Aujourd'hui, c'est samedi. Et miracle, ô grand et beau miracle : j'ai pris une douche. Alors que c'est le week-end et que normalement ça attend lundi matin. Mais Robyn m'a donné rendez-vous dans un bar parce que ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu (genre trois jours) et j'ai dit oui parce que je ne peux rien refuser à Robyn. Elle me donnerait rendez-vous dans une cave pour vendre l'un de mes reins que j'irais probablement. « Tu as des problèmes. » J'affirme à ma réflexion dans le miroir avant de lui sourire. Je suis pas trop moche, ça vaaaaaa. Peut-être que je manque à Robyn, et peut-être que c'est pour ça qu'elle veut me voir. Est-ce que je dois considérer un bar comme un lieu romantique ? C'est un lieu. Public. Où il se passe souvent des choses supposées romantiques comme des premiers rencards. Mais ça implique de l'alcool, aussi, et c'est pas bon signe. Est-ce que je devrais lui envoyer un message pour lui demander les raisons de ce lieu ? Est-ce que je devrais prendre des fleurs ?

Mais non Kevin, sois pas complètement idiot non plus. C'est juste une soirée entre potes, mais comme on est des adultes on brise la routine et on sort un peu, voilà tout.

Vivons jeunes.

Je quitte mon appartement tout frais, tout pimpant. Je suis pas moche, mes cheveux sont jolis, je sens bon, j'ai tout pour plaire. Je n'ai pas mis du Axe parce que j'ai appris dans la pub que toutes les filles tombent aux pieds des mâles à l'Axe, et moi je veux juste Robyn. Je fais le trajet en sifflotant sur mon skate, je ne renverse personne, je suis heureux, la vie est belle, il y a du soleil. J'arrive avec quelques minutes d'avances, j'envoie donc un message à ma meilleure amie pour lui informer de ma présence.

Lorsqu'elle arrive, pas longtemps après, je l'accueille d'un grand sourire sur les lèvres et d'un bref câlin. « Hola hola guapa ! » Je ne sais pas pourquoi, la chaleur, l'ambiance festive, Robyn me pousse à sortir l'espagnol. Je suis un tombeur né, c'est une évidence. « Tu vas bien ? Tu m'aimes tellement que tu n'peux plus te passer de moi ? » Je dis ça sur le ton de la plaisanterie, mais bon sang I. Wish.

Cette semaine est passée aussi vite que la lumière, je n’ai pas trouvé une seconde de répit. Entre l’administration de l’université qui a décidé de me gâcher mon été en me faisant courir partout pour récupérer des dossiers importants, mon stage qui touche à sa fin bien que les rapports s’accumulent sur mon bureau et les préparatifs nécessaires à l’organisation de la cérémonie de graduation qui approche à grand pas, je me retrouve sans plus savoir où donner de la tête et dans le besoin urgent de m’accorder un weekend pour respirer un peu. Grandissez qu’ils disaient. Tseuh. La vie d’adulte, c’est nul. Parfois j’aimerais m’enrouler dans un plaid en pilou-pilou façon burrito et passer ma vie devant Netflix en mangeant des M&M’s.

Mais Robyn Maia Howell n’a jamais été du genre à choisir la solution de facilité. Non Monsieur. C’est pourquoi je me suis quand même trainée à mon cours de danse hebdomadaire afin d’évacuer toute cette tension accumulée et libérer ces bons vieux endorphines.

J’ai bien failli m’endormir sous la douche.

Heureusement, une alarme préenregistrée sur mon téléphone me fait rouvrir les yeux avant qu’une catastrophe de style "crâne fracassé contre le carrelage" ne se produise. Je me sèche donc rapidement puis enfile la robe légère soigneusement accrochée à la porte de ma penderie. Associée à une veste en denim et de petites baskets blanches, ce sera une tenue décontractée parfaite pour l’occasion. Sentant que j’avais en effet le plus grand besoin de distraction, j’ai donné rendez-vous à mon homme préféré pour une petite soirée au bar. Trois jours sans voir Kevin, c’est trop long. Surtout depuis qu’on ne se croise plus que très rarement sur le campus de la fac. Il me manque, le bougre. Et puis j’ai des gossips pleins les poches et il est la personne toute désignée avec qui les partager.

Un coup d’œil à ma montre m’indique un retard de quelques minutes sur l’heure de rendez-vous, je passe donc à la vitesse supérieure en rassemblant clés et porte-monnaie dans un sac à main. Et parce que j’ai l’âme téméraire et pas le temps de sortir mon fer à lisser, je laisse mes cheveux sécher à l’air libre dans l’espoir d’obtenir de belles boucles et non une afro impossible à gérer. C’est quitte ou double.

