Allongée sur le lit, les yeux rivés vers le plafond blanc, j'écoute la respiration de Jimmy et observe les mouvements de son torse. Parfois quelques ronflements s'échappent de sa bouche et je ne peux m'empêcher de sourire malgré-moi. Des fois, en même temps qu'un rugissement plaintif, son corps est prit de quelques sursauts, sans doute dû à un cauchemars. Son sommeil semble agité, mais comme presque tous les soirs depuis maintenant bientôt six mois. Mes nuits aussi ne sont plus calmes. Depuis ce jour de novembre, c'est à peine si je suis capable de faire une nuit complète sans être réveillée par des mauvais rêves où des visions de cette journée. Je ferme les yeux quelques instants avant de prendre une longue respiration et de retirer la couette posée sur mon corps. Je me lève lentement, priant pour ne pas faire grincer le plancher et me dirige vers la commode où je récupère mes affaires et mon arme. Un dernier coup d’œil en direction de mon mari et je quitte la chambre sur la pointe des pieds. Je sais que je ne devrais pas, que je devrais laisser les enquêteurs faire leur boulot et me tenir à l'écart de cette affaire, mais je ne peux pas. Il s'agit de ma fille et je ne peux décemment rester les bras croisés à attendre que les choses bougent. J'espère encore trouver une piste, quelques choses, n'importe quoi… Je regagne le hall pour mettre mes rangers, enfiler ma veste en cuir et une fois prête, je quitte la maison sans un bruit.

La porte de la maison fermée à clef, je reste quelques minutes sur le perron, profitant de la légère brise pour fumer une cigarette. Ça fait des mois que je n'avais pas touché à ces saloperies, mais avec le stress de ces derniers temps, ça me permet de tenir. Je prends le temps de la savourer avant de la jeter sur le chemin en pierre devant moi et de la regarder finir de se consumer. En ce moment, ma vie se résume à l'histoire de cette clope. Plus les jours passent, plus je me consume de l'intérieur. Oui, je continue d'avancer, mais au fond, j'ai l'impression de mourir un peu plus chaque jour. Je regagne la ruelle afin de rejoindre ma voiture garée devant notre maison et profite du silence que la nuit m'offre pour réfléchir à mon plan. Quelques heures plus tôt, j'ai repéré une vieille maison au nord de la ville. Elle semblait inhabité jusqu'à présent, mais depuis peu, quelqu'un semble y faire des allers-retours et des cris d'enfants ont été entendus. C'est ma meilleure piste. Au moment où je m'apprête à pénétrer à l'intérieur, les phares éblouissants d'un véhicule se pose sur moi. Je positionne mon bras devant mon visage tout en fronçant les sourcils. Qui est l'imbécile à bord ? La voiture s'immobilise à mon niveau et les phrases s'éteignent. C'est quoi ce bordel ? Je m'appuie contre ma portière, la main sur la crosse de mon flingue. Sur le quai-vif, je ne me détends qu'en découvrant la silhouette de mon cousin quitter le véhicule et me sourire à pleine dents. « Qu'est-ce que tu fous là ? Surtout à cette heure-ci… ? »

Après avoir rendu visite à ma mère, je suis rentré chez moi et j'espérais passer une soirée bien tranquille, à profiter de mes quelques heures de libres pour finir mon dernier jeu vidéo. Mais voilà maintenant qui est fait, et je n'ai déjà plus rien à me mettre sous la dent. Je termine tous mes jeux à une vitesse incroyable, passant parfois des nuits blanches derrière mon ordinateur ultra puissant. , et je crois que ce soir est la première fois où je m'ennuie réellement. Je tourne dans mon loft, attendant qu'un événement divin puisse me sortir de mon ennui. Mais cet événement ne vient pas, et malgré l'heure tardive, je n'ai absolument pas envie de dormir. Je regarde l'heure affichée sur ma montre et je vois qu'il reste à peine trente minutes avant que le vidéo-club ne ferme. J'attrape alors mes clés, ma veste longue et sort de chez moi en me dépêchant. Ce serait plus simple que je loue un film à la TV, mais je préfère la sensation d'un vrai DVD, comme avant. Ça me rappelle toujours les après-midi ciné avec maman, avant que tout s'écroule. Je monte dans ma voiture, et démarre calmement, malgré le temps qui presse. Je ne vais tout de même pas risquer un accident, ça serait vraiment idiot de ma part.

Quelques minutes plus tard, alors que je suis encore au volant de ma luxueuse voiture, j'entre dans la rue de Scarlett, ma cousine. Nous avons toujours été proches et l’enlèvement de sa petite fille l'a  beaucoup fait souffrir. Alors j'essaie d'être là pour elle, comme je peux et selon ce qu'elle accepte ou non de me dévoiler de ses sentiments et de ses pensées. Malgré tout, depuis ce triste drame, elle prend parfois des risques inconsidérés pour retrouver sa petite, suivant la moindre piste, sérieuse ou non. À quelques dizaines de secondes de chez elle, je ralentis légèrement afin de voir s'il y a de la lumière chez elle. Si c'est le cas, je m'arrêterais bien pour discuter un peu avec elle, à la place de visionner un film que j'ai sans doute déjà vu. Mais au moment où je m'approche de sa maison, je ralentis et remarque une petite silhouette à côté de sa voiture. Je comprends immédiatement ce que ma cousine est en train de faire et arriver à sa hauteur, je m'arrête et éteins mes phares. Je sors donc de ma voiture, le sourire aux lèvres, parce que je la connais si bien. Elle comprend enfin qu'il ne s'agit que de moi et me demande ce que je fais ici. «Je voulais aller louer un DVD, mais je pourrais te poser la même question, cousine.» Je n'hésite pas à jouer le faux innocent. «On dirait presque que tu te faufiles discrètement en dehors de chez toi, et je ne pense pas devoir te demander pourquoi.» je m'approche de ma cousine, mais je n'ose pas particulièrement la regarder dans les yeux. En effet, je sais pourquoi elle fait tout ça, et même si c'est pour une bonne raison, je ne peux pas m'empêcher de m’inquiéter pour elle. «Écoute, je ne te juge pas, loin de là. Mais tu commences à me faire peur. J'ai juste pas envie que tu partes en vrille..» Je ne sais pas trop quoi ajouter de plus, surtout parce que cette conversation a déjà eu lieu un millier de fois. Je n'aime pas avoir l'air du grand cousin chiant qui veut imposer sa loi. «Je comprends pourquoi tu fais tout ça. Mais tout ce que je te demande, c'est de ne pas mettre ta vie en danger.»

