Le parfum délicat et poudré des rosiers botaniques. Le chatoyant dégradé d'hibiscus dont les fragrances embaument l'air, rajoutant une pointe de douceur à l'environnement. Toute cette prairie à perte de vue, verdoyante, clairsemée de touches de couleurs. Trèfles, phacélie, chardons, luzerne. Le vrombissement léger des abeilles qui butinent de fleur en fleur, venant fertiliser les unes grâce aux autres. Un enchaînement synchronisé, prévu par Dame Nature, qui enchantait autant tes yeux que tes oreilles. Le quartier de Twin Peaks était certainement le plus enchanteur pour la beauté de sa nature sauvage. Laissée telle qu'elle, sans présence de l'homme, sans barrières, sans exigences. Elle était ton territoire de prédilection pour la collecte de végétaux qui viendraient rejoindre tes herbiers. Classés par thèmes, embellis de croquis à la graphite, soigneusement confectionnés. Avec cette sempiternelle odeur de plante séchée qui diffusait son parfum dans ta chambre, te laissant à rêver d'un autre avenir. À défaut de le pratiquer officiellement, il restait ton secret. Ton plaisir coupable, dissimulé derrière un tissu de mensonges. Mais ta seule liberté restait celle de batifoler en pleine nature, cueillant ici et là pour satisfaire ton besoin botanique, pour assouvir ta curiosité et tes connaissances en la matière. Capturer le beau, l'éphémère, le voir transiter entre deux âges avant de se figer pour l'éternité.

Après de longues allées et venues dans les champs pour ramasser ceux qui éveillaient ton envie, soigneusement déposés dans ce sac transformé en glacière par tes soins, tu te replies sur le chemin bétonné, suivant le macadam pour rentrer dans la cage dorée qui te sert de bercail. Les idées remplies, bouillonnantes, tu te permets même de siffloter un air de musique sur la route, tes longues mèches d'un blond caramel venant se balancer entre tes omoplates au rythme de tes pas. Puis tu te figes d'un seul mouvement, au beau milieu d'un lotissement qui t'es familier. Ashton habite ici. Avançant prudemment, tu tentes de retrouver la bâtisse associée à ton blondinet de cousin et la musique qui finit par s'échapper d'une d'entre elles te guide finalement vers la bonne destination. Tes pas se bloquent pourtant devant la porte d'entrée du garage, une mélodie rythmique grandissant à vue d'oeil. Ils étaient en répétition. Tu allais rencontrer les Space Boots au grand complet. Et cette idée était aussi excitante qu'effrayante. Parce que l'anonymat des membres t'avait permis de supposer, d'imaginer. Tu avais entendu des histoires rapportées par ton cousin mais jamais il n'avait fait mention de leurs identités. Par habitude, certainement. La main sur la poignée, tu continues à hésiter, perdue entre des choix contradictoires.

L'harmonie musicale en decrescendo et des rires qui explosent pour terminer le morceau. C'est vivant et contagieux, ça te réchauffe l'âme même à travers une cloison. Et alors que tu tends à nouveau la main vers la poignée, elle s'ouvre d'elle-même et tu fais face à Ashton, un sourire coupable sur les lèvres. « Surprise ? » tentes-tu en battant des cils. « Je passais par là et je me suis dis que je pouvais venir te rendre une petite visite. Vous êtes en répétition ? Bien sûr que vous êtes en répétition. Je suis stupide. » tu débites rapidement, gênée d'avoir été prise en flagrant délit d'écoute dissimulée. « Je peux regarder ? Si ça ne dérange personne. » Tu voulais grandement éviter de les déconcentrer par ta seule présence dans le garage des Walker. Tu passes la tête sous son aisselle pour observer le reste du groupe qui porte ses yeux curieux sur toi, venant faire naître du rouge sur tes pommettes. Tu allais reporter ton regard sur le seul membre de ta famille quand une porte claque et qu'une voix s'élève, oscillant entre l'agacement et le désespoir. « Y'a jamais rien à manger chez toi, Ash, putaaaain. » Et tu te figes à nouveau. Chose bien trop récurrente depuis le début de la journée. Non non  non non non non non. Ce timbre légèrement ronronnant. Cette crinière éternellement (dé)colorée, ce regard d'un bleu limpide. MER...CREDI. Qu'est-ce que Galderan pouvait bien faire ici, nom d'un chien !?