Je coupe le moteur en arrivant devant la lumineuse façade du View, un bar moderne un poil hipster mais à l’ambiance très agréable sur lequel nous avons jeté notre dévolu. Entre mes doigts, mon portable vibre brièvement pour m’annoncer d’un texto de la part de Kevin qui m’informe de sa présence. Pile-poil dans les temps. Si c’est pas beau. Une fois entrée, je le repère presque immédiatement assis dans l’un des canapés confortables qui longent l’immense baie vitrée. L’endroit porte bien son nom, un panorama à couper le souffle des gratte-ciels de San Francisco s’étale devant nos yeux. « Hola hola guapa ! » Je souris en rendant de bonne grâce son étreinte à mon meilleur ami. « Holaaaa ! » « Tu vas bien ? Tu m'aimes tellement que tu n'peux plus te passer de moi ? » Son humour me fait rire, puis je pousse un long soupir dramatique en jouant le jeu. « C’est exactement ça. J’ai eu une semaine de FO-LIE et t’es le seul à pouvoir me sortir la tête des cours et de la mère Kyle qui me prend pour son esclave. » Ma maître de stage. Une femme charmante. « Et toi comment tu vas ? » Je lui retourne la question en prenant place en face de lui dans le canapé orné de coussins colorés.

Du-du-dududududDU-dudududu… Bon, vous n’allez sans doute pas le reconnaître parce que vous êtes des êtres incultes, mais il s’agissait de la lunaire introduction de Just Can’t Get Enough de Depeche Mode. Big up à toi Marie. Parce que c’est un peu dans l’état d’esprit que je suis lorsque je me prépare pour aller retrouver ma meilleure amie dans un bar. C’est pathétique, je sais. Mais ! Je revendique ce pathétique, en conséquence je ne le suis pas. Je suis un mâle beau, propre et je suis aux pieds d’une femelle belle, sans doute propre qui ne m’aimera jamais en retour mais je le vis bien. La plupart du temps. J’en suis presque à me dandiner en skatant en chemin, mais je suis un citoyen modèle et je ne veux blesser personne alors je me contente de chantonner. La prochaine fois, j’emporte mon enceinte et j’emmerde le voisinage de ma bonne humeur, c’est décidé. Et comme on est très amis, et très bien élevé aussi, on est ponctuel et synchronisé, la brune arrive pas longtemps après mon humble personne.

C’est beau, la vie, un peu, quand même.

Le rituel du câlin accomplit, on s’installe et franchement ? FRANCHEMENT ? C’EST NOUS LES BEAUX GOSSES DU SALOON, TU PEUX PAS TEST. On serait au temps des cowboys que tout le monde nous paierait des verres et nous ferait des clins d’oeil tellement on intimide wesh. En bref, Kevin est beaucoup trop content d’être de sortie. Je lui demande si elle va bien, parce que je suis un ami sympathique, et ce même si on se parle tous les jours et que si quelque chose n’allait vraiment pas bien elle me l’aurait déjà dit et on ne se retrouverait pas dans un pareil lieu. Je lui demande aussi si elle m’aime et ne peut plus se passer de moi. Parce que ça, c’est un problème. Auquel je serais ravi de trouver une solution. On file à Las Vegas, on se marie, on ne se quitte plus jamais. Et elle rit. Comme d’habitude. Et mon coeur se brise un petit peu, aussi, comme d’habitude. Mon manque de subtilité n’est pas relevé de sa part, mon âme péri mais au moins, elle est heureuse et j’en suis content.