Je n'avais pas prévu de croiser quelqu'un de ma famille ce soir et c'est d'ailleurs bien pour ça que je n'ai pris aucune précaution quant aux voitures qui pourraient passer par là. Après tout, même si tout le monde me connaît dans le quartier, personne ne se doute un seul instant ce à quoi je m'adonne les nuits d'insomnies. La plupart doivent croire que je suis une femme bien tranquille, attendant patiemment que ses collègues fassent leur boulot. Parce que c'est ce que je devrais faire, mais c'est toujours plus facile à dire qu'à faire. Rester les bras croisés quand on a un pied dans le métier, c'est encore plus difficile. Alors oui, je ne me faisais aucune inquiétude concernant mes voisins et ma famille ne vivant pas dans le quartier, je n'ai pas anticipé ce genre de contretemps. En plus, depuis quand Will passe par chez moi pour se rendre aux vidéos club ? Honnêtement, si je ne le connaissais pas suffisamment pour deviner qu'il espérait sans doute venir parler autour d'une tasse de café, je pourrais croire à une conspiration. Ma bonne étoile à dû s'éteindre et n'a pas trouvé de repreneur. Il me demande à son tour qu'est-ce que je fais là, dehors à cette heure-ci et je me contente d'hausser les épaules, faisant mine qu'il n'y a rien de bien intéressant à raconter. Seulement, loin d'être idiot, mon cousin laisse sous entendre que je pars en catimini de chez moi. « On dirait presque que tu te faufiles discrètement en dehors de chez toi, et je ne pense pas devoir te demander pourquoi. » Je ricane légèrement, balayant d'un revers de main cette idée totalement saugrenue. « Je te donne cette impression ? Vraiment ? Je ne vois pas du tout de quoi tu parles. » C'est vrai quoi, rien ne lui prouve que j'ai l'intention de filer en douce et de disparaître dans la nature pour le reste de la nuit. Peut-être que je seulement chercher quelque chose dans la voiture que j'aurais probablement oublié après le boulot. Ou alors que comme je n'arrive pas à fermer les yeux et avoir une nuit convenable, je pars faire un tour en voiture pour me détendre les nerfs. Tout est possible après tout. « Écoute, je ne te juge pas, loin de là. Mais tu commences à me faire peur. J'ai juste pas envie que tu partes en vrille… » Je le regarde en haussant les sourcils, l'air faussement choqué qu'il puisse penser une chose pareille. Moi, partir en vrille ? C'est la chose la plus ridicule que j'ai entendu ces derniers jours. « Je vais très bien, merci de t'en inquiéter. » Dans la mesure où une mère dont l'enfant a disparu peut très bien se porter. Évidemment. Il s'approche de moi, mais je ne bouge pas, cachée en partie par la portière conducteur. Je l'observe avant de pencher la tête sur le côté. Je sens que ce qu'il va dire ne va pas me plaire. « Je comprends pourquoi tu fais tout ça. Mais tout ce que je te demande, c'est de ne pas mettre ta vie en danger. » Je soupire, un peu agacé. S'il continue à me retenir, le soleil sera déjà levé et j'aurais passé ma nuit à papoter avec lui. « Pourquoi je fais tout ça quoi ? » Je décide de jouer à l'imbécile qui ne sait pas de quoi il parle. Sur un malentendu, ça pourrait peut-être marcher. « Et franchement, Will, je mets ma vie en danger presque tous les jours au boulot alors qu'est-ce que ça pourrait changer ? » Je passe une main dans mes cheveux avant de lancer un coup d’œil discret à ma montre. « Mais je présume que si je t'annonce que je vais simplement à la supérette m'acheter de quoi grignoter, parce que j'ai une folle envie de sucres, tu ne me croiras pas ? » Il ne manquerait plus qu'il me demande de m'accompagner et j'aurais touché le gros lot.