Un dernier accord prolongé, vibrations s’éternisant jusqu’à la dernière note. Un dernier coup de cymbales qui emplit la pièce de son fracas retentissant. D’un grand geste dramatique, je laisse échapper un drumstick qui s’envole bien haut… pour revenir s’écraser sur le coin de mon nez. Un éclat de rire général vient saluer cette petite performance ratée tandis que la chanson touche enfin son terme, concluant une bonne heure et demie de répétition intensive. Et comme d’habitude, je suis trempé de sueur. Jude est le premier à prendre la parole, retirant déjà la sangle de sa guitare pour la poser sur son portant. « On fait une pause, j’ai faim. » J’acquiesce en levant les yeux au ciel, amusé, tandis que le grand blond disparaît dans les escaliers menant à la cuisine. Il perd jamais l’nord, celui-là. Toujours un creux à remplir. Ça m’étonnerait qu’il trouve de quoi grignoter par contre, j’ai pas fais les courses depuis une bonne semaine. « Ok, fais comme chez toi. J’vais en profiter pour ouvrir, ça sent le rat crevé ici. » Je me lève de mon tabouret et étire brièvement mon dos, puis me dirige vers la porte du garage sous les moqueries de Zack qui vient de s’affaler dans le vieux canapé usé. « Désolé de te l’annoncer comme ça mais j’suis à peu près sur qu’elle vient de toi cette odeur, Ash. » Haha. On me l’avait jamais faite celle-là. J’attrape une serviette pour m’essuyer le visage et la nuque avant de lui balancer le tissu humide à la gueule. Le karma est impitoyable. « Thanks, mate. T’es vraiment un pote. » Mais lorsque je soulève la lourde porte en métal pour laisser entrer un peu d’air frais dans la petite pièce – qui s’est littéralement transformée en sauna entre la canicule et l’odeur… musquée ambiante – je me retrouve face à deux yeux noisette aussi surpris que les miens. « Surprise ? » Passé le mouvement de recul involontaire, je reconnais aisément la visiteuse impromptue dont j’accueille la présence d’un grand sourire étonné. « Oh hey, Finn ! Qu’est-ce que tu fais ici ? » Il est rare en effet que ma cousine me rende visite sans s’annoncer au préalable. Malgré tout, ça me fait vraiment plaisir de la voir, comme toujours. La jeune femme aux longs cheveux blonds me regarde d’un air coupable, comme si je venais de la prendre la main dans le sac. « Je passais par là et je me suis dis que je pouvais venir te rendre une petite visite. Vous êtes en répétition ? Bien sûr que vous êtes en répétition. Je suis stupide. » Le débit rapide empreint de son habituelle timidité polie me fait rire, amusé. « Perspicace ! » Et puis je pivote légèrement pour englober le garage d’un vague geste du bras avant de dégager une boucle rebelle tombée sur mon front. « Yeah, on fait un petite pause. Certains avaient besoin de leur goûter. » que j’ajoute, le ton incontestablement moqueur. « Je peux regarder ? Si ça ne dérange personne. » Why is she so darn cute. De nouveau, je me retourne brièvement afin de consulter silencieusement mes deux potes présents qui me répondent d’un haussement d’épaules positif. « Euh ouais, bien sûr ! Ça devrait pas poser de problème. » «  Y’a jamais rien à manger chez toi, Ash, putaaaaain. » La voix plaintive d’un Jude au bord du désespoir noie la fin de ma phrase et me fait lever les yeux au ciel. Qu’est-ce que j’avais dit ? « Ah bah si finalement. » D’abord confus, mon regard se pose sur le guitariste qui semble fixer un point sous mon bras, et puis sur Finn dont les joues virent bientôt au rouge pivoine. Pas la peine de me faire un dessin, ma bouche s’ouvre grand dans une grimace excessivement choquée lorsque je fais la connexion. « Hey ! J’te permets pas, you fucktard. » Si j’avais encore ma serviette sale sous la main, aucun doute que je la lui aurais jeté dessus. En toute amitié, évidemment.

Vient finalement le moment des présentations – une charge qui m’incombe puisque je me rends seulement compte n’avoir jamais présenté la petite blonde à mes plus proches amis, ni vice-versa. How did that happen. « Les gars, voici Finn, ma cousine. Cousine, j’ai l’honneur de te présenter les Space Boots au grand complet ! » Prenant mon rôle très à cœur, je passe un bras protecteur autour des minces épaules de Finn puis désigne un à un les musiciens. I’m a dad. « Jasper, Zack… et l’homo-sapiens qui vient d’arriver là c’est Jude. Mais il est gentil en vrai. » Quand il le veut bien. Et si on fait abstraction de ses répliques déplacées (elles le sont à quatre-vingt pourcent, mais on s’habitue à la longue). Finn n’a toujours pas pipé mot, je la soupçonne d’être sidérée et slash ou béate d’admiration devant les Space Boots. « La séance autographes se tiendra après la répet’, merciii ! »

Damn. De toutes les choses possibles et inimaginables au monde, il fallait qu'elle le soit. Jude Galderan était un membre des Space Boots. Jude Galderan était donc un ami proche de ton cousin. Doux Jésus. La seule chose dont tu es capable, c'est de fixer le garçon aux cheveux peroxydés, le rouge aux joues. Figée tout prêt d'Ashton, incapable de faire le moindre mouvement. C'était certainement le moment le plus gênant de toute ton existence. Et ce sous-entendu. Plus que gênant, maintenant. Tu n'entends que peu la réponse amère du blondinet à tes côtés, toujours statufiée. Parmi tous les êtres existants sur cette Terre, tu te retrouvais face au garçon avec lequel tu avais batifolé dans tes propres cuisines, le corps désinhibé par l'alcool, dans un moment de faiblesse. Cela n'avait pas été un moment désagréable, tu ne pouvais le nier, mais il poursuivait ces assiduités à chaque fois où vous vous retrouviez dans une pièce. Et Dieu seul sait que Josephine Harris aimait organiser des réceptions pour asseoir son pouvoir et sa réputation. L'entreprise qui l'employait se trouvait être la plus renommée et vos chemins ne faisaient que perpétuellement se croiser. Mais Conan occupait tes pensées, inlassablement. Malgré tout. Envers et contre tout. Le problème actuel était de ne pas mettre Ashton au courant de cette mésaventure. Et le garçon aux cheveux teints ne semblait pas être coopératif. Vraiment pas. Il ne semblait pas connaître la face cachée de son ami, celle qui ne ressortait que lorsque que tu étais dans les parages. Quelques réminiscences des mâchoires déboîtées de certains garçons trop entreprenants dans les rares soirées auxquelles il t'avait traîné. Ouch. Et voilà qu'il te présente à tout le groupe, dénotant explicitement ce qui vous relie, tandis que tu continues à fixer l'apprenti traiteur, les yeux plissés. Faites qu'il comprenne.