« C’est exactement ça. J’ai eu une semaine de FO-LIE et t’es le seul à pouvoir me sortir la tête des cours et de la mère Kyle qui me prend pour son esclave. » A croire que c’est une malédiction, les maîtres de stage tyrannique. Enfin, moi, je ne me plains qu’à moitié. Je fais le boulot que Graves me demande, contrairement à un certain indien d’Inde et elle me fiche la paix. Faut les brosser dans le sens des poils, les mères Graves-Kyle, et ça va bien. « Roh, mon pauvre chat, tu veux que je te fasse un mot d’excuses pour qu’on te laisse tranquille ? » Je suis sûr que je peux être doué pour les mots d’excuses. Je peux le faire signer par mon père, Kinsella Senior a un tantinet peu de pouvoir, ça vaudra peut-être quelque chose. Sinon, je peux prendre un avion, aller en Floride, faire signer à The Rock, revenir. Personne ne peut remettre en doute la parole et les ordres de The Rock. De là à dire que Kevin voudrait que The Rock soit son père, je ne suis qu’à une phrase. « Et toi comment tu vas ? » JE VAIS FRAIS ET PIMPANT, MERCI DE DEMANDER. « Ça vaaaa ! Il fait beau, j’ai pris une douche, je suis content de te voir, ça va ! » J’évite de trop la complimenter, parce qu’elle pourrait prendre la grosse tête ou bien m’en coller une. Il ne faut pas pousser le bouchon trop loin Maurice. Puis c’est le quart d’heure où je me transforme en adolescente, pour les raconter les derniers potins et entendre ses derniers ragots.

« Tu devineras JAMAIS ce qu’il m’est arrivé. » Quelques secondes, pour le suspens. « Je me suis battu au stage. Un camarade de classe a décidé de dire à tout le monde que je voulais qu’on m’appelle Kev, l’horreur ! MAIS ! J’ai GAGNÉ ! Enfin, on fait une trêve, mais j’ai bien défendu mon honneur ! » Je ne mentionne pas le tripotage de fesses et le semblant de flirt qui s’en est suivi ensuite. Je veux que Robyn me reconnaisse enfin comme le gros dur que je suis. « Je suis le mâle alpha. » J’affirme, sûr de moi, le menton haut et le torse bombé. Je suis un homme nouveau, il faut qu’elle respecte mon statut. Mason serait à ma place qu’il lui aurait déjà proposé d’être son mâle alpha à elle. Mais je ne suis pas Mason, et je respecte les femmes. Je respecte les hommes, aussi, dit en passant. Mais je lui fais un clin d’oeil, c’est sans doute le geste le plus inapproprié que je suis capable de tenir en présence de Robyn. Je vous rappelle que je revendique être un être pathétique, merci.

Ça me fait du bien de retrouver mon meilleur ami. Ce garçon me fait le même effet apaisant qu’une bouffée d’air frais ou d’un câlin réconfortant. Il a ce genre de pouvoir, Kevin : quand tout semble aller mal ou que la vie ne me laisse plus aucun répit, quand tout est erratique, lui il est toujours là. Fidèle, la bonne humeur au garde à vous. Je pourrai toujours compter sur lui, dans les bons comme dans les mauvais moments, et c’est une sensation indescriptible. Je l’aime fort pour ça, j’espère qu’il le sait.

Il me fait rire aussi, comme maintenant lorsqu’il compatit à mes malheurs en me proposant un mot d’excuse à destination de mon impitoyable maître de stage. Je rentre dans le jeu de bonne grâce en acquiesçant, la bouche plissée en une moue triste et le regard digne de celui du Chat Botté. J’imagine d’ici la tête de Kyle lors du déchiffrage de cette lettre factice : elle rirait probablement, moqueuse, avant de me virer aussi sec car « Les stagiaires, c’est pas ça qui manque ! ». Enfin. Plus que quelques semaines avant que, diplôme en poche, je ne puisse postuler autre part. J’ai déjà fait quelques recherches et le cabinet Mulaney’s Practice me fait de l’œil… Je me fais une petite note mentale d’aller y déposer mon CV dans la semaine.