Si ma cousine n'était pas ma cousine, je trouverais ça drôle. Mais elle l'est, et mon inquiétude pour elle ne cesse d'augmenter de semaine en semaine. Comme si je sentais qu'un jour, j'allais me réveiller en apprenant une terrible nouvelle. Je sais que je suis complètement paranoïaque, mais que voulez-vous.. les liens du sang, j'imagine. Donc oui, quand je l'ai vue sortir de cette maison en douce, sur ses petites pattes de velours.. J'ai eu peur. Certes, elle ne risque pas de se retrouver en plein milieu d'un goulag russe ou en pleine guerre avec le Ku Klux Klan, mais qui sait où ses recherches pourraient l'envoyer ? On ne sait rien de cette histoire, et justement, les inconnues sont bien trop nombreuses à mon goût. Je finis par lui demander ce qu'elle fait là -même si j'ai ma petite idée-, et elle se contente de hausser les épaules. Mais je ne compte pas m'avouer vaincu si facilement. Je sous-entends donc qu'elle donne l'impression de filer en douce et elle se met à rire avant de faire l'innocente «Je te donne cette impression? Vraiment? Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.»  Je lève les yeux au ciel en souriant légèrement, l'air de dire Oui, oui.. à d'autres, hein ! Sa tentative lamentable de nier les faits n'est pas du tout crédible. «Ah, non ? C'est vrai que ça paraît tellement improbable quand on te connaît..» Après ça, je me sens presque obligé de préciser le fond de mes pensées. Je ne veux pas qu'elle se méprenne et qu'elle pense être seule au monde. Mais ma cousine me regarde avec des grands yeux choqués.  « Je vais très bien, merci de t'en inquiéter. » Très mauvaise performance. «Personne ne te blâmerait si ce n'était pas le cas, tu sais.» Je continue ma petite tirade en lui disant que je comprends et que je lui demande juste de ne pas mettre sa vie en danger. Ce qui me semble irréalisable dans de telles conditions, mais je ne perds rien à tenter le coup.. Elle soupire et je ne sais pas si c'est pas agacement en entendant mes paroles, ou si c'est parce que je modifie ses plans initiaux pour la soirée. « Et franchement, Will, je mets ma vie en danger presque tous les jours au boulot alors qu'est-ce que ça pourrait changer ? »  Bingo, je savais qu'elle allait dire ça. Mais cet argument ne tient pas la route pour moi. Dans son boulot, elle n'est pas directement concernée et elle peut donc garder la tête froide, garder son discernement.. Mais là, elle y laisserait volontiers ses tripes. «Ça peut tout changer et tu le sais aussi bien que moi.» Du moins, j'espère qu'elle le sait. J'espère qu'elle n'est pas aveuglée par le désespoir au point de croire que son métier ne change rien.  « Mais je présume que si je t'annonce que je vais simplement à la supérette m'acheter de quoi grignoter, parce que j'ai une folle envie de sucres, tu ne me croiras pas ? »  Oh, elle veut se la jouer filoute niveau 1. Okay, je marche. «La supérette, tu dis ? Alors ça, pour une coïncidence ! J'avais justement prévu de m'y rendre aussi. Ça tombe vraiment bien, en fait.» Mon but est simplement l'occuper le temps qu'il faut pour qu'elle ne fasse plus.. ce qu'elle avait prévu de faire, peu importe ses plans. Parce que je ne serais pas un bon cousin si je ne savais pas quand elle m’embobinait. Et là, clairement, elle m’embobine.  «Allez, grimpe dans ma caisse, je t’emmène !» Au moins, si elle décide de m'envoyer paître en cours de route, je pourrais toujours verrouiller la voiture et l'y enfermer. Ce plan me plaît, ouais. Je la regarde avec un air de défi, et lui demande «À moins que tu aies changé d'avis ?»  Et ça, ça ne m'arrangerait pas du tout.

Plus mon cousin essaie de me faire cracher le morceau ou de ma faire comprendre que j'agis de la mauvaise façon à cause de ma peine, douleur, colère, ou toute autre émotion du genre, plus je perds patience. Et je crois que ça se lit sur les traits de mon visage que je commence à m'agacer. Je le laisse me parler, me dire que ce n'est pas grave si je ne vais pas bien, que ce serait légitime, de toute façon, je ne l'écoute plus que d'une oreille. Et honnêtement, c'est mon boulot, je mets ma vie en danger presque tous les jours, il n'y a pas de très grandes différences. « Ça peut tout changer et tu le sais aussi bien que moi. » Je sais pertinemment de quoi il en retourne. Habituellement, je possède un certain recul sur les affaires qu'on me confie, pour celle-ci, je n'en ai aucune. Je me laisse guider par mes sentiments et ça n'a généralement rien de bon. Mais Will est mon cousin et je sais qu'au fond de lui, il sait que je ne peux pas rester les bras croisés à attendre que mes collègues trouvent une piste. « Je sais ce que je fais. Tu sais, tu n'es ni mon père, ni ma mère, alors tu peux cesser de t’inquiéter pour moi. » J'aimerais ajouté que je suis également l'aînée et que je n'ai donc pas besoin qu'on me couve, mais je suis prête à parier que cette réflexion relancerait le débat et tout ce que je souhaite, c'est m'éclipser d'ici. J'opte donc pour une nouvelle tactique qui est : se débarrasser du cousin fouineur. Je l'informe que je partais simplement à la supérette pour m'acheter de quoi grignoter et que par conséquent, je ne prépare aucun coup foireux ou que sais-je. « La supérette, tu dis ? Alors ça, pour une coïncidence ! J'avais justement prévu de m'y rendre aussi. Ça tombe vraiment bien, en fait. » Damn. J'aurais dû me douter d'une réaction de ce genre de sa part. Je le regarde suspicieuse avant de dire : « Bien sûr, tu ne devais pas plutôt aller au vidéo club ? Alzheimer te guette mon cousin. » Je sais qu'il ne me lâchera pas. Et même si je perds du temps en me le coltinant jusqu'au magasin, il viendra à la maison pour vérifier que je ne reparte pas en douce. Il a été plus futé que moi pour le coup. « Allez, grimpe dans ma caisse, je t’emmène ! » Alors ça, il en est hors de question. J'ai tout ce dont j'ai besoin dans ma voiture et il est hors de question que je la quitte. « À moins que tu aies changé d'avis ? » Je soupire. « Non. » Je camoufle mon arme du mieux que je peux avant de secouer la tête de droite à gauche. « Mais on prend ma voiture et c'est non négociable. » Et pour ne pas lui laisser le choix, je m'assois côté conducteur et pose les mains sur le volant. « Tu conduis comme un pied, je n'y peux rien si je ne te fais pas confiance. » J'exagère à peine. Je ferme la portière et lui lance un regard de défis. Avec un peu de chance, il préférera prendre sa voiture et je pourrais le semer. Dans le pire des cas, il se joindra à moi et je devrais trouver le moyen de me débarrasser de lui un peu plus tard. Et ce ne sont pas les idées qui manque, j'ai plus d'un tour dans mon sac. Même si, je l'avoue, je ne le ferais pas de gaité de cœur, mais il le cherche. Il devrait savoir, depuis le temps, qu'il ne vaut mieux pas me sous-estimer. Je parviens toujours à mes fins.

Je vois bien qu'elle perd patience, elle a de plus en plus de mal à cacher son agacement. Et je m'en veux de lui mettre des bâtons dans roues, mais je ne peux pas m'en empêcher, c'est ma cousine. Elle a besoin que quelqu'un la tempère de temps en temps. Gentiment, mais quand même. En réalité, et ça me frustre de l'avouer, à sa place, j'agirais exactement pareille. Mais je ne suis pas à sa place, je ne suis pas père. Et j'en remercie le seigneur. Être père, ce n'est pas pour moi. Les responsabilités au boulot, je peux gérer. Mais pas ce genre de responsabilités-là, celles qui font de vous un protecteur à temps complet, une source d'adoration constante. Dans le boulot, une erreur est vite réparée. Mais ce n'est pas le cas lorsque vous en faite une avec un enfant. Votre erreur, si petite soit-elle, peut avoir des conséquences sur sa vie, un impact. Et puis honnêtement, si être parent signifie souffrir autant que ma cousine Scar, je m'en passe avec joie.