Ton cousin termine sur une plaisanterie et tu lèves les yeux au ciel. Aucune modestie, celui là. Tu flanques une légère tape à sa nuque, pouffant discrètement. « Eh oh, ça va les chevilles ? » tu murmures, amusée. Puis tu finis par te redresser, le rose toujours présent sur les joues, levant une main légèrement tremblante pour saluer les garçons présents dans le garage. Trois garçons, dont un n'était pas si inconnu que cela. Et penser à la manière dont il l'était devenu rendait tes pommettes brûlantes. « Ehm, bonjour ? » est la seule chose que tu arrives à sortir, les yeux désormais fuyants. Un bras s'est glissé sur tes épaules pendant les présentations et tu respires un peu mieux. Tant qu'Ashton est là, tout ira bien. « Enchantée ! » tu réponds, un peu plus enjouée. Mais tes pensées restent focalisées sur ledit "homo sapiens", priant de toutes tes forces pour qu'il tienne sa langue. Tu glisses sous le bras de ton cousin, faisant quelques pas de plus dans la pièce, ne trouvant pourtant pas un endroit où te mettre sans déranger, sans attirer l'attention. Et attirer l'attention du peroxydé sur toi était la dernière chose que tu voulais. Le malaise encore bien présent, remuant des choses dans ton estomac, des choses auxquelles tu ne voulais pas réfléchir pour le moment.

Tu finis par remarquer un fauteuil dans un coin mais le sécheresse de ta gorge se rappelle à toi subitement. Malheureusement, tu oublies généralement l'emplacement de la cuisine, à cause du peu de fois où tu t'es rendue chez Ashton. Les visites s'effectuant généralement dans l'autre sens. « J'ai encore oublié mais où est la cuisine ? Un petit verre d'eau ne serait pas de refus. » tu babilles, gênée, essayant de te dissimuler dans ta chevelure claire. Une habitude. Et tu fixes ton cousin de manière insistante, lui faisant passer le message. La question lui était destiné, évidemment. En essayant de ne pas prendre en compte le regard qui te chauffe la joue, à ta gauche. Ce regard clair qui semble vouloir te percer à jour.  

Pour une raison que j’ignore, Finn est tendue comme un string. Alors même si je mets ça sur le compte de son caractère réservé, je m’applique à essayer de la détendre en faisant les présentations et en y ajoutant un petit commentaire rigolo. Respire cousine, ils vont pas te manger. Il faut croire que ça fonctionne en tout cas puisque je sens les épaules de la petite blonde se détendre sous mon bras et sa voix semble plus assurée lorsqu’elle salue mes amis. Puis elle se met à déambuler dans le garage aménagé en salle de répét’ insonorisée, probablement à la recherche d’un siège où se poser. En attendant, je profite de la porte ouverte sur l’allée gravillonnée pour faire quelques pas dehors, prendre un peu l’air et me rafraichir le visage. ‘Faut vraiment que j’investisse dans un ou deux ou quinze ventilos, ça serait pas du luxe.

« J'ai encore oublié mais où est la cuisine ? Un petit verre d'eau ne serait pas de refus. » La timide voix de Finn me fait aussitôt rebrousser chemin tandis que son regard me fixe avec insistance. Je cligne des yeux plusieurs fois, pas trop sûr de comment interpréter ça – si interprétation il devrait y avoir. « Euuh, en haut des escaliers à droite, tu peux pas la louper ! » Je pointe du doigt la petite volée de marches en bois qui remontent dans la maison avant que Jude ne saute soudain sur ses pieds et ne se dévoue pour l’accompagner. « Je peux lui montrer. En tout bien tout honneur. Suis-moi, Finn, c’est bien ça hein ? Bref, je vais te montrer. » Je plisse les yeux devant tant d’entrain : bizarrement, le fait qu’il précise "en tout bien tout honneur" ne me rassure pas du tout. Enfin. C’est l’humour de Jude et on pourra pas le changer, même lorsqu’il s’agit de ma petite cousine. Maaaais, je ne perds rien à le mettre en garde. I’m a dad bis. « Elle est pure et innocente, Jude, j’te préviens ! T’as pas intérêt à la corrompre avec tes vannes douteuses, je t’ai à l’œil ! » que je lance au peroxydé avec un sourire tandis qu’il s’éloigne dans les escaliers, Finn sur ses talons. Et puis j’en rajoute une petite couche, haussant la voix pour que les deux m’entendent depuis l’étage où ils viennent de disparaître : « PURE ET INNOCENTE ! » Je me fais rire tout seul. C’est bon enfant. Je sais pertinemment que Jude est un bon gars et que Finn ne risque absolument rien. Ugh, rien que d’imaginer le contraire me file de l’urticaire. Vision d’horreur. Changeons vite de sujet.