Nous prenons finalement place sur les canapés confortables qui jouxtent l’immense baie vitrée du bar et je retourne à Kevin sa question. « Ça vaaaa ! Il fait beau, j’ai pris une douche, je suis content de te voir, ça va ! » qu’il me répond d’un air enjoué. Son enthousiasme est communicatif, comme toujours. « Woaa, une douche carrément ! Arrête, tu vas me flatter. » Entre le Kinsella et la douche, c’est une grande histoire. Et pas forcément une histoire d’amour. Mais je n’ai personnellement jamais eu à me plaindre de son hygiène et si vous voulez mon avis, c’est ça la vraie preuve d’amour. « Tu devineras JAMAIS ce qu’il m’est arrivé. » J’arque un sourcil intéressé et me penche légèrement en avant, le menton reposant au creux de mes paumes ouvertes. « Raconte-moi tout dans les moindres détails. » I’m a thot for gossips. Heureusement, Kevin est de la même trempe et ne se fait pas prier pour continuer son récit. « Je me suis battu au stage. Un camarade de classe a décidé de dire à tout le monde que je voulais qu’on m’appelle Kev, l’horreur ! MAIS ! J’ai GAGNÉ ! Enfin, on fait une trêve, mais j’ai bien défendu mon honneur ! » J’ouvre des yeux ronds, sincèrement choquée. « Tu t’es battu ? Toi ?? Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait à Kevin Kinsella ? » Le sourire qui menaçait de retrousser le coin de mes lèvres finit par gagner mes joues. De ma vie je n’ai jamais vu mon ami lever la main sur quoi que ce soit, homme ou mouche. Disons qu’il n’est pas vraiment en tête de la chaîne alimentaire, si on veut aller par là. « Et t’as gagné en plus ? Diantre, ils te font manger quoi en architecture ? » Ça a l’air de lui réussir en tout cas : à l’évocation de sa bagarre, ses joues ont pris une petite teinte rosée qui lui donne bonne mine. « Je suis le mâle alpha. » qu’il me sort fièrement avec un clin d’œil. Oui, bon. Faut pas pousser non plus. Mais encore une fois, j’entre dans son jeu parce que ça lui fait plaisir. Et ça m’amuse un peu aussi. « Je vois ça ! Tu feras gaffe d’ailleurs, ta chemise a l’air prête à se déchirer à cause de tes muscles de mâle alpha. » Je le taquine, allongeant le bras pour pincer son biceps du pouce et de l’index pour prouver mes dires. « J’espère que vous vous êtes pas fait choppés par Graves au moins, elle a pas l’air du genre à accepter les combats de catch dans ses bureaux. » J’attrape une carte des boissons et la parcours des yeux en jouant distraitement à enrouler une mèche rebelle autour de mon doigt. « Et sinon, est-ce qu’il veut boire quelque chose le mâle alpha ? »

Si on était dans L’Âge de Glace, je serais Sid. Le gros neuneu qui pue et qui est amoureux de son meilleur ami (Diego) mais qui bouge pas son popotin et Diego va voir ailleurs. Oui on a vu les mêmes films, Sidiego shipper here, shut. Mais on n’est pas dans L’Âge de Glace, et je ne suis pas Sid. Je suis Kevin, le moyen neuneu qui pue parfois et qui est fou amoureux de sa meilleure amie (Robyn) mais qui bouge pas son popotin et Robyn va voir ailleurs. J’essaie, pourtant. De lui envoyer de trop nombreux signaux pour qu’elle tombe d’un coup sous mon charme. Mais je n’utilise pas de Axe alors ça ne doit pas fonctionner. Il va falloir que je me résigne, un jour. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, énième tentative et moment potins. Je gonfle le torse, j’attrape ma carte de mâle alpha et je la tire dans un geste théâtre tel le paon fier que je ne suis qu’à moitié. Je me suis battu au stage, parce qu’un zozo a osé l’attaque ultime à ma personne à savoir me faire appeler Kev, j’ai gagné. Bien sûr que j’ai gagné, c’est moi qui raconte l’histoire alors je peux la modeler à mon image. Ça marche aussi pour l’histoire avec un grand H, mais c’est un tout autre débat. « Tu t’es battu ? Toi ?? Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait à Kevin Kinsella ? » Un gloussement m’échappe. Bon, la virilité, ça ne marche pas très longtemps. « Je suis un homme nouveau, Robyn. » Est-ce le moment de sortir Ramonetafraise ? Non, Ramonetafraise ne sort qu’avec un peu d’alcool dans le sang et d’Alban sur les genoux. Je lève les yeux au ciel, souriant néanmoins, lorsqu’elle me demande ce qu’on mange en architecture. Pffeut. Des bouts de bois, quand nos maquettes sont ratées, c’est une évidence.

Je suis le mâle alpha. « Je vois ça ! Tu feras gaffe d’ailleurs, ta chemise a l’air prête à se déchirer à cause de tes muscles de mâle alpha. » Mes yeux s’agrandissent un tantinet tandis qu’elle vient me tripoter le bras. OLALALALA ROBYN ME TRIPOTE JE SUIS CALME JE RESTE CALME. JE MEUUUUUURS. Je me racle la gorge et force un rire, parce que tout va bien voyons. « C’est vrai tu trouves que j’suis musclé ? » Musclé, je ne sais pas, mais pathétique avec le visage plein d’espoir, c’est sûr. Ah, et rectifions une dernière chose : « Ah non non non, ce n’était pas un combat de catch ! ». Pas de prise de foufou du haut de la troisième corde, pas d’abdominaux de Seth Rollins. Le titre de mâle alpha en jeu, certes, mais ça a surtout été tirage de cheveux et tripotage de fesses… Hum. HUM. Dit comme ça, c’est une toute autre discipline qu’on présente. « J’ai cassé la tasse de sa mère. » Mais ça fait de moi un mâle alpha, quand même, un peu ? « Et Graves râle tout le temps, mais on a dit qu’un rat était dans le bureau et qu’on a dû le chasser pour l’attraper, c’est plus ou moins passé. » Plus parce qu’elle nous a assez cru pour faire appel à une société de désinfection qui n’a rien trouvé, pas même une trace de crotte, moins parce qu’on a handicapé le bureau pendant une matinée… Oh well. Au moins, notre combat reste un secret bien gardé entre Alban et moi. Secret que je viens de répéter à Robyn, bien gardé.