Elle me dit savoir ce qu'elle fait et me réprimande sur mon comportement. Les rôles s'inversent, génial. «Ne me fais pas passer pour un méchant, Scar. J'essaie juste de t'aider et mon inquiétude est légitime, tu le sais.»  Elle annonce ensuite vouloir aller à la supérette et je ne peux décemment pas croire à ce tissu de mensonges. Je lui réponds donc que moi aussi, ça tombe bien. Mais si je ne suis pas idiot, Scar non plus. « Bien sûr, tu ne devais pas plutôt aller au vidéo club ? Alzheimer te guette mon cousin. » Alzheimer, n'importe quoi. «Le vidéo-quoi ? Non, non. La supérette est plus.. familiale.»  Connaissant ma cousine, et voyant la tête qu'elle tire là tout de suite, je peux jurer qu'elle prépare ENCORE un mauvais coup. Pourquoi ne suis-je même plus étonné ? Je lui propose donc de grimper dans ma voiture, afin qu'on se rende à la charmante supérette ensemble mais elle soupire. Bon, c'est pas gagné. « Mais on prend ma voiture et c'est non négociable. » Voilà qui ne m'arrange point. Mais d'un côté, je sais qu'elle n'acceptera de me suivre qu'à cette condition.. Hum.. pris entre le marteau et l'enclume. Avant que je lui dise que c'est OK, elle s'installe sur le siège conducteur, le volant bien en main, en me lance « Tu conduis comme un pied, je n'y peux rien si je ne te fais pas confiance. » Je suis vexé. Déjà, c'est faux, je ne conduis pas comme un pied. Et puis.. c'est faux. Avec un sourire en coin, je lui demande «Dit-moi chère cousine, est-ce que toutes les filles sont de telles pestes?». En tout cas, j'ai quelques beaux exemples dans mon entourage. Elle ferme la portière de sa voiture en me regardant dans les yeux, et je n'ai d'autre choix que de me plier à sa volonté. Je fais le tour pour m’engouffrer dans la voiture, côté passager, et m'installe ni vu, ni connu. Enfin presque. «Alors, allons-y ! En voiture Simone !» Mon air enjoué n'est qu'à peine exagéré.. Mais avant de démarrer, je me tourne vers ma cousine pour lui faire une dernière précision. «Et je te préviens Scar, pas d'embrouille ! N'oublie pas que je suis ton cousin, aie un peu de pitié pour moi.» Mouais, ce n'est pas du tout son genre, mais vous savez ce qu'on dit : l'espoir fait vivre.

Je savais que d'insulter son talent de conducteur le ferait réagir. Ce n'est pas un mec pour rien, tiens. Je lui sert mon plus grande sourire tandis qu'il me pose une questions au sujet des filles. Est-ce qu'elles sont toutes des pestes ? Probablement oui. Surtout quand on les emmerdes. Ce que, clairement, Will est en train de faire. Faut croire que c'est une seconde nature chez lui ou quelque chose comme ça. Il manquerait plus que la gente féminine se laisse faire ! Je claque ma portière, l'obligeant à me rejoindre ou à repartir bredouille dans sa propre voiture. Malheureusement pour moi, il décide de me coller telle une sangsue. « Alors, allons-y ! En voiture Simone ! » Je mets le contact en levant les yeux vers le ciel. « On va juste acheter de quoi manger, ne prend pas cet air enjoué, tu sais, celui que tu avais quand on partait à Disney quand on était gamin. » Mais bon, je n'étais pas forcément mieux en fait. Je devais même être dix fois pire que lui. Je commence à peine à braquer, que mon charmant cousin me rappelle à l'ordre. « Et je te préviens Scar, pas d'embrouille ! N'oublie pas que je suis ton cousin, aie un peu de pitié pour moi. » Je ne peux pas m'empêcher de rire. Je suis la reine de l'embrouille. Je le sais, il le sait, tout le monde dans la famille le sait. Ce n'est plus un secret pour personne. « Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler. Qu'est-ce que tu sous-entends au juste ? » Ce n'est pas comme si je lui faisais souvent des coups à l'envers. Non, non. J'ai toujours été une petite fille bien sage et bien rangée. Absolument.

Une dizaine de minutes plus tard, on arrive à la supérette ouverte 24h/24. Je gare la voiture sur le trottoir d'en face et coupe la radio. En règle générale, j'aurais été branchée sur les fréquences de la police, mais vu que je ne suis pas seule, j'ai opté pour un station un peu plus passe partout et surtout, plus joyeuse. « Terminus, tout le monde descend. » Je quitte l'habitacle, m'étire légèrement et me dirige vers le magasin d'un pas rapide et pressé. Le pire, c'est que je n'ai rien à acheter. J'ai déjà tout le sucre qu'il me faut à la maison, mais maintenant que je suis ici, je n'ai pas bien le choix. Je me balade dans les rayons, attendant le bon moment pour m'eclipser. J'attrape un paquet de Reese's, mon péché mignon, ainsi qu'un énorme pot de Fluff. C'est bon pour le moral, mais ça l'est un peu moins pour les kilos. Je change de rayon et mes yeux se posent automatiquement sur les céréales – des Froot Loops – que Ruby aimaient manger le matin. Un océan d'émotions me submerge et je tourne la tête vers mon cousin qui vient de me rejoindre. Je n'ai pas envie de craquer devant lui, mais c'est plus fort que moi. L'adrénaline et mon acharnement au travail me faisaient tenir jusqu'à présent, mais à ce moment précis, devant cette fichue boîte, je me prends la réalité en pleine face. Six mois qu'elle a disparu et que j'ignore même si elle est encore en vie. « Elle triait toujours les couleurs pour les manger dans son ordre de préférences… » Les jaunes, les oranges, ensuite les violets, les rouges, les bleus et le meilleur pour la fin, les verts. « Et si on ne la retrouve pas, Will ? »

