Qu’est-ce que je fais là ? Très bonne question.

Vous voyez, il y a quelques semaines de ça maintenant, j’ai eu la bonne idée d’écrire mon identité dans un cœur sur un post-it rose fluo, post-it sauvagement collé mais qui y traîne fièrement depuis sur la table de chevet de Bart Wiley. Mon petit-ami. Ce qui fait de moi une petite-amie également, avec quelques devoirs à accomplir. Le petit-déj, les nouvelles quotidiennes, le ralage commun sur nos copains, perdre volontairement à Mario Kart pour flatter son ego… Tout ça, je le fais avec plaisir et sans rechigner parce que ça me rend heureuse – et que ça ne change pas beaucoup de notre routine d’avant. En revanche. Être réveillée de bonne heure et de mauvaise humeur sur l’un de nos rares jour de congé en commun alors que ce n’était pas du tout prévu, ça ne me plaît pas des masses. Et un début de réponse de la question d’introduction. Réfléchissons-y un peu plus.

Pourquoi ce réveil si tôt, brutal et soudain ?

Vous voyez, il y a quelques mois de ça, alors que je n’étais qu’une jeune et innocente âme sur le continent américain et que j’apprenais à connaître mon désormais petit-ami tout en essayant de le séduire en toute subtilité, j'ai engendré une vendetta qui s'accomplit aujourd'hui. Je l'ai provoqué en le faisant jouer au billard, n'ai pas cédé en acceptant un autre jeu selon ses règles et la taquinerie a duré des mois et se termine apparemment aujourd'hui. Par un réveil brutal, par l'un de ses tee-shirts avec son nom dans le dos et les couleurs de son lycée jeté dans mon joli minois, par un 'allez debout la grosse on va faire du foot agnagnagna' (pas avec ces mots-là exacts mais c'est ainsi que je l'ai ressenti en tout cas).

Ce que je fais là, donc, c'est une introduction au football américain. Là étant un bout de stade, complexe sportif, qu'en sais-je, mais évidemment nous sommes aux Etats-Unis et le truc est juste beaucoup trop grand. J'ai vaguement cru comprendre qu'on a débarqué à l'université, ce que me confirment les quelques motivés qui nous ignorent superbement pour faire leur sport matinal. Je prends une grande inspiration que j'expire lentement, avant de reporter mon attention sur le fourbe qui m'a traîné ici.« I'm going to break up with you. » Je le préviens, mauvaise, à peine contente de voir son air fier et son sourire beaucoup trop grand. Le pire dans tout ça c'est qu'il reste foutrement beau à regarder, qu'il a l'air dans son élément et que ça le rend irrésistible et ça m'énerve raaaah la vie est injuste. « I'm too young to die, Bart, have you thought about that ? Am I not cute enough to simply be forgiven ? » J'ai peur ? Un peu. Quand je vois l'équipement qui va avec le sport et ma corpulence, la suite m'est plutôt évidente. Il va pas être kinder et encore moins bueno.

Je suis bien obligée d’avouer que l’idée de taper un sprint maintenant à l’opposé de Bart pour échapper à la corvée humiliation sportive me traverse l’esprit lorsqu’il s’agenouille à moitié pour déballer ses affaires. Mais le terrain est tellement grand et le fourbe rapide que c’est peine perdue. Pire, c’est témoigner de faiblesse et je ne lui en laisserai pas la satisfaction. « You’re being sassy, Mila Kowalski. » Je croise mes bras sur ma poitrine, pressant mes lèvres fermement l’une contre l’autre pour éviter une répartie. Mais OUI, I’m sassy et malheureuse, j’aurais bien préféré passer la matinée à traîner au lit plutôt que… Peu importe ce qu’il va se passer. « Sassy who ? I don’t know her. » Ah, elle est chiante quand elle est mal lunée, c’est noté. « Come on ! Stop moaning, let’s do this ! Catch this ! » Merci les réflexes, j’attrape le casque avant qu’il ne m’éclate le nez. Mon petit-ami n’a vraiment aucune pitié, c’est incroyable. On en est à l’essayage du casque – évidemment trop grand – quand j’essaie une dernière fois de réveiller son bon côté. C’est peine perdue, il se moque de ma poire. « What do you think ? Why did I decided to quit the team four or five years ago ? » Je plisse les yeux et le fixe quelques secondes. « Yeah yeah yeah, but we’re talking about me here. Focus ! » Ce n’était pas la question, sa potentielle mort heureusement évitée, on parle de la mienne là. Mon ton est un peu exagéré, je me retiens presque de rire sur la fin. Bart ne fait preuve d’aucune pitié et vient poser ses mains sur mes épaules. Je dois ressembler à un pitbull avec son casque, j’espère qu’il est content. « It’s too late, duckling, you can’t avoid this. You’re trapped. But there’s one solution for you : forfeit. » Bah tiens, il y croit. Je hoche négativement la tête et pousse ses mimines de moi. Il sait très bien que je suis assez têtue et fière pour aller jusqu’au bout du truc. « Fuck off. » Si c’est comme ça qu’il le prend – mais évidemment avec tout le respect et l’admiration que je lui porte.