~ A few moments later ~

La pause initiée par Jude et son petit creux a fini par s’éterniser un peu trop à mon goût : j’ai eu le temps de scroller mon fil d’actualité Twitter ET Instagram et c’est bien trop long. ‘Faut pas trois heures pour choper un verre d’eau, j’habite pas dans un château non plus. « Woh les gars, vous vous êtes perdus ou quoi ? » que je gueule à la cantonade en direction des escaliers, sans me lever du vieux canapé. À ma gauche, Zack ricane, le nez dans son portable : « Peut-être que la petite cousine a succombé au charme de notre Judie national ? » Je grimace, regrettant de ne plus avoir ma serviette pleine de transpi’ sous la main pour pouvoir étouffer le bassiste avec. « T’as beaucoup d’humour aujourd’hui dis-donc. Ferme-la un peu pour voir ? » N’empêche que maintenant je me sens obligé de monter voir ce qui se trame dans cette fichue cuisine. Thanks Zack. Je me lève donc en ronchonnant et me dirige à pas lourds vers les escaliers.

Cette situation était extrêmement inconfortable. Vraiment. Ashton et Jude, dans la même pièce. Ashton et Jude qui se connaissent, très bien. Qui jouent dans le même groupe de musique. Ashton qui allait vouloir détruire son meilleur ami s'il prenait connaissance de leur aventure d'il y a quelques semaines. Tu n'avais beau connaître ton cousin que depuis quelques années, votre relation était forte et tendre, parsemée de quelques boutades parfois, mais réelle. Tu savais très bien qu'il était capable de tout détruire sur son passage s'il te savait en danger, s'il te savait contrainte ou dans une mauvaise passe. Une tornade aux boucles blondes, dont l'instinct protecteur était à son maximum. C'était plaisant, de se sentir aimée à ce point, mais dans ce cas là, c'était problématique. Tu ne voulais pas créer de conflit, tu ne voulais pas t'immiscer entre eux, à cause d'une soirée de batifolage à cause d'un trop plein d'alcool. Mais il avait fallu que le Destin s'en mêle et crée des situations comme celle-ci. Bonté Divine. Mais le blondinet savait comment détendre l'atmosphère et tu respires enfin à peu près normalement, sentant encore le rosissement de la gêne imprégner tes pommettes. Les autres garçons t'observent comme un vaisseau alien et te forces à soutenir leur regard, les mains tremblantes. Ils avaient l'air sympathiques, tous originaux à leur manière, mais sympathiques. Tu pouvais bien faire un effort.

Mais ta gorge est sèche et l'hydrater serait un choix judicieux, alors tu finis par demander l'emplacement de la cuisine. Espérant secrètement qu'Ashton va comprendre que la demande s'adresse à lui mais tu retiens un cri de désespoir quand il t'indique juste l'endroit en question. Et tu te rappelles que la subtilité est très peu comprise par les Walker. Tu te figes quelques secondes en voyant le guitariste se proposer de t'y accompagner, bien trop guilleret pour être normal. Mais tu n'es pas censé le connaître et tu te forces à sourire aussi naturellement que possible en le remerciant. En fin de compte, ça vous permettra de mettre les choses à plat. Tu finis par le suivre et retiens un juron quand le bouclé se permet des commentaires ô combien gênants. Doux Jésus, ça devenait de pire en pire. « ASHTON ! » tu te permets, le rouge aux joues, juste avant de filer derrière le peroxydé en direction de la cuisine.

Vous arrivez à destination et l'autre blondinet attend la fermeture de la porte pour prendre la parole. Et énoncer une vérité simple mais qui a été le fruit d'une certaine surprise dans la situation actuelle. « On dirait bien. » tu réponds, plissant les yeux. Le karma n'était décidément pas avec toi, ces derniers temps. Le temps qu'il te serve un verre d'eau, buvant le sien d'une seule traite, tu poursuis. « Alors comme ça tu es le meilleur ami de mon cousin ? » Tout en serrant ton verre de tes deux mains, toujours aussi embarrassée. Il continue de son côté en complimentant ta tenue. Tu jettes un oeil à ta tenue, composée d'un simple haut en dentelle rentré dans un jean brut avant de relever à demi la tête, dissimulée en partie par tes cheveux clairs. « ...merci ? » tu réponds, le rose toujours aux joues. Il avait l'art et la manière de te déstabiliser en l'espace de quelques secondes. Et il termine en beauté en précisant qu'il restera muet à propos de votre aventure d'un soir. Tu relâches ton souffle discrètement, levant les yeux pour l'observer à ton tour. Tu respires un grand coup avant de commencer. « Ashton ne doit pas savoir, Galderan. On ne s'est jamais rencontrés avant, rien, nada, niet. Sinon il risque de- » Mais déjà la porte s'ouvre à la volée. Tu blanchis à vue d'oeil, les yeux dardés à peu près partout sauf vers lui, cachant tes mains tremblantes derrière ton dos, les paroles dévalant déjà la barrière de tes lèvres. « ...t'en vouloir à mort. » Oops. Trouver une diversion, et vite. Très vite. 