Ma cousine peut probablement duper beaucoup de monde, mais pas moi. Je sais très bien que dans sa petite tête fourmille tout un tas de manigances, de complots et d'idées fastidieuses. Ce qui me donne un avantage sur la plupart des gens. Parce que du coup, comme je sais qu'un coup foireux se prépare, je peux m'y préparer. Enfin.. je ne sais pas si je pourrais un jour me préparer psychologiquement aux manœuvres de ma cousine. Mais une chose est certaine, c'est que je ferais tout pour ne pas me laisser berner, cette fois. Et lorsque je grimpe dans sa voiture, avec un air un peu trop gai à son goût, je n'ignore pas la petite lumière qui clignote en signe de danger dans un coin de ma tête. « On va juste acheter de quoi manger, ne prend pas cet air enjoué, tu sais, celui que tu avais quand on partait à Disney quand on était gamin. » Je ne sais pas si elle se rend compte de ce qu'elle dit, mais elle n'a visiblement pas les bons souvenirs en tête. «Ma pauvre Scar, déjà des troubles de la mémoire à ton âge. Disney, ça a toujours été ton truc, pas le mien.» Bon, j'avoue que j'adorais ça aussi, mais ma chère cousine me battait de loin niveau enthousiasme. Cette façon d'essayer de me faire croire le contraire me rappelle soudain que Scar est une vraie filoute et je me sens obligé de la prévenir que je ne veux pas d'embrouille. Je sais d'avance que c'est peine perdue, mais rien ne m'empêche d'essayer de foutre ses plans en l'air. Elle se met alors à rire et me dit qu'elle ne voit pas de quoi je veux parler. MAIS BIEN SÛR. «Oh, je t'en prie Scar, ne m'insulte pas. Cesse de croire que ton cousin est stupide.» La connaissant, ce jour n'est pas prêt d'arriver.

Le reste du chemin se fait presque en silence, et je guette le moindre mouvement de ma cousine. À force de la croire capable de tout, j'en deviens parano. Nous arrivons à la supérette et après s'être garé, Scar me semble plus suspecte que jamais. « Terminus, tout le monde descend. » J'hallucine. Elle croit vraiment être crédible ? «Qui a cet air enjoué de quand on était gosses, maintenant ?»  J'étais obligé de lui retourner cette question, juste pour la faire mousser un peu. J'espère lui changer les idées avant qu'elle ne décide de mettre son plan -quel qu'il soit- à exécution. Nous quittons la voiture, entrons dans le magasin et tout le long, je me demande ce que je vais bien pouvoir acheter. Je suppose que je trouverai bien une cochonnerie à ingurgiter. Je ne quitte pas ma cousine des yeux, je la suis à la trace. Hors de question de la perdre de vue, surtout avec sa réputation. Elle arpente les rayons de la supérette, visiblement à la recherche d'un truc à acheter dont elle n'a pas besoin. Sacré Scar ! De loin, je vois ma cousine se figer, devant je ne sais quoi. Je m'approche d'elle lentement parce que j'ai peur de la surprendre. Surprendre un agent du FBI n'est jamais bon. Elle se retourne vers moi et ce que je lis dans son regard me glace. Je n'ai pas souvent vu ce regard, mais égoïstement, je ne voudrais plus jamais le revoir. Et pourtant, une partie de moi est soulagée qu'elle puisse enfin baisser son armure devant quelqu'un, surtout si ce quelqu'un est son cousin. « Elle triait toujours les couleurs pour les manger dans son ordre de préférences… » Je regarde enfin ce que ma cousine semblait regarder juste avant mon arrivée, et mon cœur se serre à nouveau. Moi aussi je me souviens de ça. « Et si on ne la retrouve pas, Will ? » Je m'approche encore plus de Scar et pose mes mains sur ses épaules. D'un air très sérieux, je lui dis «Écoute-moi bien, cousine. On va la retrouver, c'est une certitude.»  J'ai la voix qui commence à faiblir et je n'ai que le temps d'ajouter «Tu m'entends ? On va la retrouver.»  avant de la prendre dans mes bras. Je la serre aussi fort que possible, en espérant lui donner plus de force, plus d'espoir et plus d'amour. Au bout de quelques minutes, je me recule un peu de ma cousine et passe un bras autour d'elle. «Allez, viens. Je te ramène à la maison.» Je sais que c'est immonde de ma part de profiter de son moment de faiblesse, mais c'est sans doute ma seule chance de mettre Scar en sécurité, bien au chaud, chez elle. Et c'est tout ce qui compte.

Il pourra dire ce qu'il veut sur Disney et son non-enthousiasme, j'ai des vidéos à la maison qui prouvent le contraire. Mais autant lui laisser croire le contraire alors je me contente de hausser les épaules en marmonnant un « Ouais ouais, c'est ça. » peu convaincu. Et puis je n'ai aucun troubles de la mémoire, merci bien. Non mais oh ! Le respect aux aînés il est où là ? Si je n'étais pas en train de conduire, je croiserais mes bras sur ma poitrine et le regarderais avec dédain, malheureusement, je ne peux pas. Et la seule chose que je peux d'ailleurs faire, c'est mentir quand il me met en garde contre mes potentielles actions un peu folles et dangereuses. Je nie tout en bloc. « Oh, je t'en prie Scar, ne m'insulte pas. Cesse de croire que ton cousin est stupide. » Je lâche un petit rire avant de tourner quelques secondes la tête vers lui pour capter son regard. «  Ce n'est pas moi qui vient de le dire en tout cas. Si tu penses que je te prends pour un imbécile, c'est peut-être parce que tu penses l'être ? » Je lui souris de la plus belle des façon avant de me concentrer de nouveau sur la route.