« Come on ! It’s gonna be fun. » Fun for him. Tout ça pour une partie de billard de, quoi, cinq minutes ? Le casque c’était l’étape une, apparemment il faut aussi porter un échafaudage pour jouer au football américain. J’ai déjà dit que j’aimais pas les américains ? Non parce que je peux le répéter, pas de soucis. « Uuuuuh. » Je commence, dubitative. Il a l’air de se rendre contre que entre le plastron et moi, ça ne va pas matcher. « Okay, it’s not gonna be easy. You’re just a tiny little woman and this fits a six feet tall gorilla. » Mes sourcils se haussent légèrement, j’ai l’impression d’être de retour à mes débuts à la caserne. ‘Ah mais Mila, rêve pas, t’es trop petite et il te manque quinze kilos de plus pour être pompier !’ Si tu le dis Jean-Mi. Bien sûr qu’il y a des Jean-Mi en Pologne, ce prénom est universel. « Excuse me ? I could put on your stupid shit if your sport wasn’t sexist to begin with, all right ?! » Je suis à deux doigts de râler que JE NE SUIS PAS PETITE, mais je me rappelle que je suis aussi une adulte MATURE de 25 ans donc… Je pose mes mains sur mes hanches, l’air mécontente, attrapant d’une seule main le maillot qu’il me jette à la place. Ça aussi, ça fait partie de l’entraînement, tester les réflexes ? « Wear this. I don’t want to cover in blood your beautiful outfits. » Je lève les yeux au ciel, enlevant le casque pour pouvoir enfiler le nouveau vêtement. « Maybe you will end up covered in blood. » Je grommelle, plus pour moi que pour lui. Dans le fond, je l’aime bien Bart, n’oublions pas. Je tente d’attacher mes cheveux en un semblant de queue de cheval avant de remettre le casque. Oké j’suis prête. What’s up. « Okay then, what do you want me to do ? » Comme tous les sports, le principe est un peu idiot. On court, on attrape le ballon, là-bas c’est le but. Je ricane en voyant ce qui sert de ballon pour le football américain – c’est plus fort que moi. « Your ball isn’t even round. » C’est genre, la définition même d’une balle, mais même ça ils n’ont pas réussi à le faire correctement ! She’s bitter, she wants to play soccer.

J’suis peut-être sassy mais il est mean, aussi. La plupart des gens passent leur jour de congé à se reposer et manger des croissants, pas à faire chier sa petite-amie qui est pourtant la personne la plus agréable de la terre. « Some bitch, standing in front of me. » Oh. Mes sourcils se haussent légèrement et je me retiens de rire. J’en profite qu’il soit encore par terre pour passer une main sur son front. « You’re feeling okay? I think you’re seeing ghosts. » Et des fantômes, c’est ce qu’on peut devenir si on se lance dans cette initiation de football américain. Si on ne se blesse pas en jouant, on est en revanche capable de s’étriper – c’est bien parti pour. Il ne lâche pas l’affaire et moi non plus, j’ai ma petite fierté à sauvegarder. Et puis, si je veux continuer à râler sur le sport, il faut au moins que je fasse l’effort d’essayer. Ce sera plus légitime. On n’a pas commencé à jouer et on a déjà quelques problèmes de taille, qui bien que ça ne compte pas m’empêche d’enfiler l’équipement qui va avec le sport et ça le fait marrer et il insinue que je suis petite et moi ça me fait pas du tout rire. « Excuse me? But if you were less blinkered you’d have noticed that women’s team exist even in Europe! » Na na na na, on a des trucs bien en Europe, comme du vrai football et l’Eurovision, je refuse qu’il implique ma terre de naissance là-dedans. « Whatever ! » Je m’en fiche, d’accord ? Je. M’en. Fiche. « Next time I’ll just take my uniform from work, it’ll have the same result. » Your sport is stupid and I already hate it.

