vos respirations, soufflant des volutes de fumée qui s'entrecroisent dans l'atmosphère, disparaissant quelque secondes après dans l'oubli. Commentant son jeu de poings après quelques minutes. Sentant l'amertume suinter de son rire, l'ego légèrement altéré par le retournement de situation. Et tu ne ressens plus aucun sentiment victorieux, depuis longtemps. Il y a bien cette impression fugace de maîtriser l'adversaire, mais remporter l'issue du combat n'a plus aucune saveur.
La réponse est quasiment identique. Ta bouche se tord en une réplique de sourire mais tu grimaces à la douleur qui pulse de nouveau dans ta mâchoire. Tu lèves les yeux au ciel, rien qu'en imaginant le foin que la demoiselle à la maison allait faire. Pour un bleu. Et à toutes les questions auxquelles tu allais avoir droit. Si tant est que tu voudras y répondre. En attendant, tu tires une taffe qui finit qui se bloquer ta gorge à la question qui t'es posée. T'étouffant à ton tour, tapant du poing sur ta cage thoracique avant d'exhaler et de reprendre un peu contenance, un rire amer venant à son tour sur tes lèvres. « Un vétéran ? On peut dire ça comme ça, ouais. » tu réponds, les lèvres serrées. Tu n'allais certainement pas parler des pires années de ta vie de manière naturelle avec un inconnu. "Un vétéran ? Mais non, j'ai juste fait une dizaine d'années de prison. La bagarre pour éviter de mourir, tout ça." Non. Le nombre de regards qui t'observaient avec une crainte mêlée à du dégoût était largement suffisant. Pas besoin de rajouter un numéro en plus à la liste. Tu finis par écraser le mégot fumant contre le bitume, le déposant à côté de toi avant d'entourer tes bras autour de tes jambes repliés, nonchalant. En réalité, tu réfléchis très spécifiquement aux mots à employer. Parce que ça ne suffira pas. Tu le sens. « Disons que, j'ai du apprendre à me débrouiller seul. Manger ou être mangé, tu vois le truc ? » tu rajoutes, essayant de ne pas paraître trop sérieux dans ces mots qui résonnent si douloureusement. Tu décides de changer de sujet, finissant par croiser les bras contre ton torse. Décidément pas sûr de la meilleure manière d'agir. « Du coup, j'ai le droit de poser des questions aussi où tu vas m'envoyer me faire foutre comme tout à l'heure ? » tu demandes, de manière plate. Sans aucun défi sous-jacent. C'était simplement donnant-donnant, surtout à ce niveau de la conversation.
Le changement d’ambiance est drastique. Les nerfs se calment au fil des minutes qui s’écoulent, les taux d’adrénaline finissent par retomber à la normale. Seuls les souffles restent bruyants, pareils aux songes qui nous habitent malgré le silence. Ainsi appuyé contre le métal froid, j’essaie de remettre de l’ordre dans mon esprit embrumé. Le whiskey a beau jouer à la perfection son rôle désinhibant, me donnant l’impression de vivre dans un monde au ralenti, les coups encaissés sont suffisamment douloureux pour me garder les pieds sur terre. Ça pulse salement dans mon crâne. Ma gorge n’est pas en reste : la fumée grise de la clope offerte en gage de paix m’irrite l’œsophage au point de manquer de m’étouffer. Pas plus digne qu’un gamin crapotant pour la première fois. L’autre doit bien s’en amuser. Il s’est assis en face de moi, négligemment adossé contre un mur, fixant ses mains dont il plie et déplie lentement les doigts plusieurs fois. D’où il sort ce type ? Je n’ai pas oublié la lueur animale qui brillait dans ses pupilles dilatées lorsqu’il me surplombait, son bras verrouillé tel un nœud coulant sous mon menton. Il aurait pu me tuer si personne ne l’avait arrêté, j’en suis convaincu. On ne croise pas ce regard-là à tous les coins de rue. Et si je ne ressentais que dédain et colère envers sa personne au début de la soirée, je ne peux m’empêcher d’éprouver un certain respect à son égard à présent, malgré tout ce qui m’en coûte de l’admettre.