On arrive au magasin et je l'invite à descendre, d'un ton le plus plat possible, ce qui semble pour lui, ne pas être le cas puisqu'il me renvoie en pleine face ma punchline d'il y a quelques minutes. Je le regarde, l'air condescendant. «  Tu peux sincèrement lire la joie sur mon visage là ? » Mon expression faciale est aussi neutre que la Suisse. «  Mais félicitations mon cher cousin, je peux te décerner l'award du plus comique de la famille ! » Sur ces belles paroles, je claque la portière et fourre les mains dans les poches de mon blouson avant de passer les portes de la supérette.
Je sens le regard pesant de mon cousin dans mon dos. N'est pas agent du FBI qui veut et je sais qu'il m'espionne de loin et surveille mes moindres faits et gestes. Il n'est pas très discret, il faut se le dire. Je fais donc mine de m'intéresser à des produits que je suis censée acheter, mais mon regard se pose sur la boite de céréales que Ruby adorait. C'en est trop pour moi. Je la revois, assise en face de moi, à me sourire et rire aux éclats. Will est maintenant à mes côtés et je me sens obligée de partager un peu de ma peine et de mes souvenirs avec lui. Je ne peux pas tout garder pour moi…  « Écoute-moi bien, cousine. On va la retrouver, c'est une certitude. » Comment peut-il en être aussi sûr ? Je suis bien la première à savoir que les premières vingt-quatre heures sont cruciales dans la survie d'un enfant et aujourd'hui, ce délais est épuisé depuis bien trop longtemps. « Tu m'entends ? On va la retrouver. » Mais moi, je doute. Si au fond, je persiste dans mes recherches, c'est seulement parce que je refuse d'accepter que le pire a pu se produire. Et pourtant… Mon cousin me serre dans ses bras et je lui rends son étreinte.

Lentement, il se détache et j'en profite pour essuyer mes larmes. Son bras vient se glisser le long de mes épaules et sa phrase me glace le sang. Me ramener à la maison ? Non ! Je reprends soudainement tous mes esprits et dans un mouvement rapide, je le plaque contre le rayon, faisant basculer deux ou trois boites de céréales au passage. En moins de dix secondes, sa main droite se retrouve menotter à la barre en fer qui sépare deux rangées. «  Je suis désolée. » Je recule de quelques pas avant de tourner les talons et de me précipiter vers la sortie. Je m'arrête toutefois devant le caissier qui semble surpris et terrorisé à la fois. Je lui montre mon insigne avant de lui remettre la clef. «  Libérez-le d'ici une heure. S'il vous plaît. » Il hoche la tête et je m'éclipse en priant pour que Will ne m'en veuille pas trop.

«  Ce n'est pas moi qui vient de le dire en tout cas. Si tu penses que je te prends pour un imbécile, c'est peut-être parce que tu penses l'être ? »  Ma cousine fait tout son possible pour se montrer agaçante. Heureusement, je ne suis pas le premier venu et ça ne prend pas avec moi. Certes, elle pense peut-être que dire des vacheries à tout va me fera lâcher l'affaire, mais elle se trompe bien. En aucun cas je ne compte rentrer chez moi. Et puis de toute façon, je sais que je ne suis pas un imbécile. Il m'arrive parfois de me remettre en question, mais jamais sur ce point. «Ne fais pas la maligne, Scar. Je viens de te surprendre en flagrant délit, tu n'es pas en mesure de te moquer.»  Elle a beau dire le contraire, je sais pertinemment ce qu'elle faisait à cette heure-ci dehors. Et je pourrais dire que comme elle a été prise la main dans le sac, c'est sans doute elle la plus imbécile de nous deux. Mais quelles que soient ses lubies, je sais que c'est faux. Ma cousine est intelligente. Bien trop intelligente. C'est donc pour cela que j'ai prévu de rester sur mes gardes. Parce que je peux voir d'ici toutes ses idées machiavéliques en train de se former dans sa petite tête. Et ça, ce n'est pas bon du tout pour moi.

Lorsqu'on arrive au magasin, je ne peux m'empêcher de l'embêter un peu. Après tout, je sais qu'elle est en train de fomenter un plan contre moi, donc je me venge avec un peu d'avance. «  Tu peux sincèrement lire la joie sur mon visage là ? »  Pas vraiment. Mais ça m'amuse.  «Tu as le visage le plus enjoué de la planète chère cousine. Être en ta compagnie est un tel délice.. Tu es si agréable.»  J'insiste un peu sur ma phrase, le sourire aux lèvres, pour qu'elle comprenne toute mon ironie. «  Mais félicitations mon cher cousin, je peux te décerner l'award du plus comique de la famille ! » . AH, je le savais. J'ai un don caché pour l'humour. Je regarde ma cousine avant de lui faire une révérence digne d'un prince avec la main. «Je sais, je sais, merci. Il faut croire que c'est un trait de famille»  OU PAS. Nous sortons de la voiture et intérieurement, je m'étonne de ne pas encore avoir fait les frais de Scar. Mais qu'est-ce qu'elle prévoit de faire, bon sang ? Avec elle, c'est toujours pareil. On sait qu'on va se faire bouffer, mais on ne sait jamais à quelle sauce, ni même quand. Quelques minutes plus tard, Scar se fige et en comprenant de quoi il s'agit, j'essaie de lui apporter un peu de réconfort. Mais je peux lire dans ses yeux qu'elle doute de mes propos. Elle est sceptique. Elle perd espoir petit à petit. À vrai dire, si ma cousine n'était pas cousine, je douterais aussi du happy end que je lui promets pourtant. Mais je ne peux pas flancher, je dois être fort. Et j'espère sincèrement qu'un jour, la vie me donnera raison et qu'on retrouvera Ruby. Nous sommes là, en plein milieu de cette supérette, et je prends ma cousine dans mes bras, dans l'espoir de lui donner un peu de force supplémentaire.