Je suis de mauvaise foi, humeur et tout ce que vous voulez – c’est comme ça, ça va s’finir dans le sang, tant pis. On aura vécu une belle histoire, on peut être heureux de ça. « Calm down you fuckin’ fuck. » Fuck this shit I’m out. Je plisse les yeux pour le fixer quelques secondes, l’air menaçante. « Shut it, Wiley. » Commence pas, Wiwi, on n’est pas sorti de l’auberge sinon. Je suis prête, version mâle blanc qui danse dans un clip de rap prête ouais, mais j’ai encore un peu de bonne volonté. Le casque retrouve le sol, c’était bien la peine de m’enquiquiner avec. Pour la presque insulte, je laisse passer. « Okay Mew-Mew, you’re the boss. » Presque. J’insulte son ballon même pas rond au passage, c’est cathartique, et hausse les épaules d’un faux air innocent lorsqu’il me demande si j’ai fini. Yeah I’m done, done with your shit. On se retrouve donc sur le terrain, on est content de vivre, il y a du soleil et les oiseaux chantent et j’ai pas du tout envie de faire demi-tour, c’est faux. « We are gonna make a line of scrimmage right here. Well, we’ll try, at least. » Je fronce les sourcils. Je manque peut-être un peu de vocabulaire technique, mais je suis tellement blasée que je n’ai même pas envie de demander. « You talking sports isn’t as sexy as I thought it would be. » Focus Mila ! Je comprends qu’on est censé être en ligne. Mon niveau de connaissance de football américain oscille entre Glee – on apprend l’anglais comme on peut – et les brefs passages de Superbowl – regardés seulement pour Beyoncé évidemment. Ça me semble pas compliqué quand même : ballon, tu évites le gros gaillard, but. « You’ve to catch the ball before me and run as fast as you can but first… You’ll have to push me away. » Le début, je suis d’accord. « Okay… WHY ? » Mais POURQUOI est-ce que je dois le pousser ? On peut pas y aller tranquille pour commencer ? « Bend down. » OKAY SO MAYBE A LIL SEXY. La réponse est non. « So gentle, jeez. » Je râle, soufflant exagérément mon mécontentement. Je tourne la tête pour le regarder, maintenant qu’on est dans la même position. Mon regard dévie sur son épaule quand il m’informe en toute délicatesse qu’il compte me pousser avec. Ah. Alors oui mais non. « This is stupid. » J’vais mourir.

En l’occurrence, le grand gaillard est mon copain qui n’a pas de pitié. Il a à peine fait son décompte que je me retrouve par terre – bah oui, il est beau et grand et fort Bart – et il est déjà plus loin avec son ballon dans les mains. Je me relève rapidement, il a l’air trop fier et ça m’énerve. Fuck him. « Let’s do this again! » Je hoche la tête. « Fine, but I’m counting ! » S’il a en plus l’avantage de faire le décompte, ça va bien. Le deuxième essai n’est pas plus glorieux de mon côté, même en comptant. Pour le troisième, je saute un et deux mais il connaît ma technique de triche et l’a anticipé. C’est pas un maillot, qu’il me fallait, mais une combinaison entière parce que j’ai plein de terre sur mes habits. « Again. » Je me concentre plus sur la partie poussage que la partie ballon, ce qui 1. m’évite de tomber dans c’est un peu mieux mais 2. ne le déstabilise pas du tout et lui n’oublie pas d’attraper la balle et de courir. « Fuck it. » Je ne sais pas à quel essai on est quand je shoote dans le ballon pour l’envoyer plus loin au lieu de l’attraper. Au moins, on se pousse pas mais on court, c’est un peu plus juste. Quoi qu’il est rapide. «  Let me win at least once ! Jesus Fucking Christ ! » Ça m’énerve ? Ça m’énerve.