   

C’est long. Trop long. Disons qu’il y a une limite de temps pour tout au-delà de laquelle on entre dans le déraisonnable. Se brosser les dents pendant trois minutes, c’est normal, pendant dix minutes, c’est inacceptable. Se servir un verre d’eau ? Cinq minutes maximum, surtout que ma maison est relativement petite et que la cuisine c’est la porte à côté. Là on atteint le quart d’heure et je commence sérieusement à m’agiter sur mon siège tellement je m’ennuie. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien foutre là-haut ? J’espère que Jude n’est pas en train de raconter des salades à ma cousine. Et puis ya Zack à l’autre bout du canapé qui n’en manque pas une pour faire naitre un doute malsain dans mon esprit. Fuck you, Zack. En toute amitié bien sûr. Je sais que Jude est un dragueur de nature – malgré sa technique que je trouve personnellement plus que douteuse – et bien que j’ai du mal à l’imaginer tenter quoi que ce soit sur Finn, mon instinct de cousin protecteur m’oblige à me lever pour aller vérifier quand même. J’aime beaucoup le guitariste, vraiment, c’est le genre de meilleur ami à qui je donnerais volontiers un coup de main s’il avait un jour besoin d’enterrer un cadavre, mais s’il ne sait pas reconnaître les bornes des limites, on va avoir un sérieux souci. En tout bien tout honneur.

J’essaie d’ignorer les ricanements moqueurs des deux musiciens tandis que je commence à monter la brève volée de marches menant au rez-de-chaussée. Arrivé devant la porte de la cuisine, je perçois l’intonation agitée dans la voix étouffée de Finn, me faisant froncer les sourcils lorsque j’actionne la poignée. « Sinon il risque de- » Elle s’arrête brusquement dans sa tirade en croisant brièvement mon regard étonné avant de poser le sien sur chaque détail de la cuisine, affolée. « ... t'en vouloir à mort. » Les quelques mots semblent lâchés contre toute volonté, pris dans l’élan du torrent de ses paroles. « Est-ce que… tout va bien ? » que je demande dans un souffle, plus confus que jamais. J’interroge Jude du regard mais ce-dernier semble soudain frappé de mutisme. Alors je ne suis pas détective ni espion hein, mais là faut avouer que c’est louche. J’ai comme l’impression qu’on parlait de moi, bizarrement. Je plisse les yeux, méfiant et prêt à les cuisiner tous les deux pour savoir pour quelle raison je devrais en vouloir à mort à mon meilleur ami, quand le guitariste décide de sauter du plan de travail, renversant du même geste son verre d’eau sur les vêtements de Finn. Il se confond en excuses, lui tend un chiffon pour s’éponger, et moi je reste muet. « Tu voulais un truc, Ash ? On arrive. » Mais je ne l’écoute pas, mon cerveau tournant déjà à plus de mille à l’heure afin de comprendre la situation. « Tout va bien ici ? Vous avez l’air aussi coupable que si je venais de vous surprendre en train de vous bécoter sur le plan de travail ! » Un rire à moitié forcé s’échappe d’entre mes lèvres, comme si j’essayais de me convaincre moi-même.

Et puis ça fait clic.

Lentement, les rouages se mettent en place. Jude qui me conte son aventure avec la fille de ses employeurs, une bourge. Jude qui ne m’a jamais dit son prénom. La surprise de Finn que j’avais prise pour de la timidité, tout à l’heure dans le garage. Sa gêne pourtant évidente en découvrant l’appartenance du blond aux Space Boots, et ainsi le lien qui l’unit à moi. Leur petite escapade dans la cuisine et leurs mines contrite pour l’une, mal-à-l’aise pour l’autre. Et ces regards fuyants qui refusent toujours d’affronter le mien...

Putain de bordel de merde.

J’espère tellement me tromper et n’être qu’un parano surprotecteur, mais fucking hell je crois pas aux coïncidences. Sur un ton qui se veut d’un calme glacial, je serre les dents avant de planter mes yeux dans ceux de Jude, haussant la voix pour le forcer à me regarder. « Est-ce que tu t’es tapé ma cousine, Judicaël Galderan ? »

La situation était plus que gênante. Te retrouver seule avec le garçon à qui tu avais légué ton innocence dans une nuit d'ivresse, dans la maison de ton cousin. Cousin qui se trouvait être son meilleur ami, par un heureux hasard. Tu restais figée dans la pièce, tes doigts jouant avec le rebord de ton verre. Ta question était stupide mais il te fallait l'entendre de vive-voix, comme pour confirmer le ridicule de la scène. La menace était réelle, amitié ou pas : si Ashton venait à apprendre le contexte de leur rencontre, tu ne donnais pas cher de la peau du peroxydé. Tu connaissais bien l'instinct protecteur du bouclé. Ce venin bouillant qui le transformait en un être glacial et régi par ses émotions plus que par sa raison. Des images te reviennent en tête et tu revois le malheureux qui avait osé s'approcher pour te souffler une invitation à l'oreille. Un simple verre. Mais même à travers la foule, la voix d'Ashton avait tonné, impitoyable. Et son regard noir combiné à sa haute taille avaient fini d'effrayer l'inconnu. Terrible.