Je profite de cet instant de calme pour essayer de ramener Scar chez elle. Je passe mon bras sur ses épaules et lui annonce que nous rentrons. Mais comme j'aurais du m'en douter, elle ne se laisse pas faire. Je n'ai pas le temps de comprendre ce qui se passe que ma cousine me plaque contre les étagères du rayon et elle me... attendez, est-elle vraiment en train de me menotter ? Non mais cette fille est dingue ! Qu'est-ce qui lui passe par la tête, non de Dieu ?! «Mais qu'est-ce que tu fous, merde !»  Elle s'excuse, sans pourtant avoir l'air très désolée et elle recule vers la sortie. Mais putain, elle ne va quand même pas me laisser ici, attaché comme un chien ? Bah si, elle va le faire. «SCARLETT CALDWELL, reviens ici TOUT DE SUITE !»  Ok, pas de réaction, elle continue à s'éloigner. «SCARLETT JE JURE QUE SI TU ME LAISSES ICI, JE...»  Je ne termine pas ma phrase car je vois ma cousine s'arrêter et mon cœur se gonfle. Ouf, elle a retrouvé ses esprits et va me libérer. Mais en fait, elle ne fait que parler au caissier, tout en lui donnant quelque chose que je ne distingue pas d'ici. Je ne sais pas ce qu'elle lui dit, mais j'enrage de plus en plus en comprenant que cette fois, je suis la mouise. Elle ne compte pas me détacher. Au moment où elle sort de la supérette, j'en suis encore à la supplier, comme si ça pouvait changer la situation. «COUSINE, DECONNE PAAAAAAAAS !»  Petit à petit, les gens s'éloignent de moi et rapidement, je me retrouve seul, avec juste ma colère. Le caissier vient vers  le rayon dans lequel je suis, et pendant un instant, je pense qu'il veut m'aider. Mais la seule chose qu'il fait, c'est de dire aux gens de ne pas m'approcher. Il arrive à ma hauteur, tout en gardant ses distances, et je saisis cette occasion sans perdre de temps. «Monsieur, appelez la police. Je veux sortir d'ici.»  Il me regarde avec un sourire en coin, amusé. «Désolé mon p'tit, mais la police c'est elle.»  et il retourne à sa caisse. Pendant quelques minutes, j'essaie de libérer ma main de ces satanés menottes, mais rien n'y fait. À ce moment précis,  je fais une autre promesse à ma cousine : celle de prendre ma revanche un jour ou l'autre. Acheter une poupée vaudou me semble être un bon début.

Entendre mon cousin me hurler dessus pour que je le libère m'est bien plus insupportable que ce que j'imaginais. Parce que oui, même si j'essaie de ne pas le montrer et de faire comme ci tout est naturel ou facile, ça me fait vraiment mal de le laisser ici. Pire encore, de le laisser ici, accroché au milieu d'un rayon et dans un magasin qui  accueille suffisamment de visiteurs pour qu'on le regarde de travers au minimum une fois toutes les cinq minutes. C'est de sa faute aussi. S'il n'avait pas eu l'excellente idée de sortir ce soir, de passer devant chez moi ou de jouer au baby-sitter pour vérifier que je ne fais pas de bêtises alors que, merde, je suis majeure, vaccinée et surtout, son aînée, on n'en serait pas là. Je n'aurais pas été obligé de trouver un énième stratagème pour me débarrasser de lui sans qu'il ne trouve le moyen de m'entourlouper ou de m'empêcher de faire ce que j'avais prévu. Alors oui, les menottes, c'est peut-être un peu trop extrême, mais au moins, je suis certaine qu'il ne tentera rien de stupide. En tout cas, il va me détester, c'est obligé. Mais je prends sur moi, adresse quelques recommandations au caissier et quitte la supérette d'un pas rapide.

Je regagne la voiture en soupirant et claque la portière derrière moi. Si je reste une minute de plus ici, je vais être prise de remords, faire demi-tour et aller libérer mon cousin en le suppliant de me pardonner. Ce qui n'est clairement pas le but. Je dois absolument retourner dans cette maison et découvrir qui y habite. S'il y a une chance, même infime, que Ruby y soit, je me dois de la saisir. Je démarre et quitte le parking en direction du nord de la ville.
Le temps me paraît interminable. Une vingtaine de minutes s'est déjà écoulée et je ne peux m'empêcher de penser que dans quarante minutes, Will sera de nouveau libre. Et sans moyen de locomotion. Même si j'ignore combien de temps il me faudra pour laver ces nouveaux arrivants de tous soupçons, j'aurais peut-être dû lui préciser de m'attendre et que je reviendrais le chercher… Mais le mal est fait et c'est légèrement trop tard pour lui envoyer un petit message à ce sujet. Déjà parce qu'il risquerait de platement m'ignorer et ensuite parce que je ne suis même pas certaine qu'il puisse atteindre son portable.

J'arrive à destination moins de cinq minutes plus tard. La maison se situe dans un vieux quartier de la ville où la plupart des habitations sont abandonnées ou en ventes. Le quartier parfait pour un kidnappeur d'enfants, si vous voulez mon avis. Je gare la voiture quelques mètres plus loin pour éviter d'éveiller les soupçons et m'approche à pas de loup. Le domicile semble endormie. Aucune lumière ne s'échappe des fenêtres et à part le hululement des chouettes, aucun bruit ne semble déranger cette douce nuit. Je traverse le jardin au pas de courses, consciente que si je me fais attraper, je risque gros. Lentement, je m'approche du mur et me plaque contre, une main sur la crosse de mon arme. Je jette un petit coup d’œil à travers une fenêtre, mes les rideaux me bloquent une grande partie de la vue. Ce dont je suis certaine, c'est que la pièce n'abrite que très peu de meubles ou pas du tout. Même si mon subconscient m'informe que c'est une preuve, je sais pertinemment que si ces personnes viennent d'emménager, ils n'ont peut-être pas encore récupérer et déballer leurs biens. Je décide donc de faire le tour des lieux, espérant trouver une fenêtre qui me permettra de mieux voir à l'intérieur. Je contourne la maison, mais au moment où j'approche du garage, la lumière extérieure s'allume et un bruit mécanique se fait entendre. Ni une, ni deux, je me jette à terre, derrière des plantations et relève légèrement la tête pour observer la scène. Le garage s'ouvre enfin et une petite voiture noire en sort. Au volant, un homme dont je ne distingue pas très bien les traits, mais il n'est pas tout seul dans la voiture. Une femme l'accompagne. Sa femme. Et il ne me faut pas longtemps pour comprendre qu'elle est sur le point d'accoucher. La crispation sur son visage, son ventre arrondi que je vois d'ici… J'observe la voiture reculer dans l'allée, mais au moment où celle-ci s'engage sur la route principale, mon souffle se coupe. Je croise le regard d'une fillette. Ses cheveux blonds sont nattés et elle sert contre elle un petit ours en peluche. Elle me sourit et je me sens défaillir. Elle a sensiblement le même âge que Ruby, mais je sais que ce n'est pas elle. Je regarde la voiture s'éloigner, perdant tout espoir.