J’ai hâte de donner les dernières nouvelles à Dawn. ‘Bah écoute, ça roule à SF, Bart et moi nous sommes étripés sur un terrain de football – oui oui, avant même de commencer à jouer, tu nous connais – et on se parle plus depuis, sinon quoi d’neuf ?’ Mon instinct de survie est en guerre avec mon esprit de compétition, alors ça donne une Mila grognon, j’y peux rien. Les réparties fusent des deux côtés, c’en est presque insupportable. Pourtant, ça a l’air de nous amuser puisque nous n’arrêtons pas. Enfin. Il s’arrête quand j’emploie le surnom maudit – ah, touché ! – mais on va quand même tenter l’initiation. Peut-être qu’on aime souffrir, c’est un trait de caractère qui va avec notre métier. Enfin, j’aime souffrir mais de façon utile. Là, clairement, courir après un ballon et me faire pousser par mon petit-ami, c’est pas utile – juste très idiot. « There’s only one stupid thing on this field today and it’s you, moron! » Je ne peux même pas le pousser d’un pont à la première occasion pour me débarrasser de lui, le bougre sait nager. Au feu, Mew-Mew. « Why do I even like you ?! » Je chuchote, excédée, le nez plissé avant de pousser un grand soupir – bon, concentrons-nous pour ma défaite évidente. Je ne sais pas si on peut parler de défaite, il n’y a même pas de jeu. « Goddammit! Mila, for fuck’s sake! Focus on the ball! Not on me! » AU. FEU. MEW. MEW. « Don’t tell me what to do ! » Je fais de mon mieux, mais si son sport n’était pas aussi DÉBILE et surtout si j’avais un adverse à ma taille et un poil plus SYMPA que lui, ça irait mieux ! J’en viens à faire appel à sa raison et sa compassion, mais il me rit au nez ce fourbe. « Holy shit! You’re such a sore loser, I can’t believe it! You’re even worse than I am. » Bordel de merde. « Birds of a feather or whatever, right ? » Elle a appris l’expression en écoutant les Jonas Brothers et n’a pas retenu la fin, laissez-là. « I don’t really know what I’m going to do with you. For real. » Je croise les bras contre ma poitrine et lui tire ma plus mauvaise tête. « Play pool again ? » Eh, faudrait qu’il se rappelle que lui aussi a la défaite cuisante. Moi, au moins, j’essaie. Même si clairement j’échoue et que ça m’énerve et que je n’y mets pas forcément de la bonne volonté. Il commence à me narguer de raillerie. ‘Qu’est-ce que j’vais faire de toi, outre te jeter à la poubelle ?’ Me faire des putains de pancakes le matin et me laisser gagner un semblant de manche, c’est bien aussi. « Stop; » Je commence à râler, franchement pas amusée, essayant d’attraper le ballon de ses mains pour qu’on passe à autre chose. « I hate you. » C’est mort pour le bingewatch des Superbowls, ou ça s’accompagne d’un des Eurovision en retour – il a plus à perdre que moi je pense.

Plus le temps de débattre ou d’essayer à nouveau que nous sommes rejoins, de toute évidence par un ami de Bart. Je chasse du mieux que possible le grognon de mon système et affiche un petit sourire, accompagné d’un signe de la main lorsque Bart me désigne comme la raison de sa présence ici – appuyé presque immédiatement d’un levé de yeux au ciel parce que la petite tacle verbale est là, et zut. « I’m sorry but, did you just said girlfriend? » Eh, l’impossible est arrivé – il devrait peut-être faire passer une annonce dans le journal local Bart, histoire que toutes ses connaissances puissent retrouver foi en leurs rêves les plus fous. La réaction du gus n’est peut-être pas si rassurante que ça, mais je n’ai pas le temps de m’en soucier que le sauveteur fait les présentations – Stan, donc. « Stan, this is Mila the Polish monster ‘cause she is fucking pissed today. » J’échappe un grognement mécontent, il y a vraiment que lui pour me présenter comme un monstre auprès de ses potes. Elle a gagné à la loterie la demoiselle. « Only at my boyfriend who is a fucking moron. Hi, Stan, nice to meet you. » Je reprends, gardant un sourire chaleureux parce que je suis une personne sympathique (à peu de choses près). Stan s’agite et ça me fait un peu froncer les sourcils, même si ça m’amuse plutôt qu’autre chose. « No way, dude. What happened to you? » VRAIMENT pas rassurant. « It’s nice to meet you. What did you do to him? Did he finally decided to grow up? » Pfeuh. J’ai beau ne pas connaître l’énergumène depuis longtemps, j’ai l’impression d’en connaître assez pour savoir qu’il y a peu de chances pour ça. J’attrape la mimine que me tend Stan – mimine qui fait la taille de mon bras mais on passe à côté de ce détail merci. « Don’t we all wish that ? » Quant à savoir ce qu’il lui est arrivé ou ce que je lui ai fait, j’en ai aucune fichtre idée. On a suivi le courant, ou une sombre histoire dans le genre. Mais maintenant que je vois l’état de bonheur (?) (il me semble) de Stan, j’en suis presque à me demander ce qu’il a bien pu lui arriver à notre pauvre Bart. Il a dû se cogner contre un rocher ou s’être fait piquer par une méduse, sans doute.