Après être sortie de tes réflexions, tu commences à déverser un avertissement à l'encontre du blond, assis nonchalamment sur le comptoir. Ton ton doit puer la panique mais ça s'amplifie quand la porte s'ouvre sur le visage de ton cousin. Fichtre. Pas le temps de trouver quoi rajouter que le guitariste fait valser son verre sur ta chemise, détrempant le tissu et t'arrachant un glapissement surpris. Un chiffon t'est tendu et tu l'attrapes avant de tenter d'éponger les gouttes d'humidité sur tes vêtements. Détournement d'attention classique mais une partie de toi priait pour que le stratagème fonctionne. Tu n'avais vraiment pas envie de déballer cette aventure devant l'autre protagoniste et un membre de ta famille. Mais le regard du bouclé ne te dit absolument rien qui vaille et le malaise qui siège dans ton ventre ne fait qu'augmenter. Et ce qu'il répond te donne l'impression d'avoir reçu une douche glacée. Il n'avait jamais été aussi près de la vérité, malheureusement. Tu sentais déjà son comportement changer et les rouages s'enclencher dans sa boîte crânienne. Ashton était intelligent, avec une grande capacité de réflexion logique. Mais son visage était le signe que la tempête n'était pas loin, prête à éclater. Et les conséquences pouvaient être terribles, pour tout le monde. Il fallait que tu fasses quelque chose pour contenir le cataclysme.

Tu déposes le torchon sur le plan de travail, un tressautement venant secouer tes épaules. La panique vient faire trembler tes mains et tu manques de faire tomber ton verre déposé précédemment. Il fallait vraiment que tu fasses quelque chose avant que la cuisine ne devienne un vrai champ de bataille. Prenant ton courage à deux mains et ouvrant la bouche pour dire la vérité. Parce que mentir à Ashton te révulsait autant celle d'une possible bagarre dans sa propre maison et que tu voulais apaiser les tensions qui épaississaient l'atmosphère. Ouvrant la bouche pour parler, tu es coupée par une question qui résonne plus froidement que jamais. Mon Dieu. C'était affreusement mauvais. Mais il ne te regarde pas, les yeux dardés sur ton compagnon d'infortune et tu déglutis difficilement. Il fallait que tu t'actives, maintenant. Jude n'avait pas à subir les foudres d'une situation que TU avais provoqué. Le choc t'électrise et tu te meus enfin, glissant entre les deux hommes pour te tenir face à ton cousin. Attrapant son visage entre tes deux mains, le maintenant face à toi aussi délicatement que possible. « Ashton, regarde-moi. S'il te plaît. » tu souffles, de manière rude, plongeant tes yeux dans les siens, le forçant à poser son regard sur toi. TU voulais être certaine qu'il écoute ce que tu avais à lui dire. Et ça allait momentanément stopper la pression qu'il mettait sur l'autre blondinet. « C'était le soir où j'ai appris pour les fiançailles de Conan. » tu appuies, les lèvres tremblantes, pour lui faire comprendre où tu voulais en venir. Il était un de seuls au courant. Tu tentes vainement de contenir les sursauts de tes doigts posés sur ses joues. « Ne lui fais pas de mal, Ashton. Je...j'étais triste et j'avais bu beaucoup d'alcool... » tu murmures, tout contre lui. L'intensité du moment résidant dans ta poigne maîtrisée de sa mâchoire et ton regard suppliant. Jude ne méritait pas ça. Il ne pipait mot, actuellement et c'était mieux ainsi. C'était plus simple de rester concentrée sur ton discours dans ce silence, seulement troublé par ta respiration s'étant accélérée à cause du trouble provoqué par ses paroles. Puis tu attires son visage, approchant son oreille de ta bouche, préférant garder la suite à voix basse. C'était déjà assez gênant comme ça. « Il a été très gentil, ne lui en veux pas. Je ne savais pas que vous vous connaissiez, vraiment. » tu rajoutes, avec un léger sourire. Bienveillant et prévenant, depuis le tout début. Tu ne voulais pas rentrer dans les détails de votre nuitée mais le tout était qu'il sache que son ami avait été respectueux. Et doux. « Il était juste...là, Ashton. Je ne veux pas que vous entachiez votre amitié pour quelque chose d'aussi futile. On ne voulait pas en arriver là, justement. Je te connais, je sais comment tu réagis. » tu murmures encore, très bas. Reculant par la suite pour l'observer, espérant sincèrement qu'il allait comprendre. Tu ne voulais pas créer de fossé entre eux, pour rien au monde.

Parce que la mienne n’a pas un commencement des plus heureux avec un père absent depuis mon plus jeune âge et une mère débordée par le travail dans l’unique but de subvenir aux besoins de son fils unique, la famille est pour moi un pilier fondamentalement vital. Elle était réduite, bancale, puis s’est agrandie lorsque l’on s’est rapproché des Harris à l’occasion de notre emménagement sur le continent américain. Alors que les problèmes d’argent s’intensifiaient, ma mère s’est en effet résignée à demander de l’aide à sa demi-sœur, la puissante Josephine, me permettant d’un même coup de rencontrer Finn, ma cousine. Jeune fille timide, presque apeurée, mais à la personnalité si douce et gentille que je me suis donné pour mission de la protéger comme une petite sœur. J’aime Finn, et elle me le rend bien, malgré mon attitude parfois un peu trop… envahissante ? surprotectrice ? paternaliste ? Promis, je me soigne. C’est faux. Quoi qu’il en soit, je me suis toujours montré particulièrement méfiant envers les énergumènes qui se croiraient assez bien pour tenter quelque chose avec ma petite cousine. Allez voir ailleurs bande d’abrutis, elle ne joue pas dans la même cour que vous. Et envers les autres aussi d’ailleurs : ce Conan notamment, j’ai jamais pu me le piffrer. Avec sa mèche blonde impeccable et son petit air neuneu là, tss. Idiot.

Mais là n’est pas le sujet. Il ne s’agit pas d’un faux blond complètement aveugle à la perle qui se trouve sous son nez, mais bien d’un autre faux blond qui se trouve être aussi mon meilleur ami.

Lorsque les rouages se mettent enfin en marche dans mon cerveau et que les pièces du puzzle commencent à s’emboîter en une image particulièrement dérangeante pour mon esprit, je plante mes yeux dans ceux du guitariste et lui pose cette question qui m’irrite la gorge. As-tu couché avec ma cousine, oui ou merde ? C’est n’importe quoi, j’ai l’impression de me trouver dans une telenovela bien trop dramatique pour ce que c’est. Bordel, Jude ! Il aurait pas fait ça quand même ? Non, impossible, j’peux même pas envisager l’idée. Impossible. Mais plus les secondes défilent, plus le silence perdure, et plus mon sang se met à bouillir dans mes veines. Réponds-moi ! « Ashton, regarde-moi. S'il te plaît. » Mon attention toute focalisée sur Jude, je ne remarque la présence de Finn devant moi qu’au moment où ses deux mains se posent sur mes joues, me forçant à baisser les yeux vers elle. « C'était le soir où j'ai appris pour les fiançailles de Conan. » Elle continue, inébranlable, mais cet aveu me fait gémir comme un chien blessé tandis que mon imagination s’en donne à cœur joie. J’veux pas savoir, surtout pas, épargne-moi les détails. « Finn, j’t’en prie… » Je la supplie du regard, cherchant frénétiquement dans le sien la moindre trace d’humour comme si d’un moment à l’autre elle allait tomber le masque en s’exclamant « C’était une blague ! ». La moindre trace. En vain. Rien d’autre qu’une craintive détermination dans ses orbes couleur noisette. « Ne lui fais pas de mal, Ashton. Je... j'étais triste et j'avais bu beaucoup d'alcool... » Bien loin de me rassurer, ses mots me font grincer des dents alors que je me remémore une ancienne discussion avec le guitariste. « Elle était triste, elle pleurait, je l’ai réconforté en lui disant des petits mots tu vois. Et encore mieux qu’un date, j’ai passé une nuit d’enfer ! » qu’il avait dit, tout fier de ses prouesses. Galderan, espèce de petit enfoiré… Evidemment qu’elle pleurait, Conan venait de se fiancer avec sa némésis ! Evidemment qu’elle était malheureuse, bordel de cul ! Mais lui, tout ce qu’il trouve à faire, c’est profiter de son moment de faiblesse pour conclure !!

Je vais lui péter les rotules.

Inconsciente de l’orage qui éclate dans mon esprit, Finn m’attire un peu plus proche de sorte que je dois me pencher pour que sa bouche effleure mon oreille. « Il a été très gentil, ne lui en veux pas. Je ne savais pas que vous vous connaissiez, vraiment. » qu’elle murmure, tel un secret embarrassant. Et j’ai envie de geindre, en proie à un véritable combat intérieur, fermant les yeux hermétiquement dans une tentative d’éteindre le projecteur vicieux qui me sert de cerveau. « Finn… » « Il était juste... là, Ashton. Je ne veux pas que vous entachiez votre amitié pour quelque chose d'aussi futile. On ne voulait pas en arriver là, justement. Je te connais, je sais comment tu réagis. » Comment peut-elle le défendre si vaillamment alors qu’il s’est si clairement servi d’elle pour parvenir à ses fins ?! Jude ne s’attache pas aux femmes, il prend du plaisir et il se casse le lendemain sans demander son reste. Bordel, Finn mérite mieux que ça ! La jeune femme finit par retirer ses mains de ma mâchoire avant de reculer d’un pas, me dévisageant toujours comme si j’étais prêt à exploser à tout moment. Ce qui n’est pas totalement faux, pour le coup. Qu’est-ce que je suis censé faire exactement ? Bannir Jude de ma maison et enfermer Finn dans une tour d’ivoire avec un dragon en guise de gardien ? Wait. « Je savais vraiment pas que c’était ta cousine, dude… » Le guitariste prend enfin la parole, prudent, dans une attitude toute penaude qui ne lui ressemble pas. « Je suis désolé, sérieux. » Et je ne doute pas une seconde de sa sincérité. Mais quand mon corps s’ébranle pour m’approcher enfin de mon meilleur ami, ce n’est pas pour lui offrir une étreinte et ma bénédiction la bouche en cœur, non.

D’un seul geste rapide, mon poing s’arme et vient s’écraser sur la pommette de Jude. Pas assez fort pour le faire saigner, mais assez pour plus tard colorer sa peau pâle d’une jolie couleur bleutée. « Plus jamais tu traites ma cousine de bourge. C’est clair, blondinet ? » que je lâche, glacial, en le menaçant de mon index. J’entends Finn protester derrière moi mais je l’ignore royalement, m’écartant juste assez de l’homme blessé pour ouvrir mon frigidaire et y attraper un sachet de petits pois congelés avant de le lui tendre, magnanime. « Tiens, prends ça. »

Ashton avait été comme une bouffée d'air frais dans ton existence insipide. Il n'était pas le seul, la présence rassurante de William venant apaiser tes sempiternelles craintes et teinter de lumière certaines de tes journées. Mais le grand boucle au sourire toujours planté sur les lèvres avait été ton guide dans la jungle hostile qu'était la vie réelle. Te tirant par la main pour t'entraîner à sa suite dans les rues, pour t'inviter à rejoindre l'agitation incessante de la ville. Il avait voulu te montrer ce que c'était de vivre, avec une fraîcheur et une honnêteté désarmantes. Mais ça avait été le coup de pouce adéquat pour te permettre d'avancer et de t'ouvrir à l'environnement extérieur, toi qui restait éternellement cloîtrée entre quatre murs, le nez plongé dans les bouquins traitant de botanique. Des sorties improvisées mais toujours surveillées, ses yeux clairs furetant partout pour détecter une éventuelle menace. Menace qui finissait toujours par s'enfuir sans demander son rester, devant l'effroyable visage qu'il pouvait porter lorsqu'il était contrarié. Il passait de l'un à l'autre, éternel impulsif, régi par ses émotions et agissant souvent au lieu de réfléchir. Mais tu l'appréciais pour ce qu'il était, malgré ses accès de brusquerie. Il était ton gardien et il t'empêchait de te mettre dans des situations dangereuses, dans sa parfaite connaissance du monde extérieur. Pourtant là, la situation était diamétralement opposée par une variable venant s'ajouter dans l'équation. Jude Galderan était cette variable et c'est ce qui changeait tout. Prise dans l'étau implacable de leur profonde amitié, venant mettre à mal la confiance que portait ton cousin à son plus vieux compagnon. Et tu étais loin de le vouloir, le visage blanchissant sous l'effroi et l'angoisse. Tes mains tremblantes essayant s'attraper son visage le plus délicatement possible pour attirer son regard loin du garçon penaud, dans ton dos.

Et tu détestes cette trace de désespoir que tu peux lire dans ses yeux. Celle qui se demande si ce n'est pas une vaste plaisanterie et que vous crierez "Surprise !" à un moment donné. Mais ça ne l'est pas. C'est la réalité et il allait devoir l'accepter, comprendre que la faute ne revenait à personne d'autre qu'elle. Pour s'être laissée porter par la peine, s'être perdue dans les bras d'un homme qu'elle croyait un parfait inconnu, qui ne l'était pas tant, en fin de compte. Tu tentes vainement de le réconforter avec quelques explications sur les raisons de votre rencontre mais d'après la lueur qui flamboie dans son regard, ça ne l'apaise pas vraiment. Tes mains continuent de tressauter sur sa peau et tes yeux cherchent farouchement un éclat rassurant dans ses prunelles. Quelque chose de familier, quelque chose qui ferait redescendre les battements agités de ton coeur.

Tu te penches pour susurrer à son oreille, préférant garder ces quelques mots secrets. Sans trop t'épandre sur les circonstances et le déroulement des opérations mais défendant la bienveillance du blondinet retranché derrière toi, attendant sa sentence. Parce qu'il y en aurait une, de toute manière, ton cousin n'agissant jamais à moitié. Autant prendre de l'avance et essayer d'amoindrir la portée des dommages. Parce que séparer ces deux amis de longue date était la dernière chose que tu souhaitais. Ton coeur s'alourdissait de minutes en minutes, dans ce silence. Reculant, laissant glisser tes mains tremblantes le long de ton corps, observant son visage crispé par la colère. Espérant sincèrement avoir changé quelque chose. Et après quelques minutes, le guitariste prend enfin la parole, murmurant des excuses, démontrant sensiblement que vous n'aviez jamais su à qui vous aviez à faire lors de votre rencontre. Le pur fruit du hasard ou une simple coïncidence ? Peu importe, le mal était fait. Ashton semble enfin s'animer et tu ne comprends que trop tard que c'est pour lancer son poing dans le visage de ton meilleur ami. Portant la main à ta bouche, le ventre noué. « ASHTON ! » est le seul cri stupéfait qui t'échappe. Tu n'aimais pas les étalages de violence et encore moins venant de ta propre famille. Dans ce cadre précis, où tes mésaventures menaient à ce genre de confrontation. Tout était de ta faute.  Ta voix est teintée d'outrance, la sienne d'une colère froide. Tes yeux se plissent férocement quand il se déplace à nouveau mais s'agrandissent de perplexité quand il ouvre la porte du congélateur pour en sortir un sachet de légume surgelés qu'il tend à son meilleur ami. Était-il possible d'être aussi lunatique qu'Ashton Walker ? Difficile à dire.

Croisant les bras sous ta poitrine, consternée, tu observes les deux hommes alternativement, les lèvres pincées. Avant de soupirer, passant une main dans tes cheveux clairs, dégageant ton front. « Quelqu'un a-t-il encore quelque chose à dire ? Une remarque ? Une objection ? Sinon je propose qu'on retourne en bas, histoire d'éviter de rameuter toute la maison dans la cuisine. » tu proposes platement, évitant de trop poser tes yeux sur Jude. La marque violacée qui allait s'étendre sur sa pommette était le résultat de ton inhibition teintée de tristesse. Puis lorsque que le blondinet s'avance le premier pour sortir, préférant certainement ne pas rester trop longtemps pour ne pas repartir dans sa frénésie colérique, tu en profites pour t'approcher de l'autre, tirant sur le bout de sa manche, la tête baissée. « Je suis désolée pour ce- je-enfin...ça. » tu souffles, maladroitement. Le sachet de petit pois qu'il maintenait contre sa joue était certainement un signe d'acceptation de ses excuses mais ça n'empêchait pas qu'il avait été frappé devant tes yeux et que tu ne saurais jamais comment te racheter pour ça.