✶ J’ai un petit frère, Piotr, qui a cinq ans de moins que moi. Il a été diagnostiqué autiste lorsque j’avais dix ans, et ça a quelque peu changé le quotidien. Notre père avait du mal à accepter cette maladie, notre mère n’a fait que le minimum nécessaire pour adapter la vie de son fils et son monde autour. C’est finalement moi qui ai pris la responsabilité de couver Piotr, qui me suis assuré de loin que les écoles répondaient à ses besoins, que ses camarades étaient au courant de sa condition, que ma mère explique qu’il n’était pas violent mais qu’il ne fallait pas appuyer sur les éléments déclencheurs de crises. Piotr est aujourd'hui autonome et capable de mener une vie normale, mais il a fallu beaucoup travailler pour en arriver-là. Je n’aime pas en revendiquer les mérites, mais m’occuper d’un petit frère différent m’a demandé de grandir trop vite. ✶ La meilleure manière de communiquer avec Piotr était lorsqu’il occupé à autre chose. On a essayé avec la musique. Je n’ai eu l’occasion d’étudier le piano qu’une petite année, avant que l’argent ne manque pour les cours, et ça marchait au début mais ça n’a pas suffi. C’est Dawn qui m’a mis sur le coup des jeux vidéo, et c’était la révélation. Nos parents ont détesté nous voir passer des heures devant l’écran, mais c’étaient des heures de détente pour nous deux, et surtout de discussions. Avec Piotr, on est finalement vite devenu accro. Les consoles et les jeux, c’est finalement le seul luxe que nos parents nous ont offert en grandissant. ✶ Ça fait quelques années que ma relation avec mes parents n’est pas au beau fixe, seulement cordiale à cause de Piotr qui habite toujours chez eux. Mais ça s’est dégradé, ces derniers mois. Piotr a atteint la vingtaine, a quitté la maison et ne plus avoir d’enfant à charge a dû faire perdre la tête à mon père. Il a commencé à jouer plus, alors qu’il collecte déjà pas mal de dettes auprès des autorités compétentes et légales de jeux en ligne, alors que j’ai dû plusieurs fois leur prêter de l’argent que je n’ai jamais revu pour qu’ils aient de quoi manger. Mais ça n’a pas suffi à calmer le paternel, puisqu’il a trouvé d’autres moyens de jouer, plus illégaux. À l’anniversaire de Piotr, mon père m’a ordonné de faire un nouveau prêt à la banque pour l’aider à rembourser ses nouvelles dettes. J’ai évidemment refusé et claqué la porte. Deux semaines plus tard, il est reparti en jérémiades pour m’informer qu’il avait vraiment de gros problèmes, que ces gars-là ne rigolaient pas et qu’il fallait que je l’aide. J’ai dû commencer à croire ma famille en danger, j’ai eu l’impression de me faire suivre. La semaine suivante, ça a été le coup fatal. La solution miracle toute trouvée par mes parents était de me promettre en mariage à l’un de mafieux mécontent, un type d’une quarantaine d’années. Ils m’ont coincé dans un dîner avec lui, et j’aurais quitté la maison immédiatement s’il n’y avait pas un grand gaillard en train de jouer à la console avec Piotr juste à côté, me rappelant que je n’avais pas tellement le choix. Après ça, j’ai compris que j’étais réellement en danger. J’ai revu le type à plusieurs reprises, de loin, parce qu’il me surveillait. Je ne me suis plus déplacée seule, j’ai poussé Piotr à emménager avec l’un de ses amis, je suis allée vivre chez l’un de mes collègues pompiers. Je ne savais pas où aller, mais je savais que je devais partir. Loin, si possible. Dawn m’a offert une porte de sortie. Les semaines pour obtenir un Visa et surtout trouver une caserne qui voulait bien m’embaucher sans même m’avoir vu en action étaient douloureuses. Quitter Piotr et le laisser derrière a été la chose la plus dure que j’ai eue à faire. J’ai quitté la Pologne pour les Etats-Unis fin décembre 2019.