Après l’avoir observé un moment, je finis par poser la question qui m’intéresse, histoire de vérifier mon hypothèse. Un ancien militaire, ça me semble être le scénario le plus plausible. Mais sa réaction n’est pas celle à laquelle je m’attendais : le barbu est pris d’une violente quinte de toux avant de lâcher un rire amer qui me met sur la défensive. J’arque un sourcil, attendant la suite avec une drôle de curiosité. « Un vétéran ? On peut dire ça comme ça, ouais. » Sentant qu’il ne me dit pas tout, je reste silencieux et ne le quitte pas des yeux, tirant à nouveau sur ma clope. Les volutes grises s’échappent d’entre mes lèvres, se dissipant lentement dans la nuit. « Disons que, j'ai du apprendre à me débrouiller seul. Manger ou être mangé, tu vois le truc ? » qu’il ajoute après avoir changé de position sur le bitume comme si le sujet le rendait mal-à-l’aise. Et pour cause, sa réponse me fait ricaner, amer. « Ouais, je vois l’truc. » La loi de la rue, je ne la connais que trop bien. Ça résonne de façon un peu trop familière d’ailleurs : pendant un bref instant, j’ai l’impression d’observer mon reflet dans un miroir. Et ce n’est que maintenant que je reconnais cette lueur mauvaise dans son regard : cette fierté impertinente et revêche, bien qu’adoucie par l’expérience, puisque sa sœur jumelle brille dans mes propres pupilles. Se pourrait-il qu’on ne soit pas si différents, finalement ? « Je vois très bien… » je répète à voix basse, songeur, le bâton blanc empruntant une nouvelle fois le chemin jusqu’à mes lèvres entrouvertes.
Nouveau silence, seulement perturbé par les bruissements de tissus lorsque l’autre change à nouveau de position, finissant par croiser les bras. « Du coup, j'ai le droit de poser des questions aussi où tu vas m'envoyer me faire foutre comme tout à l'heure ? » Je me crispe légèrement, guettant la moindre note de défi dans sa voix, avant de me détendre. Ce n’est plus le moment d’être sur la défensive. Et puis honnêtement, le marteau qui ne cesse de frapper l’enclume qui me sert de pommette suffit à garder sur le droit chemin. Je grimace, songeant déjà à la tâche sombre qui ne tardera probablement pas à se former sous mon œil gauche et à toutes les questions trop inquisitrices de Sophie lorsque cette-dernière me tombera dessus. Elle va m’engueuler, c’est certain. Ugh. « ‘Dépend de la question. » que je finis par lâcher platement en expirant un énième nuage de carbone. « J’suis pas de l’armée, au cas où. » Un demi-sourire amusé retrousse le coin de mes lèvres pendant un bref instant. « Juste un pauvre type qui préfère se noyer dans le whiskey et cogner des vieux dans des bars plutôt que d’affronter la réalité. » Mes doigts effleurent distraitement la poche de ma veste, négligemment posée entre mes jambes, d’où ressort le relief de mon portable. J’me demande si Andy a essayé de me rappeler, ou si un second message éclaire à présent l’écran.
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Sujet: Re: firewhisky Jeu 29 Nov - 18:20
Firewhisky
Alexander & Barth
L'air frais t'entourait comme un manteau, voile froid et humide qui venait appuyer plus fort sur ta gorge endolorie, sur la pulsation violente qui résonnait le long de ta mâchoire. Il n'y était pas allé de main morte, le bougre. Tu tentes d'ouvrir un peu plus la bouche mais tu finis par grimacer de plus belle, essayant de remettre les articulations en place. Une fois que l'acide lactique n'agit plus, que l'adrénaline s'en est allée rejoindre l'oubli, tout retombe avec fracas et tu ressens la souffrance avec plus de force qu'auparavant. Encore un rappel de ces longues années derrière les barreaux, à souffrir la violence et à la dispenser, pour survivre. Pendant la tempête, il n'y avait plus que la rage de vaincre, d'écraser l'opposant, de sentir le respect s'instaurer dans le regard adversaire, si ce n'était pas la soumission pour les plus faibles. Que des coups, des coups et des coups encore, l'esprit embué par l'instant, par cette fulgurante montée d'insolence et de force. Mais tu revois les innombrables journées à te croire mourir sur ta couchette inconfortable. Supportant le poids de ton corps à demi-mort, roué de marques violacées, le visage tuméfié et encore signé de traces sanguinolentes. À penser que le moindre de tes os s'est brisé en miettes, avec cette impression d'avoir les jambes coupées, incapables de supporter ton propre poids. À attendre la récupération, à patienter avant de te faire recoudre sommairement, observant furtivement le reflet de ton visage dans une vitre pour une fois trop propre. Un visage marqué par la violence, par la haine, par la paranoïa. Un visage qui jamais ne retrouverait un semblant d'innocence.
