La maison était froide, comme si elle portait sur elle le poids d'une histoire ancienne et terriblement étrange. Et le propriétaire des lieux aurait lui aussi pu être froid et spécial, ce qu'il était réellement d'ailleurs, mais rien dans son comportement ne me faisait peur. Plus les minutes passaient et plus je me rendais compte que cet homme-là, je n'aurais jamais à le craindre. Il était certes bourru et distant, mais je pense que c'est ce dont j'avais besoin à ce moment-là. Des hommes comme lui, j'étais certaine de ne pas en trouver à chaque coin de rue, et s'il m'avait tout d'abord impressionnée par son air renfermé, il avait réussi à faire ses preuves en quelques heures, à peine. Il m'avait trouvé sur le bord de la route, ou plutôt, je l'avais trouvé, et depuis cet instant, il avait prit soin de moi. Il avait pansé mes blessures, m'avait rassuré. Il était même allé jusqu'à me proposer un toit et un lit pour passer la nuit. Qui ferait une chose pareille pour une vulgaire inconnue, perchée comme je l'étais ? Barth, visiblement. Je ne le connaissais pas beaucoup, voire pas du tout, mais à mes yeux, cet aspect de sa personnalité voulait dire beaucoup de choses sur lui. Oh, je ne niais pas qu'il avait sans aucun doute une part sombre, comme tout le monde. Mais il ne semblait pas vouloir me la montrer, et ça me convenait. Je lui étais infiniment reconnaissante pour l'aide qu'il m'avait apportée jusqu'ici, et grâce à lui, quand le mot homme franchissait mes pensées, je ne l'associais plus uniquement à Maxime, mais aussi à Barth. J'aimais ça autant que je détestais.. Un peu comme si deux réalités totalement différentes s'entrechoquaient, se superposaient ou se mélangeaient. J'étais totalement perdue entre deux mondes, l'un cruel et l'autre, bon. La seule chose que j’espérais, c'était que le premier ne boufferait pas le second.

Évidemment, je ne crache pas sur la proposition de Barth. J'ai besoin d'une douche et le plus vite sera le mieux. Je me sens.. immonde. Crade. Sale. Puante. Bref, j'en ai vraiment besoin et je ne me fais pas prier, bien que mes plans étaient de m'éclipser. Il m'indique la salle d'eau en précisant que je peux trouver des linges sous l'évier, et je suis un peu surpris qu'il ne m'y accompagne pas. Je pensais que c'était comme ça que ça fonctionnait, mais je me souviens alors que ma vision de la normalité est faussée. À vrai dire, je déteste ce moment où je dois passer sous l'eau. Mais ici, il ne me semble pas si terrible que ça. Avant de me diriger dans la pièce que Barth m'a indiquée, je lui demande s'il est possible d'avoir quelques vêtements. Après tout, la douche ne me servira à rien si je ne peux pas me changer.. Il me dit qu'il va trouver et que je dois prendre mon temps. Inutile de dire que dans ma tête, prendre mon temps est une expression quasi inconnue. Je n'ai jamais été le genre de fille à rester mille ans sous le jet d'eau, encore moins depuis que le moment de la douche me révulse. C'est sans doute à cause de la petite appréhension au fond de moi que je reste plantée là, à ne pas trop savoir quoi faire. Finalement, Barth se lève en tend le bras, m'indiquant ainsi quelle porte je suis censée franchir. Je reviens un peu sur Terre et je l'entends dire de faire comme chez moi.. Je me contente simplement d'un faible «Ok. Merci monsie.. euh, Barth» comme réponse, ne sachant pas très bien comment me comporter. Je décide enfin de franchir cette fameuse porte, celle qui doit logiquement m'accorder un peu d'intimité et derrière laquelle je pourrai me débarrasser de toute cette terre sur ma peau.

La porte verrouillée, je laisse mon regard se balader sur la salle d'eau et je remarque immédiatement le petit miroir au-dessus de l'évier. Intérieurement, je me promets de ne pas m'en approcher, je ne veux pas voir mon reflet. Surtout pas. Hors de question. Alors, je me dirige directement vers la douche, sans même un regard vers la petite surface réfléchissante. Je commence à faire couler l'eau et j'attends quelques secondes que celle-ci soit chaude, mais quand elle l'est, j'ai changé d'avis concernant le miroir. Après tout, je suis en droit de voir à quoi je ressemble. Il faut bien estimer les dégâts, voir à quel point je suis différente. Même si je ne suis pas certaine d'être prête, je veux savoir à quoi m'en tenir. À petits pas, je m'approche donc de l'objet en gardant les yeux posés bien au sol. Je fais face au miroir, expire et lorsque je me sens plus ou moins prête, je relève le regard. Une inconnue me scrute, les yeux moitié ouverts, moitié fermés. Sous cette couche de crasse, je peine à me reconnaître, et pourtant, je crois que c'est bien moi. Ou plutôt, ce qui reste de moi. Je suis sonnée par ce que me renvoie ce satané miroir, et pendant un instant, je me déteste d'avoir cédé à la curiosité. Mais avant de courir me planquer dans la douche, je décide de repousser encore un peu mes limites, je veux être forte. J'enlève donc mes habits troués et sales, afin de libérer ma peau meurtrie et pour la deuxième fois en cinq minutes, mon souffle se fait inégal. Je suis si maigre, mes os ressortent tant qu'ils pourraient sûrement transpercer ma fine peau. Des entailles couvrent mes épaules, mes bras, mon cou. Où que je pose les yeux, ce que je vois me rappelle un souvenir douloureux. Je recule de quelques pas, mais plus je m'éloigne du miroir, plus il me montre des morceaux de moi. Sans trop y réfléchir, je retourne du côté de la douche et rapidement, j'entre dans celle-ci. Mes jambes tremblent et des larmes coulent sur mon visage, depuis je ne sais quand. L'eau pourrait être glacée ou brûlante, je ne m'en rendrais pas compte. En essayant de ne pas tomber, je plaque mon corps contre le mur et le laisse descendre délicatement, jusqu'à ce que je sois totalement assise. L'eau ruisselle sur moi, et lorsqu'elle s'évacue, elle n'est plus tout à fait claire. Je reste là, recroquevillée sur moi-même, laissant mes larmes se déverser comme jamais elles n'ont pu le faire ces derniers mois.