« So. What were you trying to teach her? » Non, on peut rester sur la discussion amicale, ça me va aussi. « Line of scrimmage. But she doesn’t want to focus on the ball. » Je lève les yeux au ciel. Je vais avoir des problèmes ophtalmologiques – enfin, plus que ce que j’ai – avec ses conneries. « Or maybe you’re just the worst teacher ever. » I’m focusing on not getting hurt, thank you very much. Le collègue a l’air chaud pour une démonstration, Bart en a l’air tout aussi ravi et il y a un léger sourire qui glisse sur mes lèvres. Je me gagne quelques minutes de répit et Bart pourra dégager un peu de frustration en jouant pour de vrai. Le football américain, c’est barbare. Je ne sais pas à quoi on ressemblait, avec le brun de loin, mais ça ne doit clairement pas être la même chose que lorsqu’il est à côté de Stan. Il a l’air petit. Ça se pousse et ça court, Bart a la balle et « Holy shit ! » il vient de se faire brutalement mettre à terre, AH C’EST SYMPA ON SE MARRE BIEN. Je ne bouge pas bien que mon palpitant s’affole, parce que Stan est déjà en train de l’aider à se relever et que les deux se marrent. C’est vraiment débile, un garçon, quand même. Je grimace légèrement et hoche la tête lorsqu’ils reviennent vers moi. Je suis impressionné à 3% et j’ai surtout envie de me barrer – je reste sur mon opinion de base : l’Eurovision c’est mieux sorry. « You’re all right ? » Je demande, passant un bras dans le dos du sauveteur que j’époussette au passage. Pas très envie de jouer à l’infirmière, pas pour une raison aussi idiote en tout cas. « Wanna try with Stan? » Alors déjà, je ne suis pas venue ici pour souffrir (okay?!) même si dans l’ensemble c’est un peu ce qu’il se passe. « Fuck no ! » Et je n’ai pas spécialement envie de faire copain-copain avec ce qui reste un inconnu, non plus. Surtout quand j’ai vu le-dit inconnu essayer d’assassiner mon petit-ami juste pour rire, hein, bon. Je tiens à ma vie et j’ose croire avoir une certaine utilité donc je n’ai pas spécialement envie de la perdre non plus. « He has absolutely no mercy, ‘careful. » Qu’il me glisse à l’oreille, Bart, et j’étire mes lèvres en un sourire exagéré. « … With all due respect, thanks. » Je tiens à ma vie, merde. Je relève le menton pour regarder le brun, qui puisqu’il va bien ne mérite aucune pitié ou étreinte de ma part donc je me décale un peu. « And if your plan was to make me run just to tackle me like that, I don’t think I want to play with you either. » Si on n’en était qu’à la partie facile de la chose, la chose se fera sans moi. « But you can keep playing, if you want. I’ll do the cheerleading part or whatever. » Mais j’encouragerai Stan, parce que Bart ne mérite clairement pas mon soutien.

Maintenant qu’on a un spectateur, c’est presque devenu une compétition de savoir lequel de nous deux est le plus chiant. Les arguments penchent en ma faveur – naturellement – et Stan y va de sa petite histoire pour le prouver. J’écoute, sourcils haussés au fur et à mesure que ça avance. Le contexte est un Bart martyrisant des enfants, la chute de l’histoire me fait rire pour l’image mais je me reprends rapidement. Je note dans un coin que Bart et les enfants, ce n’est pas une grande histoire d’amour. « You’re terrible! » Je souffle au sauveteur – et finalement je suis bien contente que son pote soit arrivé, parce que je sens que j’aurais pu subir le même sort. Les deux mâles alphas se décident pour une démonstration amicale qui se termine quand même avec un Bart par terre, mais ça les fait rire donc tout va bien. Apparemment. Pour leur santé mentale, je ne sais pas. Et si j’avais une machine à remonter dans le temps, je pense que j’irais construire des barrages pour empêcher la colonisation des États-Unis, ce qui en ressort est particulièrement idiot. « It happens sometimes. » Qu’il me répond tout content, Bart, quand je lui demande si ça va. Je secoue négativement la tête, me passant de commentaire pour ne pas paraître rabat joie devant Stan – et surtout parce que lui aussi semble être une menace pour ma survie immédiate. Le jeu se fera sans moi, et je ne suis clairement pas partante pour une démonstration avec la montagne. Mais c’est gentil d’avoir pensé à moi, merci pour l’opportunité, tout ça. Ils peuvent continuer à jouer, et je peux continuer à prétendre à être super intéressée par ce qu’il se passe sur le terrain et pas du tout stressée d’en voir un finir à l’hôpital. Je peux m’essayer à un autre sport au passage : le cheerleading. « And you said that you aren’t a princess? » Ah ! Who’s sexist now ? Je ne daigne même pas le regarder, mais vais tout de même pousser son visage d’une main. « Princesses aren’t interested in football players, shut it. » M’enquiquine pas, roh. Stan interrompt mes plans, tout de même. «  I don’t think I’ll have time to break your arm this time anyway. Practice will start in a few minutes. » Ce à quoi un petit, faible et scandalisé « sorry what?! » m’échappe, mais il est vite ignoré. Les garçons continuent à discuter tranquillement, je n’ai pas la fin de l’histoire sur le bras cassé et honnêtement, c’est décidé : I’m done with boys.

Et puisque nous n’avons plus accès au terrain, I’m also done with football, et ça j’en suis plutôt très heureuse. « Okay. So how will I take my revenge now? » L’attention se reporte sur ma personne et je lève les yeux au ciel. « Oh come on, I’m grumpy and I suck at football, you’ve got your revenge alreadyyyy. » La fin se termine dans un cri de surprise, Bart ayant décidé de me charger pour m’attraper et me porter sur son épaule. « Fuck! » Prétends au moins que je ne suis pas si légère, merci. « Let me down! » « I just had my revenge. I’m just considering to score a touchdown with ya. » « Don’t let me down! » Ah, les femmes, elles ne savent jamais ce qu’elles veulent. Vivre, elles veulent vivre. Je retrouve la terre ferme quelques mètres plus loin, le brun manque de se ramasser en me déposant et ça me fait rire – le karma. « I’d have done anything to see you with war paint on yer face as a teen, princess harpy. » Je hoche légèrement la tête sur le côté, un sourire amusé à l’idée. « What, the entire cheerleading team wasn’t head over heels for you? » Étonnamment, j’en doute. Mais peut-être que mon savoir n’est basé que sur des clichés de films américains et des bouts de rumeurs entendus ici et là. M’enfin, pour ma tête d’ado pas fraîche c’est un peu trop tard, le reste ça peut se négocier. Une main se pose sur sa joue lorsque ses lèvres trouvent les miennes – c’est déjà bien plus sympa que d’attraper le ballon ovale, ça, j’aime mieux. « So. He gently asked us to get the hell outta here. » J’essaie de ne pas paraître trop soulagée, mais mon sourire me trahit sans doute. « Wanna watch the team for a bit? » Je hausse les épaules. C’était dans ma liste de choses à faire, assister à un match de football américain. Un entraînement, ça peut être un bon début. « Sure! As long as you don’t push me. » S’il n’est pas capable de se tenir sur des gradins, je ne peux plus rien pour lui et sa sécurité.

« Do you miss it? » Je demande, une fois que nous sommes installés dans les gradins et qu'il en est à enfiler l'équipement entier lorsque je lui tends les éléments un à un. Le chevalier enfile son armure, attention. « You look in your element… Somewhere you belong. » Même s'il râlait la plupart du temps, j'ai quand même pu sentir la passion derrière ses railleries. On est différent, quand on parle d'un truc qu'on aime. Ça se voit qu'il aime ça, le football, Bart. « All shiny and even more annoying than usual. » Je rajoute, un sourire taquin en lui tendant le casque. S'il est chiant c'est signe de bonne santé, tout roule. J'attends qu'il soit équipé pour m'installer un peu plus confortablement, allant étendre mes jambes sur ses cuisses avec un naturel nonchalant. Le terrain commence à se remplir de jeunes en tenue, et c'est la voix de Stanley qui transperce l'air. L'entraînement, c'est dès qu'on met un pied sur le terrain, hop hop hop. Un soupir amusé m'échappe et je reporte mon attention sur le sauveteur. « Have you thought about it? Coaching? » Bon, pour les gamins c'est apparemment mort, mais les joueurs sur le terrain sont des presque professionnels et doivent être dans les âges de mon frère. Ça reste idiot parce que ce sont des garçons, mais c'est supportable je pense. « Now you’re going to look very stupid if he doesn’t call you. » Je finis par commenter, allant tapoter le haut du casque avec un léger rire. Peut-être que c'est le plan de Stan, le désigner en plein milieu de l'entraînement 'eh regardez l'autre glandu, si vous voulez pas finir comme ça bougez vos fesses'. « What’s the story about the broken arm? »

La pudeur ? On ne la connaît pas. Bart se dessape comme s’il était dans sa salle de bain, et je me sens bien obligée de commenter l’effort. « Oh la la. » En français dans le texte, et c’est tout pour moi merci. Bart et le football, c’est toute une histoire. Ça lui manque aujourd’hui, et ça se voit qu’il aime ça. Mais son passif avec le sport a l’air bien compliqué, un choix qui a failli être imposé et un instinct d’auto-protection qui gâche presque tout. « Can’t you play just for fun? Now that your life is settle? » Tout ça remonte à quelques années, tout de même. J’ignore ce qu’il est devenu de son équipe de l’époque, mais s’ils sont tous aussi enthousiastes que Stan à le retrouver… C’est pas forcément une mauvaise chose, d’oublier l’esprit compétiteur du sport. Je ricane lorsqu’il m’informe – en toute amabilité – qu’il pourrait être encore plus chiant que précédemment. Merci, mais je m’en passe, je préfère qu’on reste en de bons termes. Il n’a plus le goût de jouer et il ne veut pas non plus coacher. On dirait presque qu’il s’interdit de retrouver l’une de ses passions, parce que ce ne sera pas comme avant et qu’une alternative est trop fade. Je fronce les sourcils mais reste silencieuse, garde mes réflexions pour moi car je manque trop d’informations pour avoir une opinion légitime. Une main qui se veut réconfortante file caresser les cheveux à l’arrière de son crâne. « Well, biology is still pretty awesome. » Des fois, il y a des choix à faire – il paraît qu’on n’est pas invincible et qu’on ne peut pas tout faire. Comme moi avec le boulot d’infirmière et les pompiers. Son autre choix n’était pas une obligation et un autre choix de passion, au moins. « You can still teach five years old. You’ve trained for that with me today. » Je rajoute avec un léger rire, même si je plaisante. Il y a des enfances à préserver, tout de même.

Bart a l’air sûr que Stan va l’appeler, et l’image d’un dos version dessin animé pour enfants (donc avec des jambes et un visage) s’impose lorsqu’il me parle de running back. J’ai compris que j’ai très mal fait mes devoirs et qu’il va falloir que je me mette au vocabulaire du football américain. Le brun a le temps de me raconter l’histoire du bras cassé – j’avais bien remarqué les petites cicatrices mais j’imaginais un truc moins barbare derrière quand même – avant que le gorille ne l’appelle. Un soldat part au front. Avec le protège-dents et franchement ? C’est pas sexy du tout du tout. Je plisse le nez dans une grimace moqueuse et lâche un rire, porte deux doigts à ma tempe dans un salut d’adieu. « Smash ‘em dead. » L’encourage-je, me souvenant un poil trop tard que l’expression n’est pas avec smash mais knock, mais il est déjà parti et surtout il n’a pas relevé donc tout va bien. Je dois plisser les yeux pour voir correctement les joueurs sur le terrain, et zut, la vieillesse c’est moche franchement. Voir une équipe au complet, c’est autre chose que voir deux joueurs. Y’a pas la même ambiance, c’est certain. Je fais de mon mieux pour ne pas trop cringer dès qu’un se trouve à terre – bon ça va, j’suis prête à bondir si jamais – et je fais de mon mieux pour ne pas m’agacer toute seule sur mon banc dès qu’on s’approche de Bart trop près. Je ne dois pas oublier que je suis petite et que je ne fais pas le poids contre ce genre de gabarit, but Imma fight them all. Je sors mon téléphone et enregistre une courte vidéo que j’envoie sur la conversation de groupe avec la coloc et les +1, sous-titré « black bart back on the field ».

J’envoie aussi une photo à mon petit frère, lui informant que je deviens de plus en plus américaine (à mon plus grand malheur, il faut bien l’avouer). C’est la fin de la journée en Pologne, et le message est immédiatement vu. Puis les petites bulles. « can i call ? » Qu’il demande, et mon rythme cardiaque s’emballe alors que je lui réponds que oui. J’attends quelques minutes avant qu’il ne le fasse, hésitant même à l’appeler moi-même, ne m’y retenant que seulement parce que ça pourrait le stresser. « Hey Piotr. » Je réponds, entendant du mouvement de l’autre côté avant une réponse. « Hey Kami. I don’t feel good today. » Mes sourcils se froncent immédiatement et j’échappe un léger souffle. Ça fait plusieurs mois que je suis partie, maintenant. Les premières semaines étaient difficiles, parce que j’embarquais dans une nouvelle vie et que Piotr arrivait très bien à s’en sortir dans la sienne sans moi. J’ai réussi à lâcher prise, un peu. Ça ne me fait toujours pas plaisir d’entendre ce genre de chose – pas alors que je suis au bout de la terre et que je suis impuissante. Ça fait remonter ma culpabilité, d’un coup d’un seul. « What’s wrong? » Il soupire, de l'autre côté. J'oublie un peu tout du jeu devant moi et de ma précédente bonne humeur. « I saw the parents today. Dad says he has cancer but I don’t think that’s true. They sold the house and asked me to help with the moving. I think they sold it to pay off Dad’s debts, since you've left… » Le palpitant s'affole, la mâchoire se serre dangereusement. C'est quelque chose – bonne ou mauvaise, j'en sais rien – qu'ils se décident à faire quelque chose par rapport à leur situation. Enfin, j'imagine qu'ils n'ont pas tellement le choix, au stade où ils en sont… L'histoire de cancer me fait froncer les sourcils. Une manière de garder leur réputation sans doute. « Shit. » Ça m'énerve, même si j'ai échappé à la situation ce n'est pas le cas de mon frère et je regrette plus que tout de ne pas être avec lui en ce moment. « Also Mom asked me for some money, and I said no and she yelled. I don’t know how you used to deal with them but I don’t like doing it. » Voilà pourquoi. Mes parents n'ont aucune gêne, et je déteste le fait de ne plus pouvoir faire tampon entre eux et Piotr. Je n'ai pas le temps de réagir qu'il termine. « And I miss you, a lot. » M'achève au passage. Je sens mon nez commencer dangereusement à picoter et mes yeux s'embuer. Je me tourne un peu sur le côté, plus pour me couper de l'agitation en bas que pour me cacher. « Piotr… » Je soupire, pour me reprendre déjà. « But don’t worry about me, I’m doing all right. I just need to complain today. » Un léger sourire s'installe sur mes lèvres. C'est gentil de sa part d'essayer de me rassurer, mais ça ne fonctionne pas des masses. « I miss you too. So much. » Il reste silencieux, mais j'ai l'impression d'entendre l'accusation dedans. Alors pourquoi t'es partie, si je te manque ? « How can I help? » Je finis par demander. Il siffle avant de me demander de lui raconter ma journée. Je lui résume avec moins de cœur que je ne devrais mon initiation au football américain. Je brûle d'envie de lui demander plus d'informations sur la situation, mais je sens qu'il n'a pas envie d'en parler et que ça risque de m'agacer plus qu'autre chose. L'appel est écourté parce que son colocataire est rentré, entre temps, alors Piotr est parti demander du réconfort à quelqu'un qui peut vraiment lui en donner. Je suis inutile dans la vie de mon petit frère, c'est officiel. Je m'empresse d'envoyer des messages à qui je le peux pour en savoir plus sur la situation, me retenant d'appeler mes parents pour les engueuler et leur dire de laisser Piotr tranquille. Ça, c'est la seule limite que je ne veux pas franchir.

Je remarque à peine l'entraînement qui s'achève sous mon nez, ce sont les clameurs et autres cris bourrus de victoire qui me rappellent à l'ordre. Ah, les garçons. Il y a un sourire qui glisse sur mes lèvres lorsque je descends les quelques marches des gradins et que je vois Bart venir vers moi en même temps. Un peu en sueur, tout plein de couleur, les yeux brillants. J'échappe un rire lorsqu'on se retrouve face à face, tends une main pour recoiffer sa superbe chevelure toute aplatie par le casque. « Ew. So much ew. » Je commente, lâchant un rire vite cueilli par les lèvres du brun. Effectivement, il peut être encore plus ennuyant, tout plein d'adrénaline. Je souris lorsqu'il se recule, regrettant déjà la suite. « Hi, you're awesome and handsome but you need a shower and I've got to go, something came up, I'm sorry. See you later? » Retournement de situation en mon désavantage, mais j'ai besoin de quelques heures pour appeler mes amis polonais – après le décalage horaire ne sera plus en ma faveur. La surprise passée, Bart me laisse partir avec un dernier baiser. « By the way, yeah, so I'm fucking sure that I don't want to play your football ever again. » Je l'informe, une fois que je suis sûre d'être hors de portée. Question de survie, encore une fois.