Sur le chemin du retour, je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Cette piste ne m'a mené à rien et j'ai l'impression que c'est le coup de massue de trop. Celui qui m'oblige à croire que tout est perdu, que je ne reverrais jamais ma fille. Et ça me tue. Je refuse de croire qu'elle a quitté ce monde, mais en même temps, ne serait-elle peut-être pas plus heureuse… ? L'imaginer entre les griffes d'un psychopathe me donne la nausée. D'un revers de manche, j'essuie les larmes qui coulent le long de mes joues et prend la route en direction du magasin où j'ai lâchement abandonné mon cousin. A l'heure qu'il est, il a déjà dû se libérer et peut-être même appeler un taxi pour rentrer chez lui, mais je préfère faire le chemin jusqu'à son domicile, des fois qu'il ait eu l'idée folle de rentrer à pied.

Et il s'avère que j'avais raison. Quelques kilomètres après avoir dépassé le magasin, j’aperçois un piéton sur le bord de la route et il ne me faut pas une éternité pour reconnaître la carrure de Will. Je ralentis à son niveau et ouvre la fenêtre. « Will… » Je peux lire sur son visage qu'il est en colère et qu'à l'heure actuelle, il rêve sans doute de m'insulter de tous les noms. « Je suis désolée d'avoir agit de la sorte, mais… nan, laisse tomber. C'était juste stupide et méchant. » Mais j'ai bien peur que de simples excuses ne suffisent pas.

Pendant le premier quart d'heure, la colère m'habite. Je suis surpris que ma chère cousine soit encore capable de respirer. Je veux dire, si elle fait sans cesse des coups foireux tels que ceux qu'elle me fait, je suis sincèrement étonné que personne n'ait cherché à l'étrangler. Et justement, cette chance est révolue. Parce que oui, menotté comme un idiot entre le rayon des céréales et celui des croquettes pour chiens, autant dire que cette fois, Scar a été beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup [...] trop loin. Et elle ne s'en sortira pas si facilement. Je ne sais pas encore par quel moyen je vais lui rendre la monnaie de sa pièce, mais comptez sur moi, ça sera fait. Parce que je suis son cousin et qu'elle ne peut décemment pas me traiter de la sorte. Surtout pas devant une tonne de gens qui pourraient me reconnaître et faire de moi la risée des journaux locaux. J'imagine déjà la tête de mon paternel en découvrant son fils prodigue, menotté, à la télévision. Arrêt cardiaque sur place. Ok, l'idée est plus que tentante.. Mais Scar n'a certainement pas agi de la sorte pour servir mes intérêts. Non, tout ce qui compte, c'est elle et rien qu'elle. Ah, ce qu'elle m'énerve !

Le deuxième quart d'heure, je suis envahi par le doute. J'en veux énormément à Scar pour le sale tour qu'elle vient de me jouer, mais si j'oublie la colère, je sais pertinemment que ma cousine souffre. Sa petite était tout pour elle, et tant qu'elle ne l'aura pas retrouvée, Scar ne sera plus que l'ombre d'elle-même. C'est à chaque fois comme cela que ça se passe. Scar fait une connerie, je suis en colère, puis triste et je finis par lui pardonner. Mais quand enfin, le caissier s'approche de moi afin de me libérer, le regard moqueur qu'il me lance me replonge directement dans l'irritation. Cette fois, je ne peux et ne veux excuser le comportement inadmissible de ma cousine. Peu importe ses raisons, elle a foiré et elle vient de mettre en rogne la seule personne qui la défend toujours, contre vent et marée. TERMINÉ.

Lorsque je ressors du magasin, ma cousine et sa voiture ont bien évidemment disparu. Je n'en attendais pas moins. Dieu seul sait dans quel merdier Scarlett est encore en train de se fourrer, mais ce ne sont plus mes affaires. Elle est adulte, elle fait ses choix. Ma colère regonfle à nouveau dans ma poitrine quand je me mets en route vers chez moi, à pied. J'en ai pour une plombe mais il est hors de question d'appeler qui que ce soit pour venir à ma rescousse. Pendant les longues minutes suivantes, je ne cesse de marmonner des insanités à l'égard de ma cousine et n'importe quelle personne qui me croiserait sur le bord de la route hésiterait à m'aborder. Pourtant, une voiture ralentit jusqu’à se trouver à mon niveau et en jetant un coup d’œil sur le côté, je m'aperçois qu'il s'agit de ma très chère cousine. «Will…»  Je lève les yeux au ciel, refusant de me laisser amadouer par le ton de sa voix. Je ne réponds rien et continue à marcher. «Je suis désolée d'avoir agit de la sorte, mais… nan, laisse tomber. C'était juste stupide et méchant.»  Que répondre à ça ? Oui Scarlett, tu es une horrible cousine et je ne méritais pas ça ? Même si je suis véritablement fâché contre elle, je ne pense pas qu'il soit indispensable de lui faire une scène. Elle sait très bien ce qu'elle a fait et elle me connaît, elle sait donc que je ne suis pas prêt à passer au-dessus de ça. Je m'arrête enfin de marcher de me retourne vers ma cousine, l'air las. «Que veux-tu que je te dise Scarlett ? Que je te pardonne ? Très bien, je te pardonne !»  L'ironie n'est pas quelque chose que j'utilise très souvent, mais c'est tout ce que je peux faire ce soir. «C'est bon, tu peux me ramener chez moi, maintenant ?»  Je sais qu'elle ne prendrait pas le risque de me mettre encore plus en colère qu'actuellement, elle ne peut donc qu'accepter. Et tout ce qu'il me reste à faire, est de ne pas craquer et surtout de ne pas prononcer un mot pendant le trajet de retour.