Et quand il tente de découvrir d'où tu tiens cette rage, ces mécanismes défensifs qui paraissent ancrés dans la génétique de ton être, tu t'étouffes soudainement avec la fumée de ta cigarette. Attendant que la voie de tes poumons soit libre avant de lâcher un rire amer, la goût acre de la nicotine sur la langue. Un vétéran de guerre ? Si l'on jouait sur les métaphores, on pourrait presque le décrire ainsi. Mais tu étais vétéran d'autre chose, tout aussi terrible. Autant de perte, autant de brutalité, d'imprévu. Mais au lieu de parcourir de grands espaces pour gagner du terrain, t'avais été réduit à devoir te battre dans un lieu clos, barricadé, avec un mince espoir de sortie. La loi du plus fort, du prédateur, somme toute. Tu changes de position sur le trottoir, grimaçant à la douleur sourde qui pointe entre tes côtes également. Pas loupé pour un sou, en effet. Il en avait dans les poings, le gamin. Il ricane et tu te retrouves en lui, dans sa manière de réagir, de se tenir, de répondre un coup par un autre. Il semblait avoir été formé dans le même moule. À la dure.
Prenant une bouffée de ce bâton mortel, laissant le poison s'insinuer dans tes poumons, observant à la fois la nuit et la silhouette qui te fait face. Puis la curiosité revient à la charge et tu te permets de poser la question. Allais-tu te manger à nouveau un pain dans la gueule si tu demandais quelques petites informations ? Tu n'allais non plus lui demander son groupe sanguin ou son code de carte bleue, non plus. T'oses espérer qu'il a senti la neutralité dans le ton de ta voix. Plus de défi, plus d'insolence. Une franchise désarmante, plate, honnête. Après, à lui de voir s'il en avait l'envie ou s'il voulait continuer de se murer dans le silence. Il prend le temps de fumer encore avant de répondre, choisissant d'être évasif. « Compréhensible. » je souffle, paroles et fumée assorties de concert. Les noirs secrets, étaient bien mieux là où ils reposaient. Sagement dans l'ombre. Loin de là où l'on peut facilement gratter la surface pour les déterrer. Un sourire amusé étire autant tes lèvres que les siennes quand il évoque l'armée. « T'es pas assez carré pour avoir fait l'armée. Autant de cadrage quotidien, ça te marque à vie dans ta manière d'être auprès des autres. » Tu penses à Rylan, même s'il avait réagi de manière extrême. Traumatisé par l'horreur. Mais la plupart des anciens militaires restaient extrêmement ordonnés et avec un rythme de vie réglé comme un coucou suisse. Le gamin paraissait juste paumé et rebelle, essayant de trouver sa place dans le monde de manière plus virulente que la plupart des gens. La triste réaliste des mots qui suivent confirme le fait que vous vous ressemblez beaucoup plus, une fois la bataille passée. « Le temps de l'oubli est le plus agréable, n'est-ce pas ? » tu demandes, avec un sourire amer, de connivence. Les deux dans le même bateau. Tu joues machinalement avec le roulis de ton briquet, faisant distraitement apparaître une petite flamme que tu contemples un bref moment avant de reprendre. « J'suis pas le mieux passé pour dire ça mais...parfois faire face à ses démons c'est pas si terrible. C'est aussi douloureux que la mandale que tu m'as envoyé dans la gueule, mais c'est libérateur. » Ton regard est dardé sur l'obscurité, sur les étoiles qui scintillent comme des diamants. Tu penses à cette confrontation surprenante et explosive avec Aria, sur ce bout de route abandonné. « Et tu seras fixé, comme ça. » tu rajoutes, pointant du menton la poche qu'il triture depuis quelques minutes.