Et comme le mâle alpha veut effectivement boire quelque chose, on agite notre mimine et on passe rapidement commande. En attendant que nos verres arrivent, je pose un coude sur la table pour pouvoir reposer ma tête et observer Robyn tel le pervers qu’il est avec toute l’affection que je lui porte oui c’est ce que je dis. « Et toi, Rob-rob, quoi de neuf à part la mère Kyle ? » Elle ne pourra pas surpasser mon nouveau titre durement gagné, mais elle peut essayer au moins.

Kevin, c’est pas vraiment le genre de mec à se battre. Que ce soit contre un autre être humain ou une mouche d’ailleurs, c’est pareil. Les doigts d’honneur et les injures familières murmurées tout bas à un dos retourné, ça oui, je l’ai vu faire à maintes reprises. Mais se battre ? Avec ses poings ? Eeeeh… J’ai un peu de mal à visualiser, je l’avoue. Alors quand il me raconte son expérience digne d’un match de catch – selon ses dires – avec un de ses co-stagiaires, le moins qu’on puisse dire c’est que je suis surprise. En bien ! Enfin, je crois ? Je suis contre la violence, évidemment, j’suis pas en droit pour rien, mais entendre Kevin me conter ses exploits me procure une sorte de fierté… maternelle. I’m so sorry. Il a bien changé depuis qu’il a quitté les études juridiques pour partir en architecture, je le vois : il a mûri, il est plus épanoui, plus joyeux. Surtout depuis récemment, avec ce stage chez Graves dont il ne tarit pas d’anecdotes plus farfelues les unes que les autres. Non vraiment, je suis heureuse pour lui et je le soutiens à fond dans cette nouvelle carrière. Il le mérite.

« J’ai cassé la tasse de sa mère. » Je glousse, réécrivant la scène dans ma tête en remplaçant Seth Rollins et Dean Ambrose – merci KK pour mon minimum de culture catch-esque – par deux petits chats en colère. Ya pas photo, j’ai beaucoup moins de mal à imaginer ce scénario : Kevin pas content qu’on ait utilisé le Surnom Maudit, qui casse la tasse du stagiaire en retour et les deux qui en viennent aux mains dans l’open space… Moui. On est loin de la WWE, ya pas à dire. « Et Graves râle tout le temps, mais on a dit qu’un rat était dans le bureau et qu’on a dû le chasser pour l’attraper, c’est plus ou moins passé. » Je souffle du nez et arque un sourcil, douteuse. « Plus ou moins ? » J’imagine même pas la tronche de Graves en découvrant ses bureaux ravagés par deux stagiaires en quête de… de quoi d’ailleurs ? De respect ? D’un titre de mâle alpha, quoi que cela représente ? Pas sûre qu’elle ait beaucoup apprécié, l’architecte.

Et puis une fois notre commande de boissons passée, mon meilleur ami me retourne la question : « Et toi, Rob-rob, quoi de neuf à part la mère Kyle ? » Je pousse un bref soupir – pour l’effet dramatique et qu’il me plaigne un peu surtout. « Pas de bagarre, malheureusement, j’aurais bien aimé me défouler sur quelque chose moi aussi. Sinon pas grand chose écoute, avec les exams qui approchent j’ai pas trop le temps de sortir. » Clairement, j’ai l’impression que je révise pour ces partiels depuis six mois, c’est infernal. Enfin, il faut se dire que c’est la dernière ligne droite avant les vacances et la liberté. Je réfléchis quand même, histoire de trouver quelque chose d’intéressant à raconter, quand soudain c’est l’illumination. « Han mais siii, j’t’ai pas dis ! » L’excitation me fait me pencher légèrement par-dessus la table, le regard plongé dans celui de Kevin. Gossips are coming. « L’autre jour, j’ai recroisé Nath au ciné et il avait un gosse dans les bras ! Genre trois-quatre ans le machin, t’imagines ? J’ai vrillé, j’ai cru que c’était le sien. Et cet abruti ne m’a même pas détrompé sur le coup, j’ai dû attendre le lendemain pour qu’il me dise que c’était sa nièce. Ugh, les hommes j’te jure. »

Alors je voulais commencé ce RP dans le sérieux et la bonne humeur, mais je viens de relire une allusion à Seth Rollins et Dean Ambrose et je tiens à préciser deux petites choses : mon coeur de shippeur souffre très fort tous les mardis parce qu'ils sont en train de menacer la rupture Ambrollins, et dans la version Fogged Up Albin Kevin est Dean Ambrose et Alban Seth Rollins. Voilà. C'est tout pour moi, je vous remercie, fin de la pub. Est-ce que mon combat avec Alban était épique ? Je le raconte ainsi. Parce que bon. En soit, j'ai juste balancé une tasse contre un mur. Après, c'était plutôt des roulades et du tirage de cheveux et du tripotage de fesse et des boulettes de papier dans le nez. J'ai fini avec un pansement canards sur la main quand même. Et Holly n'a rien vu, rien entendu ou du moins a eu la courtoisie de ne rien dire. On n'a pas eu le temps de ranger tout bien comme il faut avant le retour de Graves, mais on a essayé de sauver les meubles. « Plus ou moins ? » Je plisse les yeux. « Mmh, moins. » Je lui passe les détails, mais je pense que dès qu'on va faire quelque chose de travers la harpie va nous rappeler cette histoire. Moi je m'en fiche, généralement je bosse dans les temps. Alban, c'est son problème. Puis de toute façon, il n'avais pas qu'à commencer à me faire appeler Kevkev. Ce sera le retour de bâton du karma, voilà tout.

Et des dragons, il y en a partout. Graves pour moi, Kyle pour Robrob. Alors Kevin on n'a pas le droit de l'appeller Kev mais Robyn on peut l'appeler Robrob sans soucis, voyez la maturité. Mais pas de combat épique digne d'un Becky Lynch vs Charlotte Flair pour ma meilleure amie. Juste des exams et une vie sociale moindre. Pauvre petit chat. « Moooowh. Robrob, on va s'inscrire à la boxe, ça te fera du bien. » Mason m'a déjà emmené à la boxe, et c'était plutôt chouette. Je suis sûr que ça lui plairait, à Robyn. Et je suis aussi sûr qu'elle va très vite me mettre KO à terre et que ça aussi je vais en entendre parler régulièrement, mais eh. C'est pour la bonne cause, et je ne connais que peu la notion d'amour propre il faut croire.

Puis son visage s'illumine et j'espère vraiment qu'elle compte me parler de la dernière pizza géniale qu'elle a commandé lors de ses soirées révisions. Mais non. Non pas trop. Le prénom maudit est prononcé et je sens mon coeur mourir dans ma poitrine alors que je me force à garder un sourire sur les lèvres et à ne pas me décomposer sur place. « J’ai vrillé, j’ai cru que c’était le sien. Et cet abruti ne m’a même pas détrompé sur le coup, j’ai dû attendre le lendemain pour qu’il me dise que c’était sa nièce. Ugh, les hommes j’te jure. » Ahahahah, les hommes. Tuez moi maintenant s'il-vous-plaît. « Robrob, j'crois que t'es amoureuse. » Que je dis avec un rire surjoué. AHAHAH, c'est rigolo. Mais même si elle appelle Nath abruti, elle l'appelle quand même Nath alors qu'il a un prénom à rallonge. Et elle a vrillé en le voyant avec un enfant. Même si elle me raconte ça de façon tout à fait anecdotique pour me tenir au courant des potins, je sens bien qu'elle fut jalouse. Et je donnerais beaucoup pour qu'elle me nie tout ça avec sincérité, je donnerais encore plus pour qu'elle m'aime moi mais... Un jour, je me ferais une raison. Et p't-être qu'un autre, je vais kidnapper un enfant pour voir si elle va me vriller dessus aussi.  « Alors, vous vous voyez souvent avec Nath ? » Dit-il en tout calme alors qu'à l'intérieur c'est plutôt : aLoRs vOuS vOuS vOyEz sOuVeNt aVeC NaTh ?! Vraiment, tuez-le maintenant, abrégez ses souffrances à ce pauvre